jeudi 16 juin 2011

À LA COUR DU ROI PÉTAUD

Minuit! chrétiens, c'est l'heure solonnelle où l'Homme-Dieu descendit jusqu'à nous.

Ces jours-ci, suite à la démission de quatre de ses députés, le Parti Québécois vit l’une de ses crises cycliques. Nous nous croirions à la cour du roi Pétaud, pour reprendre le mot de Lucien Bouchard dans sa diatribe récente contre Amir Khadir. La chef, Pauline Marois, étant contestée, chacun se convertit en gérant d’estrades et se croit en mesure de diriger le parti. C’est que, dans ce parti politique, sans commune mesure, le chef est davantage qu’un dirigeant. Il doit être un SAUVEUR. Puisque ce n’est pas le pouvoir qui importe, mais LA CAUSE, à savoir la souveraineté, le chef doit ceindre le diadème du saint ou du héros mythique dont les gestes et les paroles sont admirables, sublimes et transcendants. Avec le PQ, nous ne sommes pas loin du SACRÉ. Le chef est tenu comme un mythe vivant, et les chefs qui se sont succédés furent soumis à des travaux surhumains dignes d’Héraclès. Aussi, on entre au PQ comme on entrait jadis en religion. Les députés démissionnaires l’ont confirmé en s’élevant contre le parti qui, à leurs yeux, ne serait devenu qu’un simple parti politique aspirant au pouvoir reléguant aux oubliettes LA CAUSE.

Le PQ ne veut pas le pouvoir pour le pouvoir. Madame Marois aussi souhaite ardemment la souveraineté du Québec, mais celle-ci passe inexorablement, du moins en démocratie, par l’obtention du pouvoir. Tout se joue sur cette subtilité. Or, puisque, même dans l’opposition, le pouvoir corrompt - du moins, le goût du pouvoir -, la chef est corrompue. Même si les militants l’ont récemment plébiscité à hauteur de 93% et quelques poussières, Marois a perdu de vue LA CAUSE, de sorte qu’elle doit être impitoyablement déchue. Elle n’aurait plus, selon les purs, l’étoffe sacrée qui font du chef du PQ un SAUVEUR.

Deux axes commandent donc la vie au PQ, un axe profane et un axe sacré; le premier, horizontal, le second, vertical.

D’abord, l’axe profane horizontal est la vertu démocratique, c’est-à-dire la croyance inébranlable que la souveraineté doit se faire démocratiquement, comme René Lévesque l’a si souvent affirmé avec force. En somme, un bon péquiste doit d’abord être un admirable démocrate. Le radicalisme, voire l’autoritarisme de certains touchant LA CAUSE, est condamnable. Il va sans dire que le chef d’un tel parti doit être un modèle au plan de la vertu démocratique.

Le PQ n’est évidemment rien sans son autre axe essentiel, vertical celui-là. C'est l’axe sacré qui l’anime, celui de LA CAUSE : la souveraineté. Nous pénétrons alors dans le sanctuaire du PQ. L’historien des religions Mircea Eliade (Le sacré et le profane) a proposé le terme de « hiérophanie » (du grec hieros, sacré, et phanein, se manifester) pour désigner l’irruption du sacré dans la vie de tous les jours. Les religions s’alimentent d’hiérophanies. Certains partis politiques aussi, dont le PQ. Pour le PQ, l’hiérophanie aura consisté dans l’élection du PQ le 15 novembre 1976. Moment inoubliable et transcendant, s’il en fut. Tous les péquistes espèrent et œuvrent ardemment à l’avènement d’un second 15 novembre béni où le peuple québécois accédera enfin à la souveraineté, c’est-à-dire au Royaume des cieux.

Mais l’accession au Royaume des cieux de la souveraineté ne peut se faire que par l’intermédiaire de l’autre axe horizontal, non moins sacré lui aussi, celui de la démocratie. L’axe profane, celle la démocratie, n’est qu’un véhicule certes, mais un véhicule indispensable et inévitable. Pas de souveraineté sans démocratie, sinon la souveraineté sera le fait d'une dictature.

Les purs et durs de LA CAUSE paraissent oublier systématiquement l’inéluctable axe horizontal du PQ, rivés comme ils sont à l’axe vertical du sacré. Un dilemme irrésoluble et insoluble semble donc marquer la destinée du PQ, cherchant à concilier l’inconciliable, telle une quadrature du cercle: faire coïncider pour ainsi dire en leur centre les axes du sacré et du profane. D’où les crises cycliques, comme celle à laquelle nous assistons actuellement, qui chavirent le parti jadis fondé par son premier sauveur, René Lévesque, et qui transforme ce parti en une cour du roi Pétaud.

dimanche 12 juin 2011

HORS DE LA DÉMOCRATIE POINT DE SALUT? Commentaire sur le Devoir de philo paru dans Le Devoir du 11 et 12 juin

Chère collègue
Bravo, d’abord, pour votre Devoir de philo paru dans Le Devoir du week-end du 11et 12 juin.
Cela dit, je ne partage pas votre optimiste vis-à-vis la démocratie, la dernière élection fédérale constituant une ratée spectaculaire: un gouvernement conservateur fut reconduit au pouvoir avec seulement 40% des voix! Il y a là une aberration patente qui fut à peine condamnée par certains. Pourquoi? Parce que la démocratie est intouchable.
Si,  comme le disait éloquemment le président Lincoln, la démocratie est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, alors, effectivement, il est impérieux que «le peuple» participe à la vie démocratique – ce qui fit défaut le 2 mai dernier, comme vous le souligniez.
Pour Tocqueville, ainsi que pour la vaste majorité d’entre nous, la démocratie constitue un acquis indiscutable. Or, depuis sa naissance, au XVe et XVIe siècle en Europe, on en est toujours à proposer des correctifs et des remèdes à de très sérieuses carences que comporte la démocratie moderne. Se pourrait-il que la démocratie recèle de si sérieux problèmes que même les médecines les plus ingénieuses que vous proposez restent inefficaces?
Au Québec, on n’oubliera pas la mine d’un Gilles Duceppe qui, même déconfit, mais bon démocrate, fit sa profession de foi en déclarant «La démocratie a parlé!». Qui donc parla le 2 mai dernier? Le peuple? L’intérêt général? La volonté générale? Celle des citoyens? L’ensemble de la collectivité? La majorité des citoyens? La souveraineté populaire? Selon la définition de la démocratie moderne, toutes ces réponses sont bonnes. S’il faut en croire Jean-Jacques Rousseau, par exemple, «la volonté générale est toujours droite et tend toujours à l’utilité publique». (Du Contrat social, Livre II, chapitre 3) Ainsi, lorsqu’on entonne en chœur «la démocratie a parlé!», comme nous le firent tous le 2 mai, il faut entendre par là l’expression de la volonté générale (du «peuple»? de «l’ensemble des citoyens»? de la majorité?) qui est sacro-sainte puisqu’elle vise le Juste et le Bien Commun.
Il va sans dire que tout ce langage est nébuleux. Toutefois, nous sommes si démocrates dans l’âme, nous modernes, que nous ne voulons pas réaliser pas à quel point le discours démocratique est nébuleux, voire dangereux. On se gargarise d’expressions qui ne veulent rien dire. Qu’est-ce donc que la fameuse «volonté générale»? Que désigne cette expression précisément? Lors de l’élection du 2 mai, la «volonté générale» consistait-elle dans la réélection du gouvernement de Stephen Harper alors que les conservateurs n’ont obtenu que 40% des voix? Faut-il comprendre que la «volonté générale» n’est pas identique à «la majorité» déterminée par la règle de la majorité? La volonté générale serait-elle davantage identique au « gouvernement par le peuple »?
Peut-être convient-il de distinguer deux conceptions radicalement distinctes de la démocratie comme le proposait Karl Popper. Le célèbre épistémologue distinguait en effet la «démocratie» ayant trait à la souveraineté du peuple de celle, toute autre, touchant ce que l’on pourrait exprimer comme le rempart ou le bouclier contre la dictature ou la tyrannie. Popper rejette la première conception, dont l’étymologie elle-même, pouvoir (cratia) du peuple (dèmos), a le malheur d’induire en erreur sur la nature véritable de la démocratie. «La démocratie, écrit Popper, ne fut jamais le pouvoir du peuple, elle ne peut et ne doit jamais l’être.» (La leçon de ce siècle) La plus forte objection qu’il soulève à l’encontre de conception de la démocratie comme souveraineté  populaire est qu’elle favorise une vision irrationnelle et relativiste selon laquelle le peuple (la majorité?) ne peut avoir tort ni agir injustement. Cette vision de la démocratie est, toujours selon Popper, immorale et doit être rejetée sans équivoque. La seconde conception de la démocratie – désignons-la par la conception critique - veut que la démocratie soit comme un tribunal populaire, un instrument (une institution) permettant d’éviter un gouvernement inamovible, voire une dictature. Voter, dans ce cas, c’est avoir le pouvoir de révoquer, de sanctionner, de juger en somme, le gouvernement sortant. Voilà ce que serait le véritable sens de la démocratie selon Popper. Ainsi, lorsqu’il est dit «La démocratie a parlé!», on devrait comprendre que les citoyens ont exercé leur pouvoir de révoquer ou d’instaurer un gouvernement.
La question est donc la suivante: à l’élection fédérale du 2 mai dernier, est-ce la démocratie au sens de la souveraineté populaire qui s’est exprimée? Selon ce point de vue, 40% du vote des Canadiens, comme tribunal populaire, ont jugé que le gouvernement Harper méritait d’être réélu; 60% étaient contre. En tout cas, au Québec, l’élection massive de candidats néo-démocrates constitue bel et bel le rejet du gouvernement Harper. À l’évidence, il y a là un problème pour la démocratie conçue comme «tribunal populaire».
Évidemment, les partisans de la conception de la démocratie conçue comme souveraineté du peuple diront que l’élection du gouvernement conservateur est parfaitement légitime. Inversement, les partisans de la conception critique de la démocratie tiennent l’élection du 2 mai dernier comme l’ombre de la démocratie.
Je ne sais pas si ce qui précède permet de sauver la démocratie ou si elle est foncièrement incurable. Chose certaine, la philosophie est certainement habilitée à répondre à ces questions de nature conceptuelle, et le texte de ma collègue a le mérite de participer à l’effort de réflexion qu’exige le sujet.