Félicitations
! Tels les 300 Spartiates aux Thermopyles, vous vous êtes tenus debout en prenant
votre destinée en main ! Contre toute espérance, patiemment, courageusement. Vous
avez vécu des assemblées houleuses de triste mémoire. Vous aurez au moins
compris qu’il vaut mieux s’occuper de politique avant qu’elle ne s’occupe de
vous. Je vous invite à poursuivre sur votre belle lancée. Bien sûr, votre
priorité est à terminer la session. Excellent ! Votre adversaire, toutefois, vous
le savez, renaîtra éventuellement de ses cendres, tel un Phénix. Je veux parler
de votre association étudiante, l’AGECVM.
Non
pas que je souhaite son abolition. Sa réforme, oui, et ça urge. Ne laissez pas
des radicaux vous précipiter dans le gouffre ! Apprenez ce qu’eux-mêmes ne
connaissent peut-être pas véritablement. Qui sont-ils ? Que défendent-ils ?
Bien
sûr, vous me répondrez qu’ils en ont contre les mesures d’« austérité » du
gouvernement Couillard. Sans être faux, ce n’est pas tout à fait vrai. En
réalité, l’AGECVM n’en a pas tant contre l’ « austérité » que contre toute
forme d’AUTORITÉ. C’est le propre de cette pensée politique qu’on appelle
l’ANARCHISME (du grec signifiant littéralement sans pouvoir). Comme le disait le poète et chansonnier Léo Ferré, l’anarchie, c’est l’ordre moins le pouvoir.
L’Anarchisme, ce n’est pas l’anarchie au sens courant du terme, c’est-à-dire le
chaos ou le désordre. C’est l’absence d’autorité.
Vous
penserez sans doute : comme peut-on fonctionner en société sans autorité ? Bonne question, que je
relaie aux anarchistes eux-mêmes. Moi-même, j’ai peine à comprendre comment on
peut bien vivre sans forme légitime d’autorité. Eux-mêmes, parfois, parlent d’«
autorité légitime », mais je donnerais ma chemise pour qu’ils m’expliquent
clairement de quoi il en retourne.
Ils
évoquent alors leur valeur fondamentale, l’égalité.
S’ils haïssent tant les compressions budgétaires du gouvernement libéral, c’est
qu’il s’agit pour eux d’une atteinte grave portée à leur valeur phare,
l’égalité. D’après eux, les libéraux veulent creuser encore davantage l’écart
entre les pauvres et les riches en faisant payer les pauvres et non les riches
qui s’enrichicheraient encore plus. Vue sous cet angle, c’est en effet proprement
odieux ! Mais attention, aussi odieux que cela paraisse, il s’agit précisément
d’une apparence. Pas la réalité. En tout cas, le gouvernement Couillard dit
lutter contre le déficit budgétaire afin de juguler la dette publique
astronomique avoisinant les 275 milliards (avec 11 milliards d’intérêt par
année). On n’est pas en Grèce ou en Espagne, mais on s’y en approche
dangereusement, si le gouvernement ne boucle pas son budget, comme ne l’ont pas
fait les gouvernements précédents en cumulant leur déficit budgétaire dans la
dette. Par ailleurs, les coupes du gouvernement ne touchent pas les services,
mais les dépenses. Les dépenses sont réduites, point à la ligne.
Peu
importe, disent les anarchistes. La justice sociale est mise à mal. Avec
l’austérité, on assisterait au « saccage », au « démantèlement », bref à l’effondrement
du modèle québécois d’État-providence. Il ne s’agit, en fait, que d’enflure
verbale. Mais, continue l’arnarchisme, il faut lutter contre ce gouvernement
qui accroît les inégalités au lieu de les réduire. Augmentant les inégalités,
il accroît l’autorité, puisque là où il y a inégalité, il y aurait forcément
autorité illégitime. D’où l’idée fondamentale de l’anarchisme voulant que la
lutte en faveur de l’égalité implique
la lutte contre l’autorité.
Mais
il y a plus. La source de tous les maux, selon l’anarchisme – des inégalités, en somme - c’est le fameux droit de propriété. Quand quelqu’un
décide que telle et telle chose lui appartient, c’est là que tout commence à
aller de travers. Aux yeux de l’anarchisme, il est donc impératif d’abolir toute
forme de propriété en mettant tout en commun.
C’est l’anarcho-communisme. Selon le
mot célèbre du premier anarchiste à s’affubler de ce titre, Pierre Joseph Proudhon
(1819-1865), « la propriété, c’est le vol
! » On entre alors de le mysterium
suprême de l’anarchisme. Comment se départir de cette tendance bien naturelle,
voire instinctive, à posséder ce dont on est le créateur ou le constructeur,
sans que personne soit fondé à faire valoir des titres spéciaux et exclusifs de
possession ? Les artistes, c’est bien connu, revendiquent des droits d’auteur.
Doivent-ils les céder puisque leur création ne leur appartiendrait pas ?
L’ont-ils volé à d’autres, comme le clame Proudhon ? C’est sur ce point que porte
le nerf de la guerre. L’anarchisme prétend que la propriété privée est
fondamentalement illégitime et source d’égalité et, donc, d’autoritarisme.
Bon.
Je m’arrête parce que la discussion de l’anarchisme est sans fin. Un dernier point
seulement encore. Supposons un père de famille qui doit établir son testament
en distribuant ses biens à ses cinq enfants. Imaginons qu’il soit anarchiste.
L’aînée est handicapée, clouée à un fauteuil roulant. Le second est un tombeur
de jupons; il consomme de la drogue. Le troisième est un poète qui vit d’amour
et d’eau fraîche. Le quatrième est un manœuvre. Le cinquième est un riche
entrepreneur. Comment ce papa anarchiste devrait-il répartir également ses
biens ? La question n’est pas simple; elle soulève toute la complexité du
concept d’égalité.