samedi 7 mars 2015

Le mantra du Bonhomme Sept-Heures : le néolibéralisme. Réplique à Éric Martin (L'«austérité», projet politique bien réel, Le Devoir 5 mars 2015)

« Le mot 'néolibéral' est maintenant surtout brandi comme une insulte. Un peu comme 'Hitler', 'nazi' ou 'fasciste', des termes qui, dans toute discussion enflammée, servent à jeter un discrédit instané sur l'adversaire. » Mario Roy, La Presse
 
Je remercie mon collègue Éric Martin des précisions qu’il apporte concernant les raisons qui justifieraient l’exercice d’« austérité » du gouvernement Couillard. Enfin, voilà matière à penser ! Malheureusement, l’explication de la soi-disante austérité néolibérale de mon collègue tombe à plat. Voici comment.

            Il s’agit de démontrer que la rigueur budgétaire – l’« austérité » - de l’actuel gouvernement Couillard suivrait une force occulte politique appelé « néolibéralisme » qui, tel un spectre, hanterait le monde occidental, dont le Québec, depuis les années 1980. Le mantra de la gauche veut que ce spectre origine du règne honni de Margaret Thatcher, l’hideuse « Dame de Fer » - qui, pourtant, a pu remettre sur ses rails un Royaume-Uni qui périclitait sous les Travaillistes qui multipliaient les nationalisations. Comme le disait l’économiste Pierre Fortin, on assiste au retour du bon vieux Bonhomme Sept-Heures (L’actualité, octobre 2012). Le Québec n’a rien de néolibéral, écrit l’économiste. « Chez nous, le poids de l’État dans l’économie est plus important que partout ailleurs en Amérique du Nord. Il s’est même accru depuis 30 ans. Les dépenses provinciales et municipales équivalent à 34% de notre revenu intérieur, contre 24 % dans le reste du Canada. Aucun État américain ou autre province canadienne n’a un taux de couverture syndicale aussi important que le nôtre (39%). Le pouvoir d’achat de notre salaire minimum est parmi les plus élevés d’Amérique du Nord. Le Québec est le seul État sur ce continent où, globalement, les inégalités de revenu n’ont pas augmenté depuis 35 ans. »

            Le fameux néolibéralisme n’est qu’un épouvantail pour faire peur au monde. « Un spectre hanterait le Québec avec l’austérité. » C’est faire peur à nos jeunes qui sont vulnérables. On veut leur faire croire au Bonhomme Sept-Heures ! On est bien loin de l’éducation à l’esprit critique.

Plus prosaïquement, la rigueur budgétaire actuelle du gouvernement Couillard vise l’équilibre budgétaire devant le coup onéreux du fameux « modèle québécois » mis en place dans les années ’60 qui déstabilise l’équilibre budgétaire. On a mis en place un État-providence, une grosse machine, digne de Léviathan, visant à régler une bonne fois pour nos responsabilités vis-à-vis les plus démunis. Aujourd’hui, on se retrouve avec une dette de 273 milliards dont les intérêts s’ajoutent à chaque minute.

La cause de l’« austérité », ce n’est donc pas le néolibéralisme, mais la triste réalité commune à la vie économique des humains : il faut rembourser un jour ce qu’on a emprunté. La Grèce apprend, dans ses chairs, cette navrante réalité. Sans surprise, le parti socialiste au pouvoir en Grèce accuse le Fond Monétaire International et la Banque centrale européenne, d’empocher les deniers issus des mesures d’« austérité ». C’est toujours l’Autre qui a tort. Jean-Paul Sartre semble avoir raison pour la gauche bien-pensante : l’enfer, c’est les autres.

L’Autre, il va de soi, en tout premier lieu, c’est le riche. L’infâme riche. Le paria de la société. 5% des riches au Québec paie 50% de la totalité des impôts. 41 % de la population ne paie aucun impôt. Vaches à lait, les riches. Et pourtant, on continue à les humilier.

Les talents et la richesse étant distribués aléatoirement et arbitrairement, John Rawls, le grand philosophe politique de la sociale-démocratie, soutenait que personne ne mérite ses talents et excellences et que, en conséquence, chaque talent ou excellence doit servir aux plus démunis. Ayn Rand parlait de « cannibalisme moral ». On se moque bien de cette américaine d’origine russe qu’on aime qualifier de « prêtresse du capitalisme ». Avec Rawls, c’est du sérieux : le cannibalisme moral est un état de fait.

Le bréviaire de Margaret Thatcher était un discours du l’ancien président des États-Unis, Abraham Lincoln. Or, à ce que je sache, le règne Lincoln n’avait rien du néolibéralisme. Voici quelques lignes du discours de Lincoln que j’invite à méditer avant de crier au Bonhomme Sept-Heure : « On ne peut donner la force aux faibles en affaiblissant les forts. On ne peut aider l’employé en terrassant son employeur. On ne peut développer la fraternité humaine en encourageant la haine des classes. On ne peut aider les pauvres en détruisant les riches. On ne peut rien construire de solide sur l’argent emprunté. » (cité dans Margaret Thatcher par Jean-Louis Thiériot, Perrin, 2011, p. 226).

J’adresse, pour clore, une question à Éric Martin, défenseur de la formation générale au collégial. S’il faut maintenant transformer le monde, comme l’indique Marx, puisque la philosophie serait dépassée, à quoi sert alors les cours de philosophie au collégial payés en grande partie par les vilains riches ? La prière des anti-austérités est celle-ci : Payez, payez pour nous. Ainsi soit-il !

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