vendredi 24 février 2012

GRÈVE ÉTUDIANTE: LE POINT DE VUE D'ARISTOTE. Petit guide d'auto-défense philosophique à l'usage des pro-hausse

Tout l’or qui est sur terre ou sous terre ne vaut pas la vertu.

Platon, Les lois 728a

Des lecteurs me pressent d’exposer ma position à propos du sujet de l’heure, la grève étudiante. Je me suis pourtant prononcé dans ce blogue sur le sujet (voir http://enquetedesensjl.blogspot.com/2010/03/aristote-et-la-teleologie-quaurait.html). Par ailleurs, le lecteur de mon dernier essai, Plaidoyer pour une morale du bien, sait où je loge à cet égard. Je défends en effet une position néo-aristotélicienne où la notion de vertu y tient une place centrale. Je sais pertinemment que ma position est fort audacieuse, voire révolutionnaire. Certains voudront me lapider ou me mettre au pilori. Peu importe. Je fais mien le mot de Spinoza dans son Traité de politique: «Ne pas railler, ne pas pleurer, ne pas haïr, mais comprendre.»

            La grève contre la hausse des frais de scolarité soulève un débat de fond qui intéresse au premier chef la philosophie politique laquelle s’interroge principalement sur la nature et le rôle de l’État. Derrière la lutte actuelle contre la hausse des frais de scolarité, les associations étudiantes militent en réalité pour faire reconnaître un  droit à l’éducation gratuite aux niveaux supérieurs. Comme le remarque justement le sociologue Guy Rocher, «Au moment de la Révolution tranquille et depuis celle-ci, la gratuité des études jusqu’au cégep a été instituée et maintenue dans un but de justice sociale[1]

En somme, la grève soulève la question de la juste redistribution des biens et services par l’État. À ce propos, il y a en a pour qui l’État n’a pas sa raison d’être et n’a donc pas à redistribuer les biens, dont l’éducation. Ce sont les libertariens. Pour les «libéraux», au contraire, l’État, sous forme de l’État-providence, doit assurer la gratuité scolaire, du moins au primaire et au secondaire. Les socio-démocrates vont plus loin et exigent la gratuité scolaire à tous les niveaux de l’éducation. Pour ces derniers, l’égalité des chances, voire l’égalité économique est fondamentale. Or, l’égalité, vertus premières des socio-démocrates, contrecarre la liberté. Ce qui signifie que plus que vous visez l’égalité, plus vous restreignez la liberté de certains.

Selon des chiffres (que je n’ai pu, je l’avoue, vérifier encore), seulement 55% de la population québécoise paie des impôts. Tout le monde sait, par ailleurs, que le fardeau fiscal des Québécois est déjà passablement élevé. Je vous laisse imaginez ce que représenterait le surpoids lorsqu’on y ajoute la gratuité aux niveaux de l’éducation supérieure réclamée par les socio-démocrates!

«La liberté des uns», écrivait Isaiah Berlin, «dépend des limites que s’imposent les autres.»[2] Donc, pas d’égalité sans perte en contrepartie de liberté. Au Québec, 55% des Québécois se privent de liberté pour les autres. La situation est donc clairement injuste, et en rajouter avec la gratuité scolaire à tous les niveaux est tout simplement inqualifiable sur le plan de la justice sociale.

            S’il faut éviter à tout prix l’enfer égalitaire que nous promettent les socio-démocrates, il faut également éviter le vice opposé des libertariens où un petit nombre seulement est libre, et où les inégalités sont hallucinantes. Il faut donc préférer le juste milieu entre ces deux extrêmes. C’est la solution «libérale» (ou «conservatrice», c’est selon) qu'aurait proposée Aristote. Mais la position libérale a aussi ses faiblesses qui, il est vrai, sont aussi celles des deux autres positions. Cette faiblesse c’est l’admission des droits sacro-saints de la personne.
Il y a chez bon nombre de nos contemporains une soif jamais inassouvie de tout régler par des lois, par des chartes, des droits, etc. Les grévistes étudiants revendiquent un droit à l’éducation. Qu’on soit pour la grève ou non, on reste prisonnier d’une éthique «légaliste» des droits où tout ce qui relève de la morale doit désormais passer par la loi, les règlements et des politiques. C’est l’Empire des Droits qui contre-attaque. Le philosophe Martin Blais s’est jadis élevé contre ce qu’il appelait l’empire du «juridisme» en matière de moralité: «S’adonner à la culture de ces qualités que sont la justice, le courage et la modération, c’est administrer au poison du juridisme son seul antidote efficace.»[3] Sage parole.
            C’est ici que nous rejoignons les fameuses vertus (aretè) qui occupent une position centrale dans la philosophie politique d’Aristote.

            Posons brutalement la question : devons-nous tout mettre en commun? Partager tous les biens, ceux dont nous sommes propriétaires, qui nous appartiennent? C’est la proposition de Platon dans La République. Pas celle d'Aristote. Si tout bien est commun, alors qui voudra travailler pour produire les biens primaires? Le communisme de Platon conduit à vie la plus misérable qui soit.
            Il faut donc admettre la propriété privée si l’on souhaite vivre dans une société heureuse. En effet, celui en effet qui possède un bien en prend soin; il l’entretien afin qu’il perdure et ne s’épuise pas. Par son travail, il jouit de son bien. Il peut, en outre, le partager avec ceux qui ne possèdent pas ou pas beaucoup. Au départ, en tout cas, pour partager, il va de soi qu’il faille posséder quelque chose.
Comme l’écrit Aristote dans le deuxième livre de la Politique, chapitre 5 : «D’abord, chacun administrant séparément ses biens il ne surgira aucune récrimination des uns contre les autres; au contraire la situation s’améliorera du fait que chacun s’occupera avant tout de ses affaires. Ensuite, grâce à la vertu, il en sera, concernant l’usage des biens, comme le dit le proverbe : ‘tout est en commun entre amis’.»[4]
            La propriété privée – tant décriée par les anarchistes ainsi que les communistes[5] - est donc à la source des vertus : pas d’amitié, de générosité, de justice, etc., sans propriété privée. Ainsi, celui ou celle qui prend soin de son bien, fait preuve de vertu car il ou elle est tempérant; il ne veut pas que son bien s’épuise rapidement en le consommant ou en le gaspillant. Il pourra ensuite témoigner de sa générosité en donnant à ceux et à celles qui ne possèdent pas ou qui possèdent moins. Le contraire se rencontre souvent lorsqu’il s’agit de biens communs, comme l’avait jadis montré Garett Hardin (1915-2003) dans son fameux essai datant de 1968, «La Tragédie des Biens Communs».(6) Hardin (1915-2003) dans son fameux essai datant de 1968, «La Tragédie des Biens Communs».[6]HarharHHar
Un législateur, lui-même vertueux, c’est-à-dire juste, sage, généreux, amical, etc., comprend alors qu’il faille tout mettre en place pour que s’exerce la vertu des citoyens, qui est seule garante de leur bonheur (eudémonia). Comment, dès lors, doit-il distribuer les biens mis en commun par amitié (philia)? Évidemment, le législateur doit être juste. Qu’est-ce à dire? En quoi consiste la vertu civique de justice (dikè)? Nous, modernes, vivant dans des démocraties, lorsque nous pensons à la juste répartition des biens, nous songeons immanquablement à une répartition égalitaire. Pas Aristote. D’abord, il existe divers types d’égalité et d’inégalité. Il y a par exemple l’égalité numérique ou arithmétique, et l’égalité proportionnelle ou géométrique. Lorsque nous concevons l’égalité, c’est à l’égalité numérique que l’on pense: la même quantité de biens ou d’unité de biens. S’il y a un gâteau et quatre personnes, l’égalité numérique prescrit qu’on doive partager le gâteau en quatre parties égales. Aussi, lorsqu’on évoque l’idée d’une société parfaitement égalitaire, on pense généralement à l’égalité numérique des biens entre tous les citoyens. Cette idée est non seulement erronée mais catastrophique car elle conduit tout droit au malheur de tous. En fait, le problème avec l’égalité numérique c’est que les personnes ne sont jamais identiques. Si, parmi nos quatre personnes de tantôt, il faille partager équitablement le gâteau, et sachant que l’une est affamée, il serait juste de lui donner un plus grande part. La justice dépend donc du mérite de chacun, de sorte que, d’après Aristote, la justice distributive implique une égalité proportionnelle au mérite. Sur la question précise du «mérite», Aristote est parfaitement conscient de la grande difficulté consistant à évaluer le mérite. «En ce qui concerne les partages, écrit-il, tout le monde est d’accord qu’ils doivent se faire selon le mérite de chacun; toutefois, on ne s’accorde pas communément sur la nature de ce mérite.»[7]. Souvent, en effet, il peut s’agir des besoins, de l’effort et la vertu. La grande différence entre Aristote et nous, c’est que ce sont toujours, dans nos démocraties modernes, les droits qui fondent la justice, alors que les besoins, l’effort et, surtout, la vertu sont oubliés. On ne naît pas par exemple libre de par le pseudo droit à la liberté que l’État démocratique nous confère à la naissance. On devient libre, entre autres, lorsque nous faisons preuve du courage. La liberté présuppose donc la vertu. Les chartes me reconnaissent un droit formel à la liberté, mais si je suis lâche, je n’ai rien. On ne naît pas libre, on le devient.
Les concepts de droit et de vertu diffèrent radicalement. Un droit n’est pas une disposition acquise volontairement par l’habitude comme l’est la vertu. C'est une protection, une assurance, conférant une dignité. Tout être humain est aujourd’hui de facto détenteur d’un droit et n’a pas besoin de faire quoi que ce soit pour en être digne. Toutefois, posséder une dignité ne fait pas de nous des êtres bons. Le plus vicieux possède le même droit à la liberté dès sa sortie du sein maternel. Ce que nous sommes, en résumé, comme personne ne compte pas; ce qui compte, aux yeux de l’État moderne, c’est le respect des droits de la personne.
Il va de soi que l’éducation occupe une place centrale dans la philosophie politique d’Aristote. L’éducation est essentielle à la vie en société, car c’est par l’éducation que le citoyen est en mesure de prendre part pleinement à la vie politique. Or, l’éducation dont ne cesse de réclamer Aristote, c’est une éducation à la vertu, car la vertu est la cheville ouvrière de toute la vie politique et, donc, du bonheur de tous. Ce type d’éducation à la vertu est tombée en désuétude; elle appartient désormais à un âge révolu. Le nouveau cours d’Éthique et de culture religieuse, par exemple, n’est qu’un cours d’initiation à la tolérance et à la connaissance de la différence dont les balises sont tracées par nos sacro-saints droits de la personne.
En guise conclusion, je salue bien haut les étudiants-es qui acceptent la hausse des frais de scolarité. Ils le font dans une perspective de responsabilisation et de justice sociale. En défrayant une partie de leurs frais de scolarité, ils prennent toute la mesure, toute la portée, la valeur inestimable de ce bien social qu’est l’éducation. Ils font également preuve de justice en reconnaissant la juste part qu’ils doivent à la société. Enfin, ils/elles reconnaissent que l’éducation ne consiste pas seulement à avoir une tête bien faite (ou pleine), mais à acquérir des dispositions morales (des vertus). C’est du moins ce que Socrate enseignait jadis aux Athéniens lors de son fameux plaidoyer que relate Platon : «Souvenez-vous que ce n’est pas la recherche des biens matériels qui conduit à la vertu. C’est, au contraire, en devenant vertueux que peut naître la prospérité, pour les particuliers comme pour la cité.» (Apologie de Socrate, 30b).

Un dernier point pour terminer. Dans la fameuse «économie du savoir» dans laquelle nous vivons actuellement et qui embrouillent tout, les études ne sont jamais conçues comme constituant une fin en soi, mais toujours comme un moyen pour autre chose - à savoir la rentabilité économique. Il faut déplorer et dénoncer cette déroute inqualifiable de l’éducation. Le plaisir de connaître pour connaître est aujourd’hui inconcevable. Pourtant, d’après Aristote, la connaissance ultime «que l’on choisit pour elle-même, et à seule fin de savoir, est plus philosophique que celle qui est choisie en vue des résultats», et cette connaissance est la philosophie. À mon avis, la seule raison que nous aurions de faire grève, c’est d’exiger plus de cours de philosophie à tous les paliers de l’éducation. C’est la seule façon de faire un pied de nez à la sordide économie du savoir.


[1] Guy Rocher, «Une mentalité commerciale», in Éric Martin et Maxime Ouellet, Université inc. Des mythes sur la hausse des frais de scolarité et l’économie du savoir, Lux Éditeur, 2011, p. 125.
[2] Isaiah Berlin, Éloge de la liberté, Paris, Press Pocket, 1990, p. 173. 
[3] Martin Blais, Le chien de Socrate, Chicoutimi, Éditions JCL, 2000, p. 179.
[4] Aristote, Les Politiques, II, 5, 1263a 6, Paris, GF Flammarion, 1990, p. 151-152.
[5] Rappelons la réponse célèbre de Pierre-Joseph Proudhon à la question Qu’est-ce que la propriété?: «C’est le vol
[6] Voir http://lanredec.free.fr/polis/art_tragedy_of_the_commons_tr.html. Imaginez un troupeau de moutons où les bergers les mènent pour brouter dans les pâturages. Ceux-ci sont un bien commun. Toutefois, d’autres bergers apprenant l’existence de ces verts pâturages, mènent leurs troupeaux dans ces mêmes pâturages. À court terme, la quantité de nourriture disponible disparaîtra. Conclusion : un bien commun est rapidement dilapidé et épuisé, alors que tout le monde a avantage à le conserver et à le faire fructifier. Ce qui n’est possible que lorsque quelqu’un en devient propriétaire.
[7] Aristote, Éthique à Nicomaque, Livre V, 6, 1131a 25.

5 commentaires:

  1. Pénible la lecture de ton texte. Le mouvement pour la gratuité scolaire est loin de promouvoir «le communisme de Platon», donc la réfutation de cette idée - d'ailleurs plus ou moins réussie - est plutôt contre-productive. Et au cas où tu n'étais pas au courrant, la gratuité scolaire existe déjà dans les pays scandinaves qui sont loin d'être des sociétés «misérables».

    En passant, assure toi d'avoir des arguments clairs et précis avant d'utiliser le mot «donc»:

    «Si tout bien est commun, alors qui voudra travailler pour produire les biens primaires? Le communisme de Platon conduit à vie la plus misérable qui soit.»

    est difficilement un argument pour ta phrase suivante

    «Il faut donc admettre la propriété privée si l’on souhaite vivre dans une société heureuse.»

    »Si tout bien est commun» n'est pas non plus un argument suffisant pour «qui voudra travailler pour produire les biens primaires?»

    Et puis »Le communisme de Platon conduit à vie la plus misérable qui soit» est une thèse difficile à prouver étant donné que c'est une utopie - son auteur l'a avoué - qui n'a jamais été réalisée - non l'URSS n'était pas la République.

    Pour ta défense, tu peux m'accuser de n'avoir pas lu ton texte en entier. J'ai arrêté au 14e paragraphe, déçu de ne pas avoir lu d'arguments pour la hausse qui, par ailleurs, est facilement défendable par l'argument suivant:

    «Une classe moyenne non-éduquée ne devrait payer pour l'éducation d'étudiants provenant en majorité de milieux riches.» À quoi les grévistes répondront qu'on devrait plutôt transférer le fardeau aux plus riches. Ce qui serait innaproprié puisque ceux-ci fuieraint alors le Québéec selon d'autres.

    Mais ce ne sont pas des arguments philosophiques, la philosophie n'y apporte rien, et ne devrait pas avoir sa place dans ce débat sauf pour supporter le fait que l'éclairement de l'esprit par l'éducation est à encourager par tous les moyens.

    Avant que ton blogue ne détruise ta carrière de philosophe je te réfère à ce texte de Badiou et Zizek, «Philosophy in the present»: http://www.mediafire.com/?mtmnjnmzdon

    Nicolas Dagenais

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    1. Tellement pas d'accord avec toi Nicolas. Tu pourrais au moins respecter l'opinion de l'autre au lieu de critiquer son style d'écriture. Moi je suis étudiant et POUR la hausse des frais pour plusieurs raisons. Mais la question phisophique dont je n'avais pas pensé est très interessante.

      La philosophie à tout avoir dans ce débat quant à moi. Ce n'est pas juste une question économique mais bien de responsabilité sociale, pour ne pas reprendre les mots de Monsieur. Il faut que les étudiants se responsabilise!!! L'éducation est loin d'etre une priorité pour eux. Vous n'avez pas l'air de comprendre que sont les étudiants d'aujourd'hui. Allez faire un tour dans les CEGEP, université. Si nos jeunes fumaient moins de pot et buvaient moins de biere, probablement qu'ils auraient l'argent necessaire pour payer leur part.

      Tu devrais commencer par lire le texte au complet ;)

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  2. Bonjour, cher collègue.
    Je suis de ceux pour qui la philosophie occupe une place centrale dans la vie de tous les jours. Je suis également teinté d’une position fortement différente de la vôtre. Ces éléments constituent le nécessaire pour que les biais qui pourraient être les miens soient débusqués.
    Le texte que vous avez écrit est certainement le plus intéressant qui fut porté à mon attention en ce qui concerne le débat contre/pour la hausse. Mes propos ne seront pas donc aussi venimeux que ceux du dernier commentateur, qui, je dois l’indiquer en toute honnêteté, démasque certaines incohérences dans le texte, bien qu’il le fasse de manière très peu contrastée. J’espère que vous publierez une réponse ayant pour sujet ma critique afin qu’une dialectique puisse être entamée en toute bonne foi.
    Voici quelques éléments qui me semblent discordants :
    1) D’abord, le rôle providentiel de l’État me semble ambigu. En effet, qui possède (ou devrait posséder) le pouvoir de définir l’implication d’un tel mandat? Comment éviter de tomber dans une vision arbitraire de ce rôle? Où s’arrête la providence, comment est-elle la mieux appliquée? Quelles sont les limites de celle-ci (à savoir, jusqu’où son pouvoir s’étend-il) ? Pour l’instant, il semble que la décision de s’arrêter aux études secondaires est une mesure assez arbitraire. En effet, le fardeau de la preuve que le gouvernement s’est engagé à porter dans la mesure où il s’apprête à enclencher un changement majeur dans le système de l’éducation me parait plus ou moins assumé. Et ce, puisque celui-ci n’a mi de l’avant qu’un seul argument de départ, soit la nécessité des étudiants de faire leur « juste part », concept qui, vous en conviendrez, est rhétorique et surtout, au plus haut point abstrait. Une majorité des autres arguments qu’il a présentés furent inscrits dans une logique réactionnaire, visant à réfuter les arguments de leurs opposants. Bien que je ne puisse me dire convaincu de leur logique, il me faut préciser que leur première et impardonnable faute fut de ne pas engager immédiatement un dialogue sensé avec les étudiants (citoyens jugés suffisamment compétents et intelligents pour participer à l’activité démocratique contemporaine centrale : les élections) mais aussi avec les citoyens en général, afin de débrayer un arsenal d’arguments valides dans une tentative de convaincre les citoyens du bien-fondé de leurs actions. Ceci serait effectivement le minimum que n’importe qu’elle gouvernement devrait entreprendre, particulièrement un État providence au rôle si ambigu. Mais je dépasse le cadre de votre texte, revenons à nos moutons.
    2) Vous mentionnez l’idée que liberté et équité sont deux concepts qui ne peuvent subsister en symbiose, la présence de l’un diminuant nécessairement l’autre. Or, vous admettrez sans doute que « l’ascension » vers la richesse n’est en rien une liberté. Qu’au contraire, c’est l’argent qui détermine en partie la liberté d’un individu. Par exemple, était-ce parce que je suis libre que je peux voyager six fois par année aux quatre coins du monde ou parce que mon capital me le permet? En effet, le domaine des possibles d’un individu est en corrélation étroite avec sa capacité à payer. Si vous ne me croyez pas, je vous propose de tenter d’obtenir un repas, dans un restaurant ou une épicerie quelconque, sans payer la note. Au moins, en prison, ils vous nourriront gratuitement!

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  3. 3) En ce qui concerne le pourcentage de contribuable au Québec, j’accepterai la donnée comme véritable. Je n’oserais pas non plus remettre en question l’ampleur de la dette québécoise. J’irai même jusqu’à affirmer que « 55% des Québécois se privent de liberté pour les autres ». Deux éléments m’apparaissent toutefois biaisés quant à la présentation de cet argument :
    A- Une partie des individus ne payant pas d’impôts ne peuvent simplement pas le faire (une partie de la population n’étant pas en mesure de travailler, à cause de leur âge ou de situations particulières). Une autre partie de ces individus, soit parce qu’ils connaissent bien les failles du système ou parce qu’ils ont les moyens d’embaucher quelqu'un les connaissant bien, se soustraient au paiement de leur dû à la société. L’injustice est donc réelle, mais, comme nous le verrons, réside dans la statistique elle-même et non pas dans la conjoncture proposée. Ne pouvant reprocher à ceux qui ne peuvent pas payer d’impôt de ne pas le faire (les malheureux, ils n’en ont pas la liberté!) il faut déposer le poids de l’injustice sur les fraudeurs (à mon humble avis).
    B- Le fait qu’il y est une dette substantielle est indéniable, mais la conjoncture entre le nombre de Québécois payant ses impôts, la dette et les frais de scolarité est purement arbitraire. Cette logique permet de substituer « les frais de scolarité postcollégiaux » par plusieurs autres mesures sociales qui se verraient en fait décriées. Par exemple, 55% des Québécois paient des impôts ET nous sommes fortement endettés ET donc, dans ces conditions, continuer à fournir un système de santé gratuit constitue un sacrilège innommable. Idem pour les garderies, idem pour le bien-être social, pour un avocat gratuit lorsqu’un individu n’en a pas les moyens, pour les bibliothèques publiques, pour les routes… Bref, pour toutes mesures sociales mises en place. La conjoncture est toutefois valide, force est de l’admettre. C’est simplement qu’elle à le pouvoir de condamner toute forme de solidarité sociale. Et je ne crois en rien que c’est le propos que vous désirez véhiculer.
    4) « devons-nous tout mettre en commun?» Je vous l’accorde sans plus de chichi, ce n’est en rien une vision souhaitable de la société. Pour faire valoir ce point de vue, il suffit de mentionner que tous désirent (ou du moins je le pose en axiome) la propriété de leur corps et de leur temps et même, d’un minimum matériel. Par contre, la pertinence de la question, quoique d’une importance irréductible, parait suspecte dans le cadre posé par la hausse les frais de scolarité,. Comme vous l’avez si bien mentionné, il s’agit d’une question de « redistribution » de la richesse, une redistribution du capital privé, qui sera entièrement entre les mains de l’individu auquel il sera donné. Il n’est donc en aucun cas question de donner des richesses à la collectivité comme telles, mais de la distribuer aux moins fortunés. À moins de remettre en question jusqu’à l’existence d’un État providence (l’État le plus légitime selon vous) qui a besoin d’avoir des fonds tirés des poches de chacun (ou d’une partie de la population) pour posséder les avoir nécessaire à l’exercice de la providence, il n’est pas question de remettre en cause une certaine redistribution des richesses. Si j’ai correctement saisi votre propos, il faudra donc au moins admettre qu’une forme de redistribution des richesses est nécessaire. Par contre, c’est un débat intéressant et j’aimerais me permettre de retourner la question de façon aussi crue : devrions-nous tout privatiser? (J’avoue que la perspective de payer pour l’air que je respire est peu attrayante, à moins qu’on ne m’en distribue une « juste part », en fonction du mérite aristotélicien (pour clarifier ce que constitue la « juste part ») et non dans une mesure égalitaire quantitative! Vous avez donc tout de même marqué des points en ce qui à trait à mon opinion!)

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  4. 5) D’abord, sachez que je vous félicite de votre érudition. L’exposé de la théorie d’Aristote sur les droits de propriété est fort intéressant et pédagogique (malgré les allégeances que vous laissez parfois transparaitre à travers la présentation de sa théorie). Je n’ai presque rien à y redire (moi qui ne suis pas un expert en Aristote) sinon, que le contexte socio-économique, démographique et intellectuel a changé radicalement. C’est donc un vrai tour de force que d’actualiser sa théorie. Très sincèrement, bravo. Par contre, la propriété physique et temporelle constitue également des avoirs pouvant êtres partagés. Je fais la preuve de cette générosité tous les jours, comme beaucoup d’entre nous d’ailleurs. C’est donc qu’il ne s’agit pas d’un absolu nécessaire et suffisant à la vertu que de posséder des avoirs matériels. De plus, il y a tout le problème des lois surérogatoires. N’étant pas une imposition que le partage, rien n’oblige personne à faire le bien, le beau et le juste. Et j’aimerais mentionner qu’aucun enseignement ne nous pousse à devenir vertueux. Que tous les hommes vertueux puissent posséder un droit de propriété absolu, jamais je ne m’y opposerais, mais je ne crois pas que cet homme vertueux existe, du moins au sens où Aristote l’entendait.
    En conclusion, on devient effectivement libre quand on fait preuve de courage. C’est pourquoi j’ai le courage, ainsi que des milliers d’autres, de descendre dans les rues pour me battre contre une institution plus grande que moi et ainsi d’assumer ma liberté. J’espère honnêtement une réponse, de manière à réfuter les éléments de travers qui pourraient nuire à mon bon jugement de la situation. Merci de votre patience.
    Cordialement,
    L.G.

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