samedi 7 mai 2011

LA DÉMOCRATIE EN QUESTION

Karl Popper (1902-1994)
Karl Popper distinguait deux conceptions de la «démocratie» : celle ayant trait à la souveraineté du peuple de celle, toute autre, touchant ce que l’on pourrait exprimer comme le rempart ou le bouclier contre la dictature ou la tyrannie. (Voir les deux essais clôturant l’ouvrage de Popper intitulé La leçon de ce siècle, 10/18, 1993, p. 95-146). Je tiens à souligner que la distinction que Popper établie vaut autant pour les démocraties anciennes que modernes, malgré leurs différences historiques importantes.

Popper rejette la première conception, dont l’étymologie elle-même du mot démocratie, pouvoir (cratia) du peuple (dèmos), a le malheur d’induire en erreur sur la nature véritable de la démocratie. «La démocratie, écrit Popper, ne fut jamais le pouvoir du peuple, elle ne peut et ne doit jamais l’être.» Dans ce cas, en effet, la démocratie revient ni plus ni moins à une tyrannie de la majorité ou règne en maître l’opinion – ce dont je dénonçais dans les billets précédents. Popper note avec justesse que «La plus forte objection que je soulève à l’encontre de la théorie de la populaire [de la démocratie] est qu’elle favorise une idéologie irrationnelle et relativiste selon laquelle le peuple (la majorité) ne peut avoir tort ni agir injustement. Cette idéologie est immorale et doit être rejetée.» (p. 135) C’est exactement ce que je dénonçais dans mes billets. Notons, toutefois, au passage, qu’il s’agit là d’un jugement moral : la conception de la démocratie comme souveraineté du peuple est illégitime, voire vicieuse. Bon libéral ou démocrate, Popper n’hésite pas à qualifier la conception précédente d’immorale et de tenir la seconde de parfaitement morale.

La seconde conception de la démocratie veut qu’elle soit «comme [un] tribunal populaire», «ou comme instrument [une institution] permettant d’éviter un gouvernement inamovible, c’est-à-dire une tyrannie…» (p. 136) ou une dictature. Voter, dans ce cas, c’est avoir le pouvoir de révoquer, de sanctionner, de juger en somme, un gouvernement. Voilà ce que serait le véritable sens de la démocratie selon Popper. Ainsi, lorsqu’il est dit «La démocratie a parlé!», on doit comprendre que les citoyens ont exercé leur pouvoir de révoquer un gouvernement. Encore une fois, Popper est très clair là-dessus : il s’agit là de la seule conception légitime et morale de la démocratie. Toute forme de tyrannie ou de dictature est exécrable et condamnable. Clairement, donc, la démocratie entendue comme tribunal du peuple est conçue comme une institution moralement légitime. Aussi, lorsque les libéraux ou les démocrates parlent de «neutralité» de l’État démocratique, ils font toujours se rappeler que cette neutralité ne vaut qu’à l’intérieur d’un État démocratique, de sorte que tout ce qui lui est extérieur ou antidémocratique est frappé d’immoralité.

La question est : à l’élection fédérale du 2 mai dernier, est-ce la démocratie conçue comme «tribunal du peuple» qui s’est exprimée? Selon cette conception de la démocratie, 40% du vote des Canadiens, comme tribunal populaire, ont jugé que le gouvernement Harper méritait d’être réélu; 60% étaient contre. En tout cas, au Québec, l’élection massive de candidats néo-démocrates, constitue bel et bel le rejet du gouvernement Harper. À l’évidence, il y a là un problème pour une démocratie conçue comme tribunal populaire.

Évidemment, les partisans de la conception de la démocratie comme souveraineté du peuple diront que l’élection du gouvernement conservateur est parfaitement légitime.

Mais, dans les deux cas, à mon avis, autant dans la conception souveraine de la démocratie que dans sa version critique, ce qui est toujours en cause, c’est l’opinion, et je soutiens que l'opinion, qu'elle soit individuelle ou collective, est dangereuse - comme elle le fut à l’époque de Socrate. Je comprends le grand malaise, voire l'exaspération des démocrates comme Popper et bon nombre d’entre nous, partisans de la démocratie comme institution critique, devant la remise en question de la démocratie. Reste que la question se pose: la démocratie est-elle le meilleur régime qui soit? Allons-nous condamner et allumer de nouveaux bûchers au nom de la moralité politique pour ceux et celles, à commencer par Socrate, Platon et Aristote, qui, comme moi, critiquent et rejettent la démocratie ?

Personnellement, j'essaie à tout prix de m'assurer que je suis pas un de ses imbéciles heureux, tel Elvis Gratton, jubilant à l'idée de vivre à Santa Banana.

1 commentaire:

  1. La démocratie ne pourrait céder que devant des droits acquis par certaines familles. Or aujourd'hui tous les droits acquis ont disparu.

    C'est pourquoi la démocratie, telle que l'entend Poppers, ne peut être évitée. Une démocratie rejetant l'arbitraire, respectueuse de la rationalité et invoquant Dieu, source de tout bien, de toute vérité, y compris rationnelle, et de la beauté, donc libérant l'homme, et conçue comme la possibilité pour les peuples de juger leurs gouvernants à intervalle régulier est inévitable. Car dans tout autre régime, manquera le titre juridique à l'exercice du pouvoir. Il manquera le consensus (accord populaire) à l'obéissance aux autorités. Seul Dieu peut fonder l'autorité, mais Dieu s'exprime par le consensus populaire (c'est le véritable contrat social qui est non pas à l'origine de la société, mais dans son fonctionnement, ici et maintenant). Or ce consensus ne peut être obtenu que par les élections (qui sont des instruments de mesure, certes imparfaits, mais inévitables).

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