mercredi 19 janvier 2011

DU BON USAGE DE L’ATHÉISME EN DIX OBJECTIONS. À propos du Québec athée de Claude M. J. Braun (Michel Brûlé, 2010)

Dieu et Dieu font trois.
Raymond Devos

IIIe et dernière partie




8. Contrairement à l’observation et à la raison, la foi est vaine et inefficace. Depuis les Lumières, en effet, la foi est dénoncée comme étant une pseudo-connaissance; on la démasqua alors comme n’étant qu’une simple croyance ridicule, comme lorsque les Grecs croyaient que la foudre exprimait la colère de Zeus. Or, la foi, ou la croyance religieuse chrétienne en particulier, est un phénomène complexe et davantage qu’une simple croyance plutôt surprenante et ridicule. D’abord, croire est un phénomène mental complexe comportant ce qui est cru, le contenu de la croyance, d'une part, et – comme disent les philosophes analytiques – l’attitude à l’égard de ce contenu qui est celle de la croyance, d'autre part. Le philosophe Thomas Hobbes (1588-1679), qu’on ne peut pas accuser d’avoir été croyant, fut le premier à poser une distinction capitale entre croire-que et croire-en. (Léviathan, Livre 1, chapitre 7) La croyance religieuse, d’après Hobbes, comporte non seulement un croire-que – donc, ce qu’on appelle dans le jargon, une «attitude propositionnelle», c’est-à-dire une attitude à l’égard d’une proposition. Dans le cas du chrétien, il s’agira de croire que Jésus est ressuscité des morts. En fait, il s'agit surtout d'un croire-en – l’attitude à l’égard d'une proposition, en l'occurrence, la croyance en la résurrection. David Hume (1716-1776) dira de son côté que si le contenu propositionnel de la croyance – le croire-que - est seul susceptible de vérité ou de fausseté, la croyance elle-même – le croire-en - n’est pas susceptible de vérité ou de fausseté (voir le Traité de la nature humaine, Livre I, III, VII). Au Québec, un souverainiste croit en la souveraineté du Québec. S’il croit que le Québec sera souverain en 2050, le contenu propositionnel de sa croyance est possiblement vrai ou faux. Sa croyance en la souveraineté, cependant, n’est elle-même ni vraie ni fausse, mais, disons, sincère ou non.

Distinguons donc le croire-que du croire-en à l'intérieur de la foi. Or, le croire-en est essentiel à la foi; il a même priorité sur le croire-que. Ainsi, quand, dans les Évangiles, Jésus s’exclame devant une femme étrangère qui croit en lui : «Oh! que ta foi (pistis) est grande!» (Matthieu 15, 28), Jésus veut sans doute dire que la foi de la dame est un croire-en puissant et profond. Saint Paul va jusqu’à dire dire que «quand j’aurais la foi (pistin) la plus totale, celle qui transporte les montagnes, s’il me manque l’amour (agapèn), je ne suis rien.» (1 Corinthiens 13 2). Ce croire-en semble donc impliquer logiquement le croire-que, et non l’inverse, car je peux bien croire que Jésus est le Fils de Dieu, comme l’enseigne l’Église, mais cela m’importe guère. Par conséquent, ce qui importe dans la foi c’est le croire-en qui, s’il faut en croire Paul, réside dans l’amour (agapè).

Or, le croire-en comme agapè est précisément ce que l’Église – Thomas d’Aquin, encore lui – désigne comme étant la foi, vertu théologale. Il s’ensuit que la foi est essentiellement une vertu – une excellence (grec aretè). L’athée qui rejette la foi comme vaine et inefficace, rejette donc une vertu, précisément ce qui comporte le plus de valeur, l’excellence même. D’ailleurs Dieu, serait de cette nature, l’excellence par excellence, l’agapè. Donc, en rejetant le croire-que de la foi, les athées rejettent le croire-en, la vertu par excellence. L’eau du bain ainsi que le bébé, pour ainsi dire.

9. L’explication naturelle suffit, l’explication surnaturelle est superflue. Il y a une phrase fort intrigante dans l’œuvre maîtresse de Darwin, L’origine des espèces (1859). Dans le dernier chapitre, en effet, où Darwin évoque les difficultés auxquelles est confrontée sa théorie, on lit:

L’analogie me pousse donc à penser que tous les êtres organisés qui ont vécu sur la terre descendent probablement d’une même forme primordiale dans laquelle la vie a été insufflée à l’origine.

Une interprétation plausible de la phrase précédente veut que Darwin croit que la vie aurait été insufflée à la matière inerte par un Être supérieur, Dieu. En tout cas, Darwin paraît incapable d’expliquer de manière naturaliste le passage de la matière inorganique à des êtres vivants. Le titre de son ouvrage offre moins, en définitive, que ce qu’il annonce.

Quoi qu’il soit, revenons au neuvième argument athée. Qu’y avait-il avant le fameux Big Bang? La physique n’est pas en mesure de dire quoi que ce soit sur ce sujet épineux. Aussi, la question de savoir ce qu’il y avait avant le Big Bang, d’où est issu et de quoi était constitué ce point minuscule et dense contenant en germe notre univers, ne se pose pas selon l’athée. Or, la question est parfaitement légitime, même si aucune réponse n’est encore avancée par la science. En fait, toujours depuis les Lumières, les questions de ce type - les questions philosophiques et religieuses, les questions de sens – sont frappées d’interdit. La Science est notre maître à pensée sans partage. Il est malgré tout légitime de réfléchir métaphysiquement. La fameuse question que Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716) soulève dans ses Principes de la Nature et de la Grâce fondés en raison (1714) : « Pourquoi y a-t-il plutôt quelque chose que rien ? À supposer que des choses doivent exister, pourquoi doivent-elles exister ainsi et non autrement? » est parfaitement légitime. Si Dieu existe, pourquoi doit-il exister? Quelle est la raison d’être de son existence? Pourquoi Dieu existe-t-il? L’athée rejette ces questions comme étant dénuées de sens.

Considérons le raisonnement suivant issu d’Aristote :

(1) Toute chose qui est venue à l’existence provient d’une cause qui existait antérieurement.

(2) L’univers est apparu il y a 15 milliards d’année.

(3) Par conséquent, l’univers a une cause qui lui est antérieur.


L’athée rejette ce raisonnement pourtant tout à fait légitime. Qu’est-ce qui ne va pas selon lui? Pour l’athée, l’univers ne provient de rien, se serait fait à partir de rien et pour rien. Il s’agit là, évidemment, de la croyance athée. Sur ce point, on ne peut pas taxer les croyants d’irrationalité puisque la croyance niant la prémisse (1) paraît encore plus irrationnelle que la croyance en Dieu comme cause première de l’univers, car il est irrationnel de croire que quelque chose apparaisse à partir de rien, que ce soit l’univers dans sa totalité ou l’électricité qui alimente mon ordinateur.

La réplique usuelle de l’athée est la suivante: «D’accord. Alors, si toute chose a une cause, d’où vient Dieu? Quelle est sa cause?» La réplique paraît imparable; mais elle se méprend sur la signification de la première prémisse puisque celle-ci affirme que toute chose qui est apparue un jour provient d’une cause qui lui est antérieure, et non pas que toute chose a une cause qui l’a précédée. Ainsi, quelque chose d’éternel – qui n’a donc pas besoin d’une cause pour sa naissance – se suffit à lui-même; il a toujours été.

Dans Breaking the Spell. Religion as a Natural Phenomenon (2006), Daniel Dennett soutient que l’univers a bel et bien une cause: c’est lui-même! En appliquant «le truc qui consiste à se faire tout», comme il l'appelle, l’univers, dit-il, s’est lui-même créé. Le «truc» en question est en réalité la croyance que l’univers s’est auto-créé. Or, c’est impossible. En effet, pour que l’univers puisse s’être auto-créé, il faut au préalable qu’il exista d’une certaine manière; donc, il existait avant d’exister, ce qui est parfaitement incohérent.

Il s’ensuit que la cause à l’origine de l’univers doit transcender l’univers, c’est-à-dire qu’elle est elle-même non-causée. C'est la Cause Première. Dieu. Puisqu’Il a créé le temps et l’espace, Dieu est intemporel et immatériel. Il est tout-puissant puisqu’Il a engendré tout l’univers. On peut maintenant répondre à la question métaphysique de Leibniz : Pourquoi y a-t-il plutôt quelque chose que rien ? À supposer que des choses doivent exister, pourquoi doivent-elles exister ainsi et non autrement? L’univers existe, personne n’en doute, et les astrophysiciens affirment que l’univers n’a pas toujours existé : il est apparu il y quelques 15 milliards d’années. Or, pour que l’univers soit venu à l’existence, il faut une Cause Première, non-causée par une autre cause. Pourquoi Dieu existe-t-il? Puisqu’il a toujours été, la question de son existence ne se pose pas. Il est lui-même la raison d’être de son existence.


10. L’athée ne croit pas s’il n’a pas envie de croire. Il croira lorsqu’il rencontrera un bon argument. De tous les arguments en faveur de l’athéisme proposés par Claude Braun, le dernier est le plus pitoyable. L’athée se trouve ici dans la même situation que ceux qui luttent contre la pornographie en tentant vainement de la définir: il y en a seulement que lorsqu’ils en voient. D’autre part, il ne faut pas trop miser sur les arguments en matière de conversion religieuse. Si, comme je le pense la foi est une vertu, alors, en accord avec Aristote, je crois qu’il faut plutôt miser sur le rôle capital de l’éducation à la vertu. Malheureusement, dans une société libérale comme la nôtre, où l’enseignement religieux est mis au pilori de l’endoctrinement, il ne faut pas non plus compter là-dessus. On peut au moins espérer que le débat éveille les consciences. N'oublions pas que l'espérance - avec la foi et la charité - est tenue comme une vertu théologale. Tout est affaire de vertu. Dieu lui-même n'est que vertu, et si l'on a de la difficulté avec la foi et l'espérance, on peut toujours prier Dieu de nous faire partager ces vertus essentielles car il est de la nature du vertueux de partager. Cela s'appelle de la générosité, mieux de l'amour. 

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