samedi 28 décembre 2013

DIEU EST EN BAS PAS EN HAUT !

Non, dubia, sed certa conscientia, domine, amato…
 Quid autem amo, cum te amo ?
Saint Augustin, Confessions, 10, VI



Le titre de ce petit texte provient du commentaire suivant de Georges Madore à l’occasion de la fête chrétienne de Noël de 2013: « Bas, plus bas, c'est là que Dieu se trouve... c'est là qu'il nous attend. Ne regardez pas là-haut dans le ciel : la nuit a englouti la lumière, les anges ont fait place aux étoiles; les chants se sont dissous dans le silence. Dieu n'est pas là-haut, il est ici-bas. Il est le Dieu Très-Bas. Qui ne sait se pencher ne peut le trouver. »[1]

On songe en particulier à l'essai d'anthologie de l'incroyance et la libre-pensée de Normand Baillargeon, intitulé : «Là-haut, il n'y a rien...» C'est vrai! Le professeur Baillargeon, l’un des co-auteurs, a parfaitement raison. Parce que tout est sous nos yeux ici-bas. Aveugles que nous sommes!

Depuis, en gros, le siècle des Lumières, qui a vu le triomphe de la Raison, nous ne savons plus nous pencher. Nous regardons le ciel, et nous disons, « effectivement, il est parfaitement dérisoire de croire qu’il y ait quelque chose là-haut ! » Normand Baillargeon est aujourd’hui, au Québec, le représentant le plus articulé du rationalisme athée issu des Lumières.[2]

Bien que le rationalisme ait plusieurs sens, en gros, il consiste à tenir qu’une proposition est vraie ou susceptible d’être vraie s’il y a une bonne raison de supposer qu’elle soit vraie. Le maître à penser de Baillargeon, Bertrand Russell (1872-1970), écrit au tout début de ses Essais sceptiques, « il n’est pas désirable d’admettre une proposition quand il n’y aucune raison de supposer qu’elle est vraie. »[3] Ailleurs, dans Pourquoi je ne suis pas chrétien, Russell écrit : « L’habitude de fonder les convictions sur des preuves, et de ne pas leur accorder de certitude que dans la mesure où elles sont garanties par des preuves, guérirait, si elle devenait générale, la plupart des maux dont souffre le monde. »[4] Enfin, toujours Russell au sujet de la foi : « Je pense que la foi est un vice, parce que la foi veut dire croire une proposition quand il n’y a pas de bonne raison de la croire. Cela peut être considéré comme une définition de la foi. »[5] Désignons les trois énoncés précédent de Russell Principe rationaliste de l’éthique de la croyance (PREC). En somme, une croyance légitime est celle fondée sur des preuves. D’après Russell, croire qu’une théière circule en orbite autour de la terre, est un bel exemple de croyance religieuse irrationnelle, non-fondée.[6] Dans l’état actuel de nos connaissances et du développement technologique, il paraît difficile soit de confirmer cette étonnante hypothèse, soit de l’invalider.

D’après Russell-Baillargeon, puisque les énoncés religieux ne satisfont pas au PREC, ils doivent être rejetés et condamnés. N'oublions qu'il s'agit d'un principe éthique, c'est-à-dire véhiculant un contenu moral. Ils ne doivent surtout pas être enseignés dans les écoles car, comme dit Russell, les énoncés religieux sont à la source des principaux maux dont souffre notre humanité. Notre bonheur, donc, devrait entraîner l’éradication complète de la religion, du moins dans l’« espace public ».

Lorsqu’on braque ainsi la foi sous le projecteur du rationalisme, c’est comme regarder en haut - alors que tout se passe en bas ! La religion n’est pas déconnectée de la réalité, de la vie de tous les jours. Si elle n’avait pas prise sur la réalité terre-à-terre, la religion n’aurait pour nous eu aucun intérêt.[7]

Nous lisons à l’article « foi », dans le dictionnaire marabout université portant sur Les religions, que « La foi est la base de toute religion; c’est l’adhésion à certaines propositions, tenues pour vraies, en vertu ni de l’évidence, ni d’une démonstration rationnelle, mais de la confiance mise dans le témoignage d’une personne, dans une tradition, ou dans un sentiment intime. »[8] La foi, donc, ne répond en aucune manière au réquisit du PREC.

Règle générale, le rationalisme est l’ennemi des traditions. Il se méfie également des états de conscience, tel celui consistant à faire confiance qui est au cœur de la foi. Pourtant, il croit en la raison. Le rationaliste fait confiance en la raison. Sa foi est celle du… rationalisme. Il tient en effet qu’il est mal et condamnable de ne pas obéir à la raison. D’où peut-il donc tenir cette vérité ? Quelle en est l’évidence ? De la raison elle-même, répond-t-il. Alors, pourquoi, si la raison est pour ainsi dire présente en l’homme depuis qu’il existe, qu’il y ait toujours eu des religions et que, même depuis le siècle des Lumières, elles ne sont pas encore disparues, au contraire, car elles resurgissent sans cesse ? La réponse du rationalisme est toujours la même : les hommes préfèrent la tradition, les états de conscience, l’expérience intime, etc., à la raison. Or, à l’évidence, il s’agit là, non pas d’une vérité de la raison, mais d’une vérité tirée de l’expérience. Une « induction » comme disent les logiciens. Ce fut ainsi… et il en sera ainsi dans l’avenir. L’expérience répétée est donc à la source de la raison. On peut donner quelques bons exemples du PREC, mais la généralité du principe en question pèche contre la preuve disponible. En somme, le PREC constitue une hérésie logique car il constitue un sophisme de la généralisation hâtive ou abusive.

Mais qu’est-ce qui justifie que le PREC sera encore légitime dans l’avenir ? C’est le fameux problème de la justification de l’induction que, David Hume (1711-1776), le premier a mis en évidence. On ne peut donc justifier l’expérience par le recours à l’expérience car il s’agit d’un cercle vicieux que la raison proscrit.

Le fameux PREC de Russell-Baillargeon vacille lorsqu’on l’examine attentivement. Si la raison ne peut justifier le recours à l’expérience, la raison peut-elle se justifier elle-même ? En d’autres termes, le PREC est-il une vérité de la raison ? C’est une vérité raisonnable, mais de là soutenir qu’il provient de la raison pure, c’est encore une fois exagérée, c’est-à-dire déraisonnable. Donc, il ne paraît pas y avoir de fondement au principe de Russell-Baillargeon. En fait, la position connue de Russell sur les questions de morale – car il s’agit bien d’une question morale, sinon éthique – est celle du subjectivisme moral. Russell est très clair sur ce point :

Quand un homme dit : « Ceci est bon en soi », il paraît affirmer un fait, tout comme s’il disait : « Ceci est carré » ou « Ceci est sucré ». Je pense que c’est là une erreur. Je pense qu’il veut dire en réalité : « Je souhaite que tout le monde désire ceci », ou plutôt:« Puisse tout le monde désirer ceci ». Si l’on interprète ses paroles comme une affirmation, il s’agit seulement de l’affirmation de son désir personnel; par contre, si on les interprète d’une façon plus générale, elles n’affirment rien, mais ne font qu’exprimer un désir. Le désir lui-même est personnel, mais son objet est universel. C’est, à mon avis, ce singulier enchevêtrement du particulier et de l’universel qui a causé une telle confusion en matière de morale.

(…)

La théorie que je viens de présenter est une des formes de la doctrine dite de la “subjectivité” des valeurs. Cette doctrine consiste à soutenir que, si deux personnes sont en désaccord sur une question de valeur, ce désaccord ne porte sur aucune espèce de vérité, mais n’est qu’une différence de goûts.[9]

 

Le rationalisme de Russell confine donc au subjectivisme. Ce qui lui est d’ailleurs fatal. Au fond, nous dit Russell, au nom de la raison, est « vrai » et « bon » ce qui me paraît l’être et ce que je souhaite vivement que tout le monde adopte. Voilà qui est au fondement du PREC : le subjectivisme moral. Cela même que Russell-Baillargeon dénonce et condamne chez le croyant ! Donc, avant de souscrire aux positions athées de Russell-Baillargeon, il convient de quitter le rationalisme qui ne tient pas la route, et adopter une autre voie pour comprendre le phénomène religieux avant de le condamner au pilori.

 

*

Ne cherchons donc pas Dieu dans les hauteurs de la raison comme le prescrivent Russell et Baillargeon. Cherchons-le en bas, dans le cœur des hommes, car comme le dit Pascal, « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. »[10] Or, les raisons du cœur, ce sont les raisons de l’amour.[11] Du moins, est-ce ainsi en christianisme. Mais avant d’en dire davantage sur l’amour (agapè) en christianisme, disons comment la religion, plus précisément le sacré, advient dans la vie profane des êtres humains.

Selon les spécialistes des religions, en tout premier lieu Rudolf Otto qui, dans son étude, Le sacré[12], devenue un classique dans l’étude des religions, montre que le sacré est une dimension incontournable de l’existence humaine. Ce n’est pas une idée ou un concept, mais d’abord et avant tout, une expérience. Celle qu'il a baptisé de « numineux ». Faire l’expérience du sacré - du numineux - est essentielle pour le croyant. C’est une expérience profonde qui bouleverse l’appréhension familière du monde. L’expérience du sacré ou du numineux donne la conviction qu’au-delà de la vie profane de tous les jours, il existe une réalité transcendante. C’est ce que découvre le croyant lorsqu’il se «converti».

L’historien des religions, Mircea Eliade[13], désigne l’irruption du sacré dans la vie profane comme étant une hiérophanie (du grec hieros, sacré, phanein, se manifester). Il s’agit donc, surtout, d’une expérience d’une grande intensité émotionnelle mais qui n’est pas dépourvue de sens, donc de contenu cognitif, au contraire, puisque la hiérophanie donne sens, un sens sacré à l’existence ainsi qu’à l’univers dans sa totalité. Si l’on perd de vue la dimension hiérophanique de la vie du croyant, le vécu de ce dernier devient complètement irrationnel, telle la fameuse théière de Russell qui n'est associée à aucune hiérophanie. Chez le chrétien, la croix n’est jamais qu’un simple instrument de torture comme elle l’était chez les Romains. Elle évoque le sacré par excellence - le numineux -: la mort et la résurrection du Christ, c’est-à-dire de Dieu fait homme, mort par amour pour l’humanité. C’est le symbole du don (agapè) par excellence. La croix symbolise l’amour-don (agapè). Cette hiérophanie se retrouve dans nombre de symbolisme chrétien. Dans la crèche, en particulier. Dieu, le Tout-Puissant, l’Être suprême, naît dans la pauvreté et non dans la richesse d’un palais royal. Stupéfiant! Dieu naît dans la pauvreté et l’exclusion ! La raison est choquée par ce paradoxe. Seuls les gens simples, les exclus, misérables, les parias de la société (les bergers) peuvent l’approcher. Oui, comme dit Georges Madore, Dieu naît dans les bas-fonds. Inutile de braquer les télescopes sur le ciel pour le voir. Il est couché dans une mangeoire. Scandale pour la raison !

La raison doit abdiquer et laisser toute la place à l’amour-don (agapè). Le rationalisme ne trouvera jamais Dieu. Peine perdue. Seule l’ouverture à l’amour-agapè permet de connaître Dieu. Comme l’écrit saint Augustin : «Tard je vous ai aimée, Beauté si ancienne et si nouvelle, tard je vous ai aimée. C’est que vous étiez au-dedans de moi, et, moi, j’étais en dehors de moi ! »[14]

En christianisme, l’amour-agapè est tenu comme étant l’une des trois vertus théologales, avec la foi et l’espérance. C’est la plus haute des vertus. On l’a traduit en latin par caritas, ce qui a donné en français, charité. La charité ne consiste pas seulement à donner aux nécessiteux. La charité a mauvaise réputation. Aujourd’hui, on parle plutôt de solidarité, de partage. La charité, vertu théologale par excellence, est devenue une sorte d’oxymore, une vertu sociale. C’est un oxymore car une vertu, par définition, est une disposition individuelle et non sociale. La société n’est pas un individu. Dans la société actuelle, c’est la justice sociale qui est devenue la vertu par excellence. Encore une fois, il s’agit là d’un oxymore, car seule une personne est juste, pas une société. Celle-ci n’a aucune existence en dehors des personnes qui la compose.

Pour voir Dieu, il faut en somme réhabiliter la vertu, celle en particulier de l’amour-agapè, la plus haute des vertus théologales. Il faut cesser en somme d’en appeler à cette espèce de divinité, la Raison, qui s’est imposée à l’Occident, depuis les Lumières. Il faut réhabiliter l’éthique de la vertu. Ce que j’ai tenté de faire dans mon essai Plaidoyer pour une morale du bien (Liber, 2011). Je souscris toujours à cette voie de la sagesse remontant à Aristote – que toute la modernité s’est évertuée à dénigrer et à chasser. À commencer par Thomas Hobbes (1588-1679) qui écrit de manière virulente, voire malveillante, dans le Léviathan : « Je crois qu’en matière de philosophie naturelle, on ne peut rien dire de plus absurde que ce qu’on appelle la Métaphysique d’Aristote, ni de plus opposé au gouvernement que ce qu’il dit dans ses Politiques, et rien de plus ignorant qu’une grande partie de son Éthique. »[15] Plus tard, Lord Russell sera encore plus méchant à l’endroit du maître du Lycée : « Aristote, il faut le dire, fut l’un des plus grands maux pour l’humanité. »[16] Russell condamnera également le grand commentateur d’Aristote, le docteur de l’Église catholique, saint Thomas d’Aquin (1225-1275)[17], le concepteur, soi-dit en passant, des vertus théologales.

Comme on l’a vu, en matière de moralité ou d’éthique, Russell défend le subjectivisme : les propositions morales, voire religieuses, n’ont pas la prétention de dire le vrai, mais seulement l’expression de sentiments, de goûts ou de préférences personnels dont on souhaite qu’ils soient partagés par tout le monde. Or, comme on l’a vu précédemment, le PREC, expression de la raison par excellence, reste tout de même un énoncé moral ou éthique; donc, il tombe lui aussi dans la fosse du subjectivisme. La prétention de Russell en brandissant le PREC n’est qu’un vœu pieux.

En contestant l’Église et la scolastique, les penseurs modernes ont cherché à formuler un principe éthique rationnel universel. Les plus fameux sont ceux de Bentham et Mill, de Kant aussi avec son Impératif catégorique. Depuis lors, on assiste à un litige lancinant entre les éthiques conséquentialistes et déontologiques.[18] Avec d’autres, je défends, pour ma part, dans l’essai précédemment mentionné, une éthique de la vertu remontant à Aristote.

L’éthique aristotélicienne n’est pas rationaliste. Elle s’oppose à celle de son maître, Platon. Contrairement à ce dernier, Aristote ne cherche pas à déterminer ce qui bien ou bon en soi. Son propos n’est pas théorique, mais pratique, même l’Éthique à Nicomaque ne manque pas de considérations théoriques. « Ce n’est pas pour savoir ce qu’est la vertu que nous nous livrons à un examen, mais pour devenir bons. », écrit le Stagirite.[19] « La plupart n’agissent pas ainsi et cherchent refuge dans la théorie, croyant se consacrer à la philosophie et ainsi pour pouvoir être vertueux. Ils font un peu comme ces malades qui écoutent attentivement les prescriptions de leur médecin, mais n’en font rien. », lit-on encore, où Aristote songe entre autres à son vieux maître.[20]

L’exercice éthique d’Aristote n’est pas rationaliste, mais fait plutôt appel à la raison pratique, ce qui constitue d’ailleurs en soi l’une des vertus, sans doute la plus importante à ses yeux, la phronésis – la sagacité (qu’on traduit parfois mal par « prudence »). Évidemment, Aristote ne parle pas des vertus théologales de foi, d’espérance et de charité puisque c’est Thomas d’Aquin, son grand commentateur, qui les introduisit. Toutefois, dans un passage de l’Éthique à Nicomaque, Aristote écrit à propos de la vertu de courage et de son contraire, le vice de lâcheté : «

 

Celui qui ressent une peur excessive est lâche. En effet, il redoute ce qui n’est pas redoutable, et d’une manière qui ne convient pas et il s’ensuit pour lui toutes sortes de conséquences analogues. De plus, il pèche par manque de confiance, mais comme il se montre excessif dans l’affliction, c’est là qu’apparaît surtout sa nature. Ainsi donc le lâche est en quelque sorte  réfractaire à l’espérance. Ne redoute-t-il pas tout? L’homme courageux, se comporte tout différemment, car la confiance en soi naît d’une ferme espérance.[21]

 

Confiance (foi) et espérance, deux vertus théologales, sont ici mentionnées. En somme, le courage n’est possible que s’il présuppose la foi et l’espérance. Reste la troisième, la vertu suprême, l’amour-agapè, qui n’est pas mentionnée par Aristote. Thomas d’Aquin la tire d’un passage célèbre de la première épître de saint Paul aux Corinthiens, chapitre 13 : « Quand j’aurai la foi (pistis) la plus totale, celle qui transporte les montagnes, s’il me manque l’amour (agapè), je ne suis rien. » C’est donc dire que toute l’éthique chrétienne repose sur cette vertu première et dernière, l’amour-agapè.

            Le philosophe américain, Harry G. Frankfurt, est revenu sur les raisons de l’amour dans un essai portant le même titre.[22] La thèse du philosophe est que l’amour n’est pas de l’ordre de la raison, ni de l’ordre de l’affectif, mais de l’ordre du volitif; bref, de la volonté. En somme, on ne peut rien vouloir sans d’abord aimer. Contrairement au rationalisme, ce n’est pas parce que c’est rationnel qu’on aime, mais on aime parce que nous avons la capacité ou la volonté d’aimer ce qui est aimable et rationnel. « Aimer quelque chose se rapporte moins à ce qu’une personne croit, ou à sa manière de sentir, qu’à une configuration de la volonté qui consiste dans une préoccupation pratique de ce qui est bon pour l’objet aimé. », écrit Frankfurt.[23] Nous aimons ce qui est bon ou bien parce que nous sommes ainsi faits. Nous aimons la vie, non pas comme telle parce que la vie est bonne et belle en soi, mais parce que nous sommes des êtres qui aimons le bien et les belles choses. Sans amour, la vie ne vaudrait pas la peine d’être vécue. Frankfurt écrit : « Plus profondément, peut-être, c’est l’amour qui justifie la valeur pour nous de la vie elle-même. »[24]

Les êtres vivants luttent pour leur survie. Sans ce désir de vivre, il n’y aurait pas d’évolution. Ce désir de vivre, l’amour de la vie chez les humains, ne s’expliquent pas par la théorie de l’évolution de Darwin. Au contraire, la théorie darwinienne présuppose cet état de choses inscrit dans la nature des êtres. Qui donc a inscrit l’amour de vie en nous, sinon, comme dit un chant de Noël, « …l’Auteur de la nature » qui, lui, n’est qu’Amour. Il nous fit à son image et à sa ressemblance. Nous fûmes créés dans l’Amour et en vue de l’Amour.

Dans une note en bas de page, Frankfurt écrit : « C’est précisément ainsi que l’amour mène le monde. »[25] Frankfurt ne fait pas référence au Dieu des chrétiens, mais je suis convaincu que l’aveu précédent convient parfaitement au Dieu chrétien, celui de Jésus-Christ. Pour le voir, ne regardons pas là-haut, dans le ciel de la Raison. Mais, plus bas, ici et maintenant, dans le cœur, dans le ciel de la vertu d’Amour-agapè.




[1] Georges Madore, Avent et Noël 2013, Montréal, Novalis, p. 39.
[2] Voir en particulier « Confidences d’un mécréant humaniste », in Heureux sans Dieu, sous la direction de Daniel Baril et Normand Baillargeon, Montréal, VLB Éditeur, 2009, p. 77-98.
[3] Bertrand Russell, Essais sceptiques, Paris, Fondation Nobel, 1964, p. 51.
[4]Bertrand Russell, Pourquoi je ne suis pas chrétien et autres textes, Préface de Normand Baillargeon, Montréal, Lux, 2011, p. 35.
[5] Bertrand Russell, «The Existence and Nature of God», in L. Greenspan et S. Andersson, dir., Russell on Religion, Routledge, New York, 1999, p. 94. Cité dans Jacques Bouveresse, Que peut-on faire de la religion?, Agone, 2011, p. 107.
[6] Betrand Russell, « Is there a God ? »
[7] Voir Edward I. Bailey, La religion implicite. Une introduction. Liber, 2006.
[8] Les religions, Dictionnaires marabout université, Paris, Centre d’Étude et de Promotion de la Lecture, 1974, p. 181. Je souligne le mot « confiance ».
[9] Bertrand Russell, Science et religion, Gallimard, Idées NRF # 248, 1971, p. 175-177.
[10] Blaise Pascal, Pensées, # 423.
[11] Voir Harry G. Frankfurt, Les raisons de l’amour, Circé, 2006.
[12] Rudolf Otto, Le sacré. L’élément non rationnel dans l’idée du divin et sa relation avec le rationnel, Paris, Payot, 1968.
[13] Mircea Eliade, Le sacré et le profane, Paris, Gallimard, 1965.
[14] Saint Augustin, Confessions, 10, XXVII.
[15] Thomas Hobbes, Léviathan, Paris, Gallimard, 2000, livre IV, 45, p. 913.
[16] Bertrand Russell, The Scientifique Outlook, Londres, Rourtledge, 2001, p. 27. Première édition, 1931. Ma traduction.
[17] Bertrand Russell, Histoire de la philosophie occidentale, Paris, Les Belles Lettres, 2011, tome I, chapitre XIII, p. 536.
[18] Là-dessus, je renvoie en français à l’ouvrage de Jean-Cassien Billier, Introduction à l’éthique, PUF, 2010.
[19] Aristote, Éthique à Nicomaque, Livre II, 1103b 25.
[20] Ibid, 1105b 71-88.
[21] Ibid., Livre III, 10, 1115b 35 – 1116a 1-4. Je souligne.
[22] Voir plus bas note 11.
[23] Frankfurt, op. cit., p. 54.
[24] Ibid., p. 51.
[25] Ibid., p. 48.

jeudi 26 décembre 2013

vendredi 20 décembre 2013

samedi 23 novembre 2013

CHARTE DE LA LAÏCITÉ ET LIBERTÉ D'INGÉRENCE


Isaiah Berlin
Le débat sur la charte de la laïcité pose le problème fondamental de la liberté dans une société démocratique. Loin d’apaiser les appréhensions des anti-chartistes, le projet de loi de charte, déposé à l’Assemblée nationale, le 7 novembre dernier, par le ministre des Institutions démocratiques, Bernard Drainville, attise leurs craintes. L’objection principale des anti-chartistes veut que l’adoption de l’éventuelle charte brime les libertés individuelles, dont le droit à la liberté de conscience et de religion reconnue dans la Charte québécoise des droits et libertés. Rappelons que le projet prévoit l’interdiction du port de signes religieux apparents pour l’ensemble des employés de l’État. Or, l'article 10 du projet de loi prévoit que «toute personne ou société avec laquelle (le gouvernement) conclut un contrat de service ou une entente de subvention» pourrait être assujettie aux mêmes obligations. Bref, le gouvernement péquiste de Pauline Marois entend subrepticement contraindre un grand nombre d'entreprises privées à adopter la politique du gouvernement en matière de laïcité. En fait, en donnant dans la charte une définition large à la notion d'« organisme public » (art. 2), en permettant qu'un tel organisme puisse imposer à un tiers (fût-il privé) avec qui il contracte ou qu'il subventionne l'application de la charte, notamment l’interdiction du port de symboles religieux par ses employés (art. 10) et en s'autorisant, sans préciser les balises de ce pouvoir, à assujettir à l'application de cette charte « un organisme, un établissement ou une fonction à caractère public, ou une catégorie de ceux-ci » (art. 37), il paraît évident que le gouvernement souhaite étendre le plus loin possible les tentacules de l'État. Les anti-chartistes y décèlent avec raison la mainmise de Big Brother dans les affaires privées des citoyens portant atteinte à leur liberté.

            Qu’est-ce que la liberté? C’est la question que pose le philosophe britannique Isaiah Berlin (1909-1997) dans son essai, devenu un classique incontournable de la philosophie politique, «Deux concepts de liberté»[1], écrit en 1958, dans sa conférence inaugurale au poste de professeur de philosophie à l’Université d’Oxford. Charles Taylor étudia à Oxford sous la direction de Berlin. Dans l’essai, Berlin distingue deux conceptions radicalement opposées de la liberté : la liberté dite «positive» et la liberté «négative».

            Ainsi, je suis libre « négativement » dans la mesure où personne ne vient me gêner dans mon action. Lorsque je traverse au feu de circulation vert, j’exerce ma liberté «négative» au sens où les automobilistes doivent me céder le passage. Les droits à la vie, à la liberté et à la propriété sont « négatifs » en ce sens : personne NE DOIT EMPÊCHER quiconque de les exercer. Respecter la vie de l’autre : c’est NE PAS lui porter atteinte; respecter sa liberté : c’est ne pas l’entraver dans ses actes et ses choix; respecter sa propriété : c’est ne pas lui prendre contre sa volonté ce qu’il possède ou encore, ne pas limiter l’usage qu’il peut en faire. Ainsi, ces droits négatifs commandent à tous les citoyens de même qu’à l’État de ne pas accomplir des actions qui entraveraient l’exercice de ces droits par leurs détenteurs. Les anti-chartistes sont donc partisans de la liberté négative.

            Au contraire, je suis libre « positivement » lorsque les autres font quelque chose pour que je puisse accomplir mon action. La liberté d’être éduqué est une liberté positive en ce sens que nous devons tous contribuer à mettre en place les conditions nécessaires permettant l’éducation de tous et chacun. Les droits dits « positifs », tels les droits à l’éducation, à la santé, à l’emploi, à un revenu minimum, à l’aide sociale, à l’entraide etc., commandent aux citoyens ainsi qu’à l’État d’accomplir des actions qui permettent à ceux qui en sont reconnus détenteurs de les exercer pleinement. Ces droits sont aussi appelés, droits « socioéconomiques ». Ils sont apparus vers la seconde moitié du XXe siècle avec le développement de l’État-providence.

Or, la charte du PQ fait appel à une conception «positive» de la liberté. Ce n’est pas au nom des libertés individuelles que le gouvernement Marois martèle la nécessité d’une charte mais au nom du bien-commun ou du bien vivre ensemble. En somme, il s’agit d’un soi-disant «droit collectif». Un peu comme la Charte de la langue française qui, au nom de la survivance du français au Québec, brime le droit des parents de choisir l’école de leur choix. Le ministre Drainville a de même soutenu que pour assurer la liberté de religion des citoyens, l’État ne doit adopter aucune religion. Très bien. Toutefois, de ce principe de liberté «positive» découle l’imposition aux employés de l’État une tenue vestimentaire libre de tout signe religieux ostentatoire parce ceux-ci brimeraient la liberté religieuse de certains citoyens. Donc, au nom du soi-disant «droit collectif» de la laïcité de l’État, celui-ci se trouve à devoir restreindre la liberté religieuse de ses citoyens-nes ! Beau paralogisme !

En somme, l’État restreint la liberté au nom de la liberté. En fait, si l’on prend en compte la distinction de Berlin entre les deux concepts de liberté, on devrait dire : l’État restreint la liberté négative au profit de la liberté positive. Car le concept de liberté auquel souscrit le projet de charte péquiste est bel et bien celui de la liberté positive. Ce concept de liberté positive que revendique le gouvernement revient en somme à déclarer: «Soyez libres, c’est un ordre!». Les partisans de la liberté négative l’ont bien démasqué et ne marchent pas dans le projet alambiqué du gouvernement. Il s’agirait selon eux d’une liberté d’ingérence dans la vie privée des gens.

Berlin a par ailleurs soutenu que les deux concepts de liberté étaient irréconciliables. Toutefois, en bon libéral, la préférence du philosophe allait pour la conception négative de la liberté comme absence d’ingérence. Il s’agit bien d’une «préférence» car, selon Berlin, opter pour l’une ou l’autre des conceptions de la liberté reste un choix personnel qu’aucun argument, aucune philosophie, ne saurait trancher. Mais, justement, parce que la liberté reste en définitive une «question de choix», tout comme l’adhésion à une foi religieuse, Berlin optait pour la conception négative de la liberté. La liberté de choisir, sans ingérence de l’État - ou de qui que ce soit – reste, selon le philosophe, une donnée fondamentale de la condition humaine qu’on ne saurait dépasser. Nous ne pouvons pas tout avoir, dit Berlin. La liberté négative et positive à la fois nous échappera à jamais. Les humains sont ainsi confrontés à un «pluralisme des valeurs» dont on ne saurait se sortir Gros-Jean comme devant. Encore une fois, malgré ce pluralisme irréductible, irréconciliable entre deux concepts de liberté, Berlin plaide en faveur de la liberté négative : la possibilité de choisir reste, à ses yeux, la seule planche de salut pour une société libérale et démocratique.

Il faut donc conclure que Berlin serait en désaccord avec le projet de charte du gouvernement péquiste parce que la charte plaide pour un concept positif de la liberté. L’illusion du gouvernement, c’est qu’il entend nous rendre libres. Il saurait pertinemment ce qui convient pour assurer la liberté de tous et de toutes en matière de religion. D’ailleurs, l’État prétend savoir ce qui est une «bonne» religion, de ce qui n’en est pas une. Le voile islamique, par exemple, serait odieusement «ostentatoire» tout en étant affectée de prosélytisme. Donc, il n’est pas acceptable. La petite croix des chrétiens? Celle-ci passe le test du pictogramme… Ridicule !

Au final, la tendance marquée de la liberté positive conduit sinon au totalitarisme déguisé, du moins à une forme odieuse de paternalisme. En effet, dans la conception de la liberté positive, l’État sait mieux que les citoyens ce à quoi ces derniers aspirent sans trop le réaliser. L’État, tel Big Brother, contraint alors ses sujets en vue de leur «bien», dans leur «intérêt» et non, évidemment, dans celui de l’État. Ce dernier, en effet, évoque sa soi-disante «neutralité».

Au contraire, le partisan de la liberté négative clame que personne ne peut le contraindre à être heureux à sa manière. Les êtres humains sont autonomes et leur autorité ultime réside dans leurs choix exercés librement. Certes, la conception négative de la liberté conduit à un individualisme décrié par bon nombre. Mais l’individualisme a aujourd’hui mauvaise réputation car il est fort mal compris. On confond trop souvent individualisme et égoïsme. Le premier implique simplement la volonté de vivre et d’assurer sa propre survie. En condamnant l’individualisme comme étant un exécrable égoïsme, on se trouve ainsi à justifier le collectivisme. En fait, celui ou celle qui ne veut pas sacrifier son intérêt personnel au bien de la société dans son ensemble est dénoncé comme étant «égoïste». Mais la société peut très bien être qualifiée à rebours d’«égoïste» dans la mesure où, dans le collectivisme, l’individu a l’obligation de se sacrifier pour elle. Dans ce cas, on parle certes d’intérêt «collectif» par opposition à l’intérêt individuel. Or, la recherche de l’intérêt individuel n’est pas forcément égoïste. Un parent qui veille sur la bonne éducation de ses enfants n’est pas de ce fait condamnable d’«égoïsme». Ne sait-on pas par ailleurs que ceux et celles qui ne s’aiment pas eux-mêmes n’aiment pas en retour les autres?

Berlin connaît bien l’écueil auquel peut conduire la liberté négative : l’individualisme débridé. Mais, toute chose étant bien considérée, la liberté négative lui paraît préférable, selon lui, à la liberté positive parce que cette dernière conduit à l’autoritarisme, voir au collectivisme. En somme, la liberté (positive) se renverse en son contraire !

La liberté positive répugne à Berlin surtout parce qu’elle conforte en réalité le «monisme» au détriment du pluralisme qu’il défend par ailleurs. Le «monisme» en philosophie, c’est la doctrine ontologique voulant qu’il n’existe qu’une seule valeur absolue et légitime à laquelle toutes les autres sont subordonnées. Voici comment Berlin décrit la croyance moniste : «Il est une conviction responsable plus que toute autre du sacrifice d’individus sur l’autel des grands idéaux de l’histoire, que ce soit la justice, le progrès, le bonheur des générations futures, la mission sacrée ou l’émancipation d’une nation, d’une race, d’une classe, ou encore la liberté elle-même qui exige la mort des uns au nom de la liberté de tous. Selon elle, il existerait quelque part, dans le passé ou l’avenir, dans une révélation divine ou le cerveau d’un penseur, dans les injonctions de l’histoire ou de la science, dans le cœur simple et bon d’un homme intègre, une solution ultime et définitive.»[2]

Il me semble que l’intégrisme laïque des farouches partisans de la charte péquiste adhère, non seulement à la liberté positive, mais surtout à la croyance monisme que condamne par ailleurs Berlin. La charte est en effet présentée comme la panacée à tous nos maux identitaires. Illusions funestes, s’il en est une, sur l’autel de laquelle nos libertés devront être sacrifiées.




[1] Traduit en français dans Éloge de la liberté, Paris, Presses-Pocket, 1990, pp. 167-218.
[2] Isaiah Berlin, «Deux conceptions de la liberté», op. cit., p. 213

samedi 12 octobre 2013

À PROPOS DE «LA MESSE DE L'ATHÉE» DE BALZAC

À Bernard Émond

Le célèbre personnage de «La messe de l’athée» d’Honoré de Balzac, le chirurgien Desplein, est athée. Il affirme «ne croire ni à l’homme ni a Dieu.» Pourtant, lorsqu’il fit la rencontre de Bourgeat, alors qu’il était jeune sans le sous, aux études en médecine, vivotant dans les bas-fond de la misère, son destin changea du tout au tout. Le pauvre Bourgeat lui donna tout en se sacrifiant pour lui, afin que Desplein réalise son rêve de devenir chirurgien. « Sans lui [Bourgeat] la misère m’aurait tué. », dit Desplein. Il se souviendra à jamais de son bienfaiteur qui lui prodigua une telle bonté «dont le souvenir le remue encore aujourd’hui». Aussi à la mort de son bienfaiteur charitable, le chirurgien, devenu célèbre entre-temps, fera chanter quatre messes par an auxquelles il assistera, tout en demeurant athée... Bourgeat fut, en effet, un catholique fervent, et pour honorer sa mémoire, Desplein, bien qu'incroyant, fit chanter des messes à sa mémoire. 

            C’est à ce point précis de la nouvelle de Balzac que le lecteur dérape – tout comme Horace Bianchon, le collègue et confident de Desplein. Bianchon s’étonne en effet de voir son illustre collègue assister à la messe. Bianchon demande des explications que Desplein s’empresse de lui fournir en lui racontant sa rencontre d'un pauvre Auvergnat, Bourgeat. Évidemment, l’athée qu’est Desplein ne rencontre qu’un homme – mais quel homme plein de bonté ! Pas la «Providence», à laquelle ce matérialiste pur et dur ne croit pas du tout.

            Donc, Desplein ne croit pas en Dieu, ni en la Providence par conséquent; mais il croit en la fidélité, à la bonté, bref, à l’amour-agapè dont parle saint Paul dans la première épitre aux Corinthiens (13), que manifeste extraordinairement Bourgeat à son égard. Dès lors, Desplein est comme divisé; dédoublé pour ainsi dire. « Ne connaissez-vous pas en moi, dit-il à Bianchon, un Desplein entièrement différent du Desplein de qui chacun médit ? » Desplein est un matérialiste qui ne croit pas en l’homme, car il n’est qu’égoïsme. Sa jeunesse misérable l’a profondément marqué. D’autre part, sa rencontre avec Bourgeat le bouleversa et le marqua à jamais. «Avec la bonne foi du douteur », Desplein dit à la messe : « Mon Dieu, s’il est une sphère où tu mettes après leur mort ceux qui ont été parfaits, pense au bon Bourgeat; et s’il y a quelque chose à souffrir pour lui, donne-moi ses souffrances, afin de le faire entrer plus vite dans ce que l’on appelle le paradis. »… Je vous le jure, je donnerais ma fortune pour que la croyance de Bourgeat pût entrer dans la cervelle. »

            Il faut bien être matérialiste pour croire que la foi, comme amour-agapè - l’amour-don - puisse nous «entrer dans la cervelle»! Dieu n’est pas dans le cerveau. Il se trouve dans le «cœur», comme se plaît à dire  Blaise Pascal. C’est la lubie d’un médecin matérialiste pour qui, tout doit s’expliquer uniquement par le comportement de la matière.

            Quoi qu’il en soit, Bianchon cru malgré tout que son collègue n’est pas mort athée. En tout cas, les croyants, eux, pensent que, tout comme Bourgeat est venu lui ouvrir les portes de la médecine, il lui ouvrit également «la porte du Ciel». Au fond, on en sait rien; Dieu seul juge.

            Il y a chez Desplein une sorte de cécité volontaire. Comme s’il fut incapable de voir ce vers quoi pointe le doigt; il ne voyait que le doigt. Le Frère André pour sa part n’a cessé de rappeler qu’il n’était pas l’auteur des guérisons qu’il prodiguait. Il n’était, disait-il, que «le petit chien de saint Joseph. »[1] « Le bon Dieu se sert souvent d’un vil instrument. »[2]

Bourgeat ne fut lui aussi que le vil instrument de Dieu pour soulager la misère de Desplein. L’illustre chirurgien était toutefois incapable d’admettre la réalité d'une Providence. Ce n’est pas Dieu qu’il célèbre dans les messes auxquelles il assiste. Il célèbre la mémoire du bon Bourgeat ! Tout comme saint Frère André l’aurait été, Bourgeat fut sans doute offusqué de cette marque d’affection pour sa propre personne. Pour un croyant, ce n’est pas en effet Bourgeat qui méritait ces actions de grâce, mais Dieu lui-même, dont le Frère André n'a cessé de louer la bonté : « Comme le bon Dieu est bon ! »[3] Évidemment, ce langage est parfaitement dénué de sens pour un mécréant.

Le croyant ne doit surtout pas aller vite en affaire en condamnant Desplein, de même que tous les incroyants, car nous sommes tous incroyants à des degrés divers. Nous manquons tous d’amour-agapè, vertu théologale par excellence. Prions Dieu pour qu’il augmente en nous l’amour-agapè. Car, « même si je puis transmettre des messages reçus de Dieu, posséder toute la connaissance et comprendre tous les mystères…, si je n’ai pas agapè, je suis rien», comme l’écrit si éloquemment l’apôtre Paul.




[1] Frère André disait souvent…, Recueil de paroles de frère André rapportées par ses amis, Montréal, Fides, 2010, p. 94.
[2] Ibid., p. 93.
[3] Ibid., p. 21.