samedi 26 novembre 2011

C.S. LEWIS EST-IL DANGEREUX? L'ARGUMENT SURNATURALISTE TIRÉ DE LA RAISON

«Lorsqu’on entend parler d’une nouvelle tentative d’expliquer la raison, le langage ou la liberté en termes naturalistes, nous devons réagir comme si on nous annonçait que quelqu’un vient de découvrir la quadrature du cercle ou de démontrer que la racine carrée de 2 est un nombre rationnel. Un soupçon de curiosité suffit quant à la manière dont cette erreur s’est produite sans qu’on s’en soit rendu compte.»
Peter Geach, The Virtues
Clive Staples Lewis  (1898-1963)

Dans le dernier chapitre de The Last Word, portant sur le naturalisme et la religion, Thomas Nagel parle de sa propre peur à l’égard de la religion. Il écrit :
Je parle d’expérience puisque je suis moi-même vivement en proie à cette peur. Je souhaite de tout mon cœur que l’athéisme soit vrai, et ce qui me chicote le plus c’est que certaines des personnes les plus intelligentes et les plus avisées que je connaisse soient croyantes. Ce n’est pas tant que je ne crois pas en Dieu et que j’espère que j’ai raison d’être incroyant. J’espère seulement que Dieu n’est pas. Je répugne à l’idée qu’il existe, et je ne souhaite en aucune manière qu’un tel état de choses soit.[1] 
L’un de ces intellectuels qui donne la frousse à Nagel ainsi qu’à d’autres athées, c’est sans aucun doute l’auteur des Chroniques de Narnia, Clive Staples Lewis (1898-1963). Ceux et celles qui connaissent C.S. Lewis savent qu’il fut un habile et intelligent apologète chrétien. À cet égard, on lui doit, entre autres, trois essais majeurs : The Problem of Pain (1940), Miracles (1947) et Mere Christianity (1952).
            C’est dans le second de ces essais, le chapitre 3 en particulier de Miracles, intitulé «La difficulté majeure du naturalisme», que Lewis défend un argument en faveur de l’existence de Dieu tiré de la raison. Je voudrais examiner dans les quelques lignes qui suivent la force de cet argument, et me demander si l’athée a raison de le craindre. En fait, contrairement au témoignage de Nagel, le doute n’a aucune prise sur la foi inébranlable de nombreux athées à l’égard du naturalisme. Aujourd’hui, le naturalisme ainsi que le matérialisme ont le vent dans les voiles, et il n’est pas encore né celui ou celles qui fera trembler de crainte leurs adeptes. Aussi, je ne me berce pas d’illusions et me contenterai ici de présenter l’argument de Lewis.
Le naturalisme, pour le dire rapidement, c’est la conception ontologique (métaphysique) de l’univers voulant que l’univers matériel constitue tout ce qui existe de telle sorte que tout phénomène est susceptible de recevoir une explication réductible à des particules élémentaires spatio-temporels. En somme, pour un adepte du naturalisme, l’univers est comparable à une boîte. Tout ce qui se trouve à l’intérieur de la boîte est causé ou s’explique par autres choses plus élémentaires qui existent à l’intérieur de la boîte. Rien, incluant Dieu, n’existe en dehors de la boîte, de l’univers ou de la nature, qui aurait une explication causale de ce qui se trouve dans la boîte.
Je concède d’emblée que la définition précédente du naturalisme comporte des failles. Mais je ne m’en excuse pas puisque la définition même du naturalisme est sujette à controverse, aucune définition ne faisant consensus. Le Petit Robert nous dit que le naturalisme en philosophie constitue la «doctrine selon laquelle rien n'existe en dehors de la nature, qui exclut le surnaturel.» Que doit-on comprendre par cette définition? Prenons la culture : la chanson, l’écriture, les traditions, les mœurs, etc. Qu’en dirait un adepte du naturalisme? La culture fait-elle ou non partie de la nature ou a-t-elle seulement un statut surnaturel? Qu’est-ce qui est surnaturel, et qu’est-ce qui ne l’est pas? L’esprit humain, par exemple, est-il surnaturel? Selon la définition donnée précédemment, le naturalisme soutient que l’esprit humain est un phénomène naturel – donc, l’esprit se trouve dans la boîte -, de telle sorte qu’il s’explique au moyen d’éléments de nature matériel. Donc, l’esprit, pour un naturaliste, n’existe pas en dehors de la boîte. Démocrite, sans doute le premier de tous les naturalistes, étaient d’avis que l’esprit, comme le corps, est réductible à des particules élémentaires qu’ils appelaient «atomes». Comme on le constate, le naturalisme est, au plan ontologique, un matérialiste. Or, le matérialisme est l’exact opposé de l’idéalisme. Évidemment, pour le naturalisme, la seule chose en dehors de la boîte qui, par conséquent, n’existe pas, c’est Dieu. Le croyant, donc, qui croit en Dieu, est dès lors baptisé de surnaturaliste.
Le dogme inébranlable du naturalisme veut donc qu’il n’y ait rien en dehors de la nature – de la fameuse boîte «noire» – qui existe et que tout s’explique par ce qui se trouve à l’intérieur. Pour réfuter le naturalisme, il suffit donc de prouver qu’il existe quelque chose qui ne s’explique pas par la nature. C’est ce que prétend Lewis dans «La difficulté majeure du naturalisme», le troisième chapitre de Miracles. L’apologète chrétien soutient que la raison humaine n’est pas explicable ou réductible à des processus neurobiologiques, comme le prétend bon nombre de philosophes naturalistes et matérialistes actuels, dont Richard Rorty. Par exemple, dans L’Homme spéculaire, Rorty écrit : 
Toute parole, pensée, théorie, poème, composition ainsi que tout philosophème sera un jour prévisible en termes purement naturalistes. Quelque approche (à base d’atomes-et-de-vide) des microprocès qui traversent les êtres humains permettra alors de prédire tous les sons et les signes dont ils sont la source. Il n’est point de fantômes.[2] 
Lewis soutient lui aussi qu’il n’y a pas de fantômes. Il soutient en particulier que si le naturalisme est vrai, alors il est certainement faux ! En somme, la croyance au naturalisme s’auto-réfute. L’argument de Lewis se base sur la raison humaine : nos capacités humaines rationnelles démontrent que le naturalisme, faisant appel à ses capacités en soutenant qu’elles résultent d’événements matériels, commet une sorte de pétition de principe. C’est-à-dire : on ne peut pas expliquer la cause naturelle de la raison car, ce faisant, on la présuppose. En fait, la raison ne s’explique pas naturellement ; par conséquent, elle n’appartient pas à la nature, au sens où elle résulterait d’événements matériels, biologiques et chimiques en particulier; selon Lewis, la raison serait issue de Dieu. Voilà l’essentiel de l’argument surnaturaliste de Lewis. Je vais maintenant tenter de l’expliquer à ma manière.
L’argument naturaliste
Je vais débuter par le cas étonnant, voire étrange, mais fictif, de Gontran. Gontran croit qu’il a une lésion cérébrale. Après un examen neurologique, son neurologue lui apprend qu’il a effectivement une lésion cérébrale. Le neurologue l’informe que l’étrange symptôme de ce type de lésion cérébrale est que le patient croit qu’il est vrai qu’il a une lésion cérébrale. Donc, Gontran croit en toute vérité qu’il a une lésion cérébrale. Or, même s’il est vrai que Gontran ait bel et bien une lésion au cerveau, il ne s’ensuit pas que Gontran sache qu’il soit victime d’une telle lésion. Son cas illustre le fait que la croyance vraie de Gontran, causée par la lésion cérébrale en question, repose sur un phénomène indépendant de Gontran, à l’œuvre à son insu. Par conséquent, même si la croyance de Gontran est «vraie», on ne peut pas dire à strictement parler que Gontran sache qu’il ait une lésion cérébrale.
Ce cas étrange, digne d’Edmund Gettier, illustre à l’évidence qu’une croyance peut être vraie, mais ne saurait constituer une connaissance en bonne et due forme. La croyance vraie de Gontran s’est pour ainsi dire produite à son insu. Gontran ne savait pas, avant que son neurologue le lui apprenne, que sa croyance vraie était causée par la lésion cérébrale en question.
À mon avis, on a là un exemple probant illustrant l’argument surnaturaliste de Lewis. Ce dernier insiste pour dire que quand bien même le naturaliste croit qu’il est vrai qu’un événement mental n’est qu’un événement matériel, cette croyance n’est vraie qu’à son insu, de sorte qu’à proprement parler le naturalisme ne sait pas ce qu’il prétend savoir.
Le naturaliste se retrouve donc dans une situation similaire à celle de Gontran au sens où il croit que des processus neurologiques causent ses pensées et autres états mentaux. Il croit que l’évolution a engendré toute la gamme de son univers mental ; que la loi de la survie a produit l’intelligence et la raison humaine, etc. Or, selon le surnaturaliste, non seulement il ne sait rien de tout cela ; pire, il a tout faux. Gontran apprend de la part du neurologue que sa croyance vraie est causée par la lésion. Dans le cas du naturaliste, il n’y a personne, rien dans la nature – le «Système total de la Nature», comme l’appelle Lewis – la fameuse boîte contenant tout ce qui est - qui puisse lui dire que sa croyance est vraie, si ce n’est la raison elle-même.
Voici comment le penseur naturaliste raisonne. La nature, assure-t-il, vise l’utilité, c’est-à-dire la survie. Par conséquent, continue-t-il, la nature vise le vrai, car ce qui est utile est vrai. Examinons le raisonnement du naturalisme au moyen des trois propositions suivantes.
(1)   La nature vise l’utilité, c’est-à-dire la survie.
(2)   L’utilité vise la vérité.
(3)   Par conséquent, la nature vise la vérité. 
Critique de l'argument naturaliste
Même si le raisonnement précédent est déductivement valide (si p implique q, et que q implique r, alors p implique r; c'est l'inférence connue sous le vocable du «syllogisme hypothétique»), la difficulté majeure porte sur la prémisse (2) : comment le naturaliste sait-il que l’utilité soit gage de vérité ? Éliminer les plus faibles de la société, comme le recommandait le darwinisme social d’Herbert Spencer, voire l’eugénisme, paraissent être utiles à la société. Est-ce vrai ? Plus généralement, est-il vrai que la nature, dénuée de toute intentionnalité, vise le vrai ? Darwin lui-même en doutait dans une lettre troublante datant du 3 juillet 1881 à William Graham, auteur d’un essai intitulé Le Credo de la science. Darwin écrit : 
«Mais alors avec moi le même horrible doute surgit toujours : les convictions de la pensée de l’homme, qui s’est développée à partir de la pensée des animaux inférieurs, ont-elles une valeur quelconque, méritent-elles aucune confiance ? Qui voudrait prêter confiance aux convictions de la pensée d’un singe, s’il y a des convictions quelconques dans une pensée de ce genre ?»[3] 
Darwin doute que «les convictions de la pensée d’un singe», qui auraient conduit à celles de l’homme, à celles de l’Homo sapiens, visaient le vrai. À plus forte raison, comment la Nature elle-même, un ensemble de forces aveugles et soumises au hasard, peut-elle viser le vrai - «…s’il y a des convictions quelconques dans une pensée de ce genre ?» Le naturaliste le décrète tout simplement : l’utilité, c’est-à-dire ce qui sert à la survie de l’espèce, est garante de la vérité. Pour ce faire, remarquons bien ce qui se passe : le penseur naturaliste use de la raison ; il raisonne. Il s’efforce de bien penser. En somme, il s’efforce d’être logique.
Il convient de rappeler que la logique est la science qui enseigne la manière de bien raisonner, c’est-à-dire de distinguer les inférences valides de celles qui ne le sont pas. Ou bien, autre formulation, la logique étudie, non pas la vérité des prémisses, mais la transmission de la vérité des prémisses vers la conclusion. En ce sens, la logique concerne la conservation de la vérité dans les arguments.
Le penseur naturaliste raisonne donc. Il vise à transférer la vérité de ses prémisses à la conclusion. Or, la conclusion (3) précédente, à l’effet que la nature vise la vérité, n’est pas, pour le moins, évidente. La vérité des prémisses (1) et (2) doivent permettent de conclure à la vérité de (3). Le problème, comme on l’a vu, c’est que la prémisse (2) est difficilement acceptable, c’est-à-dire certainement fausse. Donc, puisque (2) est fausse, le raisonnement du naturaliste s’écroule.
Le penseur naturaliste raisonne, et il croit – que, dis-je, il est convaincu dur comme fer - que cette activité est visée par la nature. Qu’il raisonne, c’est un fait indubitable. Cependant, ce qui est faux, c’est que la nature vise le raisonnement et, donc, la vérité.

L'argument surnaturaliste
Lewis est d’avis que seule la RAISON – qui vient de Dieu, subsistant en dehors de la boîte, à l’extérieure de la nature – permet de savoir quoi que ce soit. Comme on l’a vu, la croyance du naturalisme à l’effet que le raisonnement est engendré par la nature grâce à la lutte pour la survie.
Lorsque nous raisonnons, nous recherchons la vérité, c’est-à-dire le savoir. Le naturalisme, tout autant que le surnaturaliste, s’attache à la vérité ; elle leur importe plus que tout, malgré les dénégations du naturalisme qui clame, dans une veine évolutionniste, que l’important c’est le comportement utile, c’est-à-dire adapté à la survie. Or, la recherche de l’utilité (de la survie) n’est pas la vérité. La réplique du naturalisme consiste à dire que l’utilité vise la vérité. Mais peut-être se trompe-t-il car l’évolution ne vise pas la vérité, comme Darwin lui-même s’en afflige. L’évolution ne planifie rien, pas même la vérité. L’évolution résulte du hasard, de l’environnement, des forces aveugles de la nature. Or, raisonner, déduire, faire des inférences, implique la vérité et vise à la conserver. En somme, la raison humaine est de nature téléologique. C’est pourquoi Lewis dit que le naturalisme s’auto-réfute : en croyant que la naturaliste dit vrai, à savoir que sa croyance est de nature matérielle, elle est en réalité de nature téléologique.
D’ailleurs, selon le surnaturaliste, la conclusion fausse (3) du raisonnement du penseur naturaliste constitue bel et bien l’expression d’un état mental et non d’un simple événement matériel, parce que cet état mental possède une propriété éminente que ne possède pas un événement matériel, à savoir l’intentionnalité, c’est-à-dire «être à propos de quelque chose d’autre», propriété mise en évidence par le philosophe autrichien Franz Brentano (1838-1917). Dans la même veine, Lewis écrit:
«Les actes de pensées sont indubitablement des événements, mais d’un genre très spécial. Ils concernent quelque chose d’autre qu’eux-mêmes et peuvent être vrais ou faux. Les événements en général ne concernent pas quelque chose et ne peuvent pas être vrais ou faux.»[4] 
En somme, seuls des esprits qui raisonnement traitent de réalités se trouvant en dehors d’eux-mêmes, réalités qui sont susceptibles d’être vraies ou fausses. Encore une fois, le naturaliste, tout comme le surnaturaliste, est engagé dans la recherche de la vérité sur faisant appel à la raison. Or, selon le surnaturalisme de Lewis, un événement matériel ne pourra jamais traiter de quoi que ce soit d’autre, dont a fortiori de la validité de nos raisonnements qui vise à conserver la vérité. La raison est foncièrement de nature téléologique.
Il se peut fort bien que les neurones cérébraux participent à nos activités mentales faites d’intentionnalité. Nul doute qu’ils accompagnent nos activités inférentielles. Mais il est illusoire de croire qu’ils permettent eux-mêmes de décider si un raisonnement est valide ou non, c’est-à-dire s’il conserve ou non la vérité des prémisses. Cette capacité est le propre de la raison, et comme l’argument surnaturaliste précédent le montre, elle n’appartient pas à la nature, car elle est hors de la «boîte». Elle ne peut, selon Lewis, que provenir de Dieu, lequel est lui aussi hors de la boîte. Dieu est l’origine de la raison. Comme l’écrit Lewis : 
En ce sens, quelque chose qui dépasse la nature agit chaque fois que nous raisonnons. […] La question [maintenant] est de savoir si vous et moi, nous pouvons être cette raison. La trouve presque sa réponse dès que l’on se souvient de ce que signifie une existence autonome… ce qui existe de façon autonome a dû exister de toute éternité, car si quelque chose d’autre avait pu le faire commencer à exister, alors cela n’existerait pas par soi-même, mais à cause de quelque chose d’autre. Cela doit exister sans interruption, c’est-à-dire, cela ne peut cesser d’exister et recommencer… Or, il est évident que ma raison a grandi graduellement depuis ma naissance et qu’elle s’interrompt pendant plusieurs heures de sommeil chaque nuit. Je ne puis donc pas être cette raison éternelle et autonome qui ne sommeille ni ne dort… Chacun est entré dans la nature depuis la surnature ; chacun a sa racine dans un Être éternel, autonome et rationnel que nous appelons Dieu.»[5]




Voici, en guise de résumé, sous forme propositionnelle, l’argument surnaturaliste de Lewis.

(1)   Si le naturalisme est vrai, alors tout raisonnement s’explique comme étant le produit de causes irrationnelles provenant de la nature, c’est-à-dire qui ne visent pas le vrai.
(2)   Par conséquent, si le naturalisme est vrai, alors aucun raisonnement n’est valide et ne préserve la vérité.
(3)   Si aucun raisonnement n’est valide et vrai, alors aucun raisonnement conduisant à la conclusion «Le naturalisme est vrai» n’est valide et vrai.
(4)   La thèse dont la vérité entraîne la non-validité de la pensée qu’elle est vraie, doit être rejetée, et sa négation doit être admise.
(5)   Si la raison n’est pas le produit de causes naturelles irrationnelles, elle provient alors d’un Être rationnel existant en dehors de la nature.
(6)   Il existe au moins une entité existant en dehors de la nature. Cet Être est Dieu, source de toute rationalité.
(7)   Le naturalisme est donc faux.

Conclusion
            Dans Darwin est-il dangereux ?, Daniel Dennett est d’avis qu’il y a deux types d’explication des phénomènes naturels: l’explication de type «crochet céleste» (skyhook) et l’autre de type «grue» (crane). D’après Dennett, seul le second type d’explication constitue une explication valable, et Darwin a fourni les bases fondamentales des explications «grues». Un grand nombre de penseurs réputés partagent l’avis de Dennett. Les gens comme Thomas Nagel sont aujourd’hui convaincus que c’est là le genre d’explications «vraies» ou qu’il convient, de sorte qu’ils n’ont apparemment aucune crainte à avoir. Toutefois, si le penseur naturaliste veut bien considérer froidement le débat qui l’oppose au surnaturaliste, s’il consent à admettre qu’il a peut être tort, que son rival a peut être raison, s’il admet, malgré tout, qu’il est possible que sa conception métaphysique du monde soit erronée, que nos explications du monde soit aussi celles de «crochets célestes» ; bref, si le naturaliste surmonte la peur que décrit Nagel, le débat entre lui et le surnaturaliste a des chances de progresser.

Je suis d’avis que les invectives, de part et d’autre, n’ont pas leur place dans le débat entre naturalisme et surnaturalisme. Aussi, Dennett devrait s’excuser d’avoir écrit ce qui suit : «Pour le dire carrément mais sans risque de se tromper, quiconque aujourd’hui doute que la variété de la vie sur cette planète est le produit du processus de l’évolution est tout simplement un ignorant – qui n’a pas d’excuse, dans un monde où trois personnes sur quatre ont appris à lire et à écrire.»[6] C.S. Lewis et ses partisans ne méritent pas en effet d’être traités d’ignorants. Ils sont tout autant intelligents que Dennett. De plus, à mon avis, ils ont de bonnes raisons de penser, contrairement à Dennett, que l’évolution n’est pas le fin mot de toute bonne explication, du moins pour ce qui concerne la raison humaine. C'est là un crochet céleste, et non une grue.


[1] Thomas Nagel, The Last Word, New York, Oxford University Press, 1997, p. 130. Ma traduction.
[2] Richard Rorty, L’Homme spéculaire, Paris, Seuil, 1990, p. 424-425. On sait que les travaux du «neurophilosophe» Paul Churland (ainsi que son épouse, Patricia) vont très loin dans ce sens. Churland est un adepte du matérialisme «éliminativiste» qui nie catégoriquement l’existence d’états mentaux voire, mieux encore de l’esprit. Dans Le cerveau, moteur de la raison, siège de l’âme (DeBoeck Université, 1999), il écrit : «Au début de ce livre, vous supposiez que les pensées, les croyances, les désirs et les préférences étaient des états qui constituaient les unités de base de la cognition humaine. Cette hypothèse est assez naturelle : elle est ancrée dans le vocabulaire de tout langage naturel… La cognition humaine est ainsi représentée par le sens commun comme un ballet d’états propositionnels dans lequel l’inférence de certains états à partir d’autres constitue l’unité de base de calcul. Ces suppositions sont les éléments centraux de notre conception normale de l’activité cognitive humaine, une conception souvent appelée «psychologie populaire» pour signifier qu’elle est la propriété commune des peuples en général. Chez les humains et chez les animaux, il est maintenant à peu près évident que l’unité de base de la cognition est le vecteur d’activation et l’unité de base du calcul est la transformation de vecteur à vecteur… Tout cela n’a pas grand-chose à voir avec des phrases et des propositions ou des relations inférentielles entre elles. Notre conception traditionnelle de la cognition est maintenant confrontée à une conception très différente, basée sur le cerveau et qui n’assigne au langage aucun rôle fondamental.» (p. 352-353).
[3] Cité dans Naturalism Defeated? Essays on Plantinga’s Evolutionary Argument against Naturalism, James Beilby éditeur, Ithaca, Cornell University Press, 2002, p. 3. Ma traduction.
[4] C.S. Lewis, Miracles: étude préliminaire, Paris, S.P.B., 1985, p. 24.
[5] Ibid., p. 33-34.
[6] Daniel Dennett, Darwin est-il dangereux? L’évolution et le sens de la vie, Paris, Odile Jacob, 2000, p. 52.

1 commentaire:

  1. Ma réponse : https://lamargedegauche.wordpress.com/2011/11/29/non_cs_lewis_nest_pas_dangereux/

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