NOTE LIMINAIRE : Le billet qui suit est un ''Devoir de philo'' en réponse au Devoir de philo de Daniel Baril intitulé '' La science et la religion s’affrontent dans la recherche de la vérité '' paru le 27 octobre 2018 dans Le Devoir. J'ai soumis le texte qui suit au directeur de ces pages, Robert Dutrisac qui a refusé sa publication. Au-delà des raisons formelles, dont le fait qu'on ne saurait publié un Devoir de philo qui réplique à un autre Devoir de philo, je tiens pour ma part qu'il s'agit encore une fois de raisons purement idéologiques qui repoussent systématiquement les idées antiprogressistes, de droite, et favorables à la religion (chrétienne). Ce qui ne doit guère étonner puisqu'au Québec la domination des idées progressistes dans l'univers intellectuel est aujourd'hui sans partage.
La gouverneure générale Julie Payette a suscité la
controverse, l’an dernier à la même époque, en déclarant ce qui suit à laConférence sur les politiques scientifiques canadiennes :
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William James (1842-1910) |
« Pouvez-vous croire qu'encore
aujourd'hui, dans une société instruite et malheureusement dans certains
gouvernements [...] nous soyons encore en train de débattre et de nous demander
si la vie est le résultat d'une intervention divine ou si elle résulte d'un
processus naturel ou encore moins, oh mon Dieu, d'un processus aléatoire ? »
Dans son discours, Mme Payette,
une ancienne astronaute diplômée en génie informatique, s'est demandée comment
il est possible que certaines personnes croient encore qu'une « intervention
divine » soit à l'origine de la vie ou que la personnalité soit déterminée par
l'astrologie. Comme si la croyance chrétienne était parfaitement irrationnelle
à l'égal de l'astrologie! Je suis croyant, de confession catholique, et trouve
blessant qu'une responsable politique, représentant apparemment tous les
Canadiens, amalgame l'astrologie à la foi chrétienne.
En fait, aujourd’hui, toute
croyance est déclarée suspecte. Elles sont a priori jugées de mauvais alois. Le
mot ‘croyance’ renvoie désormais à la détestable croyance religieuse. Comme
s’il n’y avait que des croyances de type religieux ! Dans ce Devoir de philo, je ferai appel à un
philosophe américain, l’un des fondateurs du ‘pragmatisme’, William James (1842-1910)
afin de réhabiliter les droits de la croyance de la foi chrétienne. Je
répliquerai au Devoir de philo de Daniel Baril La science et la religion
s’affrontent dans la recherche de la vérité en prenant pour figure de proue Bertrand Russell.
Il est de bon ton aujourd’hui de
penser qu’un philosophe n’est pas là pour croire, ni pour faire croire, mais
pour penser et faire penser. C’est là une lubie la mieux partagée au monde (pour
paraphraser Descartes au sujet de la raison). Le philosophe qui croit, dit-on
encore, cesse de penser. Il bascule alors dans le mode obscur de la croyance
qui ne permet en aucune manière de connaître, c’est-à-dire de trouver la vérité.
Pour Baril, tout comme pour Russell,
les religions ne sont que systèmes de croyances, aucune espèce de vérités et,
donc, de connaissances, ne peuvent en être extraite.
Avec Russell, ainsi d’ailleurs pour la pensée moderne en général, les
religions sont toutes mises sur un même un pied d’égalité : des croyances
aussi loufoques que la croyance en une théière chinoise en orbite autour de la
terre. Pourtant, pour quiconque connaît la religion chrétienne, croyance et foi
ne sont pas exactement identiques. Les juifs du temps de Jésus croyaient certes
en leur Dieu-YHWH. Jésus n’est cependant pas venu les convaincre de croire en
YHWH mais d’avoir foi en lui. La foi
est, donc, un engagement, mais d’abord une relation entre des personnes. Par
exemple, les partisans de Québec Solidaire croient
en Manon Massé parce qu’à leurs yeux la chef de QS est digne de confiance,
digne donc de foi. La foi n’est donc pas qu’une croyance - aussi débile qu’on
voudra. En christianisme, la foi est
conçue comme une vertu dite ‘théologale’,
par opposition aux vertus cardinales. Qui dit vertu, dit quelque chose d’ardue,
qui engage dans une relation personnelle avec autrui - mon épouse, un chef d’un
parti politique, ou Dieu.
Dans notre belle modernité, où
tout est nivelé par le bas, dont la foi, il eut toutefois des voix discordantes
qui se firent entendre. William James fut l’un d’eux. James est l’auteur d’un
important essai, La volonté de croire
(The Will to Belief, publié en 1897).
En fait, le titre de l’essai n’est pas des plus heureux. Il aurait dû
s’intituler, Le droit de croire. La
croyance religieuse n’est pas un objet soumis à la volonté, bien que la foi
implique une décision libre. Ce que veut montrer James, c’est que la foi n’est
pas une lubie, mais une attitude
parfaitement légitime à adopter. L’essai pose la question « Avons-nous le droit de croire que Dieu existe ? »,
et non pas si Dieu existe.
Dans sa préface, James égratigne
au passage les intellectuels de son temps, nourris de la science, atteints
d’une sorte de maladie ou d’impuissance à croire : « …cette faiblesse est
déterminée par l’idée, soigneusement entretenue, d’une prétendue évidence
scientifique dont la possession écarterait tout danger de naufrage dans la
recherche de la vérité. » Les Russell et les Baril de ce monde sont ici pointés
du doigt. Pour eux, croire paraît être une maladie virale dont il faut
absolument se prémunir. Pour cela, il faudrait se coller le plus près possible
sur les vérités de la science; il n’y en aurait pas d’autres en dehors d’elle.
On désigne usuellement par le nom de « scientisme » cette position
épistémologique, dont le mot d’ordre pourrait se résumer par la formule : Hors de la Science, point de salut ! Il
s’agit, en somme, d’une sorte de puritanisme profane, plus précisément d’un rationalisme
pur et dur.
William James plaide pour sa
part pour un empirisme radical, l’exact opposé du rationalisme de Russell. La
croyance religieuse – la foi – n’a rien de parfaitement obscure. Elle résulte
d’une expérience spirituelle que James analyse en profondeur dans Les formes multiples de l’expérience
religieuse. Essai de psychologie descriptive (1905). Au départ, note James,
la personne vit un mal-être lancinant qui débouche, ensuite, sur la délivrance.
Dans La volonté de croire, William
James énonce trois critères permettant à coup sûr d’indiquer si une croyance est
bel et bien de nature religieuse.
1) D’abord, la croyance en
question doit être vivante. La
croyance loufoque qu’évoque Russell touchant la fameuse théière en orbite
autour de la terre est tout, sauf vivante.
De même pour la croyance en Zeus, même si la mythologie grecque fait partie de
la culture occidentale classique. On parle en ce sens du grec ancien comme
langue morte; même chose pour la religion des anciens Grecs. Au contraire, la
foi en Jésus Christ demeure toujours vivante, malgré un recul notable depuis le
siècle des Lumières. Par ailleurs, si une croyance religieuse est vivante,
c’est qu’elle propose un salut vis-à-vis la réalité de la mort. Nous sommes
mortels, et c’est d’ailleurs devant la réalité de la mort que les religions se
distinguent quant à leur proposition de salut. La théière de Russell n’offre
aucun salut, c’est pourquoi elle n’est pas vivante.
2) Corolairement, une croyance vivante
devient importante. En effet, une
croyance vivante est, par implication, importante. Si une proposition de salut
est vivante, au sens où elle constitue une réponse à la mort, la croyance
religieuse devient éminemment importante. Et si elle est importante, on peut
dire que la croyance en question devient hautement signifiante. Une croyance religieuse, par conséquent, donne sens,
une direction, un but, une finalité, c’est-à-dire une raison d’être (à la mort
en particulier). La science n’offre pas de sens aux phénomènes naturels. Elle
offre une explication de type causal, point à la ligne. Et nous pourrions dire
qu’il s’agit d’une cause efficiente
ou motrice, pour employer la
terminologie d’Aristote touchant les quatre types de cause que le Stagirite
distinguait. La cause dite ‘finale’ fut exclue de la science moderne
expérimentale. C’est ici le point de fracture entre l’ancienne science des
sciences – la métaphysique – et la science moderne laquelle usurpa son titre à
la métaphysique.
3) Enfin, une croyance pour être
religieuse doit être obligée. Au sens
où croyant ou athée, je suis interpellé par elle. Même le sceptique (athée ou
agnostique) se trouve interpellé par la croyance en question. Il doit y
répondre positivement ou négativement. Dans le second cas, on a raison de le
désigner comme ‘incroyant’ ou ‘non-croyant’. Il refuse l’option. Encore une fois,
même s’il refuse l’option, il est pour ainsi dire mis en demeure d’y répondre.
Et encore ici, la croyance en une théière autour de la terre, n’est pas une
croyance obligée.
Cela posé, William examine ensuite
de manière critique l’Éthique de la
croyance (1877) de William Kingdon Clifford (1845-1879). Dans ce fameux
texte, l’auteur écrit : « On a tort,
partout, toujours et qui que l’on soit, de croire quoi que ce soit sur la base
d’éléments de preuve (evidence) insuffisants.
» De son côté, James imagine la situation périlleuse suivante.
Supposez par exemple que je
gravisse une montagne et que je me trouve à un moment donné dans une situation
telle qu’un saut dangereux demeure ma seule chance de salut. Faute d’expérience
antérieure, mes aptitudes à exécuter ce périlleux exercice n’apparaissent pas
avec évidence; mais l’espoir et la confiance en moi-même me donnent la
certitude que je ne manquerai pas mon but et communiquent à mes muscles la
vigueur nécessaire pour accomplir ce qui, à défaut de ces émotions subjectives,
eût été probablement impossible. Supposez au contraire que la peur et la
méfiance l’emportent; ou supposez encore qu’ayant précisément lu l’Éthique de la croyance [de Clifford],
je considère comme un péché d’agir sur une hypothèse qu’une expérience
préalable n’a point validée – j’hésiterai alors si longtemps alors si longtemps
qu’à la fin, épuisé et tremblant, je m’élancerai dans un moment de désespoir,
manquerai mon élan et roulerai dans l’abîme.[1]
Si, dans une telle situation, je
m’en remets au principe de Clifford énoncé précédent, alors, nous dit James, la seule
possibilité, c’est de mourir lamentablement sur place, aucune évidence ne
m’autorisant à réaliser avec succès le saut en question. Le principe de
l’éthique de la croyance de Clifford est, on le constate, fort exigeant, voire
impossible à réaliser dans bon nombre de cas. Je connais des amateurs de
hockey, partisans du Canadien de Montréal qui, l’an dernier, espérait jusqu’à
la dernière minute, que leur club favori fasse les éliminatoires. Peine perdue,
aurait dit Clifford ! Espoir vain, car il ne reposerait sur aucune évidence
suffisante. En fait, si l’on devait suivre la recommandation de Clifford, le
monde s’écroulerait rapidement.
Clifford ne fut pas le dernier à
proposé son principe éthique de la croyance. Bertrand Russell proposa lui aussi
un tel principe au tout début de ses Essais sceptiques : «… il n’est pas désirable d’admettre une
proposition quand il n’y a aucune raison [ground] de supposer qu’elle
est vraie. » Dans Pourquoi je ne suis
pas chrétien (1959), Lord Russell énonce le même principe : « L’habitude de fonder les convictions sur des
preuves [evidence], et de ne leur
accorder de certitude que dans la mesure où elles sont garanties [warrants]
par des preuves [evidence], guérirait, si elle devenait générale, la
plupart des maux dont souffrent l’humanité. »
Encore, une fois, s’il fallait
s’en tenir strictement à la proposition de Russell, l’humanité serait mise à
mal. Par ailleurs, l’objection que l’on adresse à Russell ainsi qu’à Clifford,
c’est que l’‘évidence’ de leur principe demeure insuffisante. Il s’agit, en
somme, de vœux pieux, au demeurant purement subjectifs, ne reposant sur aucun
fait.
Se pourrait-il que la lieutenant
gouverneure, Julie Payette, soit tombée dans le piège ouvert par Clifford et
Russell ? Posé la question, c’est y répondre. On ne peut que lui proposer de
lire impérativement La volonté de croire
de William James.[2]
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