dimanche 20 février 2011

René Lévesque crucifié. À propos du crucifix à l’Assemblée nationale et de la séance de prière dans les mairies du Québec

La philosophie a souvent recours à la science-fiction, plus précisément à ce qu’on appelle des «expériences de pensée » et ce, afin de mieux comprendre et d’évaluer une situation ou une question complexe. Nul doute que l’Allégorie de la caverne de Platon constitue une des plus célèbres expériences de pensée permettant de mieux comprendre notre situation vis-à-vis la connaissance de la vérité. Platon a proposé cette autre expérience de pensée avec l’Anneau de Gygès qui rend invisible : il est alors possible de tester sa propre moralité sous couvert d’invisibilité. Il y a plus de trente ans le philosophe américain John Rawls devait sa gloire à sa fameuse situation originelle sous le voile d’ignorance où nous aurions convenu du contrat social à la base de la plus juste des sociétés.

Allons-y donc d’un peu de science-fiction pour mieux être en mesure de juger du fameux crucifix surplombant l’Assemblée nationale qui fait couler tant d’encre aujourd'hui.

Imaginons que nous sommes en 2050 au Québec. Un référendum a eu lieu un an plus tôt à la faveur des tenants du Oui. Afin d’honorer les Pères de la nouvelle nation, l’Assemblée nationale du Québec décide de placer la photographie de René Lévesque au mur où trône actuellement le fameux crucifix. L’opposition officielle même en convient. Cependant, la photographie de Lévesque dérange les antitabagistes puisque l’illustre souverainiste porte tout proche de sa figure son éternel mégot. Ils conviennent que la photograohie de René Lévesque a sa place, mais la cigarette est de trop. Pour les antitabagistes, c’est René Lévesque sans cigarette ou rien du tout. L’Assemblée nationale, au contraire, vote unanimement pour le maintien de la photo de Lévesque avec sa cigarette parce que, soutient-t-on, le personnage de René Lévesque n’est pas sans sa cibiche – comme disent nos cousins français. Mais les opposants n’en démordent pas. Ils veulent inscrire dans la nouvelle Constitution québécoise un article condamnant la moindre trace ou allusion dans l’espace publique au tabagisme. Le président de la nouvelle république québécoise, dont le nom de famille est Dumaurier («Régulier» étant son prénom...) est d’ailleurs souvent pris a parti par des radicaux antitabagistes, bien qu’il soit non-fumeur. On a beau leur répéter ad nauseam que Dumaurier n’est qu’un nom de famille traditionnel et usuel, rien ne calme leur ardeur. Les antitabagistes rappellent avec raison que l’État québécois a adopté progressivement des politiques et des règlements sévères contre le tabagisme ; la cigarette étant désormais interdite dans tout endroit public, dont en particulier à l’Assemblée nationale. À cet égard, les films d’une lointaine époque où l’on grille cigarette sur cigarette font désormais objet de censure. Dans ce contexte, voir René Lévesque trôner avec sa cigarette à l’Assemblé nationale leur paraît parfaitement scandaleux, voire odieux.

Quelqu’un a déjà dit que le vrai problème, ce n’est pas la religion, mais le fanatisme ?


À l’évidence, les revendications fictives des antitabagistes pèchent par leur radicalisme. Dans une perspective d’une éthique de la vertu, l’antitabatigisme fait dans le « pas assez» ; on manque franchement d’ouverture, de souplesse ou de libéralité. Le vice opposé fait, de son côté, dans l’excès, dans «le trop». Or, la vertu,  réside dans le juste milieu, entre le «pas assez» et le «trop». Par conséquent, je suis d’avis que les défenseurs de la laïcité ouverte tiennent la position la plus raisonnable.

1 commentaire:

  1. La comparaison entre la photo de Lévesque et du crucifix, ça tient du lien causal douteux. En effet, il y a une différence entre un symbole religieux qui, en soi, remet en cause la neutralité de l'État et une photo qui, indirectement (la cigarette n'est pas l'objet central de la photo), viole vaguement l'esprit d'une loi actuelle (en effet, la loi anti-tabac interdit la publicité et ne vise pas les représentations artistiques). Dans le premier cas, on peut raisonnablement présumer que la crucifix enfreint un/e droit/loi fondamental/e (article 2a de la charte) alors que, dans le second, ce serait plutôt de vouloir interdire cette photo qui enfreindrait la charte (article 2b).
    Conclusion : c'est ben beau les expériences de pensée, mais encore faut-il les maitriser.

    P.S. Le renvoi à la question du «fanatisme» est, ici, un faux étalon dans la mesure où, je suppose, on fait appel au «common sens» du lecteur. Je vois mal en quoi cette connivence (fabriquée à l'aide d'une grossière exagération) permet de prétendre rationnellement que le fait d'enlever le crucifix relève du fanatisme. En ce qui me concerne, je préfère m'appuyer, avec un soupçon de réserve toutefois, sur une tradition de Common law d'environ 1000 ans qui repose sur des ajustements ayant eu court dans le vrai monde, pour terminer avec un clin d'oeil à Platon.

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