vendredi 23 décembre 2011

L'AGAPÈ-CHARITÉ: POUR L'ABBÉ GRAVEL

Tout l'or qui est sur terre ou sous terre ne vaut pas la vertu.
Platon, Les lois


Les délits en matière sexuelle reprochés à certains frères de la Congrégation de Sainte-Croix tombent sous les sanctions prévues aux articles 151 à 153 du Code criminel canadien prévoyant des peines pouvant aller jusqu’à dix ans d’emprisonnement. Les actes de pédérasties sont ainsi sanctionnées par contravention, non pas à la loi naturelle, doctrine morale officielle de l’Église catholique, mais au système canadien des droits. Ce qu’on comprend, c’est que la Congrégation de Sainte-Croix a conclu une entente avec les représentants des 225 victimes pour verser un montant de 18 millions de dollars en guise d’indemnisation financière.

L’abbé Gravel conteste avec raison l’entente précédente puisqu’elle pénalise toute une communauté pour les écarts de conduite en matière sexuelle d’une minorité seulement de religieux.

            Pourquoi protéger ces religieux tenus criminellement responsables de leur déviance en leur évitant à tout prix l’emprisonnement tout en faisant payer d’un fardeau excessif la vaste majorité de ces religieux qui ont mené une vie de pauvreté sous l’idéal de la charité? La Congrégation de Sainte-Croix me paraît endosser une justice pénale à deux vitesses, l’une pour les religieux, l’autre pour monsieur-et-madame-tout-le-monde.

            Pourquoi, par ailleurs, les victimes ont-elles accepté cette entente financière dégradante pour elles? Comme si l’argent pouvait rétablir leur dignité. On ne peut pas faire ici abstraction du fait que, dans notre société mercantile, tout à un prix, même les pires bassesses. Il y a quelques siècles en Occident, au nom de la «loi naturelle», on châtrait les pédérastes reconnus coupables de «crimes contre-nature». À en croire Michael Walzer dans La soif du gain (L’Herne, 2010), aujourd’hui, le vice le plus répandu est celui la cupidité. Il a bien raison. La crise financière qui secoua en 2008 le capitalisme mondial n’a pas d’autre cause que l’avidité des banquiers de Wall Street. Voilà le cri de ralliement du mouvement des indignés d’Occupons Wall Street : abats la cupidité des banquiers!

            Je ne fais pas du coq à l’âne, car c’est dans ce contexte d’une civilisation fondée sur la cupidité que prend place l’entente historique survenue entre la Congrégation de Sainte-Croix et les victimes d’abus sexuels. Or, le contraire de la cupidité, c’est la vertu de générosité. Le don, en un mot. C’est-à-dire, d’abord et avant tout, le pardon. Or, il n’y a rien de plus coûteux et de plus exigeant que le pardon. Car le pardon est le don total. Il ne peut être que le fait de l’inculpé et de la victime. La victime, elle, par désir que justice soit faite, ne veut pas pardonner. On peut la comprendre. Mais le pardon efface tout. C’est l’acte d’amour parfait. Dans l’éthique chrétienne, c’est la vertu agapè-charité. Je ne prise guère le mot «charité» car il renvoie trop souvent à l’aumône fait aux pauvres, et encore ici, il s’agit de l’argent et de son pouvoir trompeur.

Pardonner, c’est donner la possibilité à l’autre de redémarrer. En pardonnant, on espère que l’autre repartira meilleur. La vertu d’agapè-charité est donc étroitement liée à l’espérance, cette autre vertu chrétienne dite «théologale», car elle viendrait de Dieu. L’amour-charité-espérance constitue, en effet, la plus haute des vertus, entre autres par rapport à celle de justice. J’aimerais bien que mon Église rappelle ces vérités inestimables plutôt que de conforter l’esprit cupide du monde actuel en achetant à prix fort la paix. Je crois que c'est ce que cherche à nous dire l'abbé Gravel et l'on ne peut que l'en remercier.

dimanche 18 décembre 2011

COUP DE GUEULE: ADIEU PHILOCÉGEP!

Cher Zénon,
J’ai décidé de claquer une fois pour toutes la porte de Philocégep (le réseau social des profs des cégeps) où une bonne douzaine de collègues du réseau seulement sur près de 300 inscrits interviennent sur divers sujets d’intérêts principalement pédagogiques pour l’enseignement de la philosophie au collégial.
Je quitte Philocégep car je conspue le règne de la pensée unanime, le prêt-à-penser, les propos rose-bonbon petit-patapon où tout le monde-danse-en-rond car tout-le-monde-est-beau-et-gentil. Propos irrespirables.
Plusieurs se féliciteront de mon départ, lançant un soupir de soulagement, car j’étais le mouton noir, leur bête noire, l’ennemi à abattre. En fait, Philocégep est un vieux cheval paresseux et, comme le taon, qui essaie de le réveiller, je forçais mes collègues à se remettre en question. Or, c’est là une affaire hautement périlleuse. Socrate l’a fatalement comprise. Aussi, avant qu’on m’accuse moi aussi d’impiété, non envers la religion, mais envers l’anti-religion de Philocégep, dont le dieu principal est le naturalisme, je tire ma révérence. D’ailleurs, certains commençaient à faire preuve à mon endroit d’intimidation et menaces. Merci Marjorie Raymond : tu m’as ouvert les yeux. Ton suicide n’aura pas été vain.
Zénon, je te quitte en te laissant méditer ces quelques lignes du regretté Pierre Falardeau :
«À force de t’faire traiter comme un chien, tu finis par mordre comme un chien… J’écris pour m’en sortir. Avec rage. Comme un chien. En mordant les bâtards qui me donnent des coups de pied avec mépris. Pour couper la parole à ceux qui, individuellement ou collectivement, nous traitent de vauriens. Eux qui croient valoir quelque chose parce qu’ils ont l’argent, un habit trois-pièces, la certitude de tout savoir, le petit pouvoir des maîtres et des contremaîtres. J’écris pour ne pas me laisser abattre. Pour ne pas déprimer. Pour me sentir moins impuissant, moins seul. Au cas où nous serions quelques autres. Parce qu’il y a les gros et les petits et que ramper n’est pas le lot des petits.» (La liberté n’est pas une marque de yogourt, TYPO, 2009, p. 13.)