Hier, je recevais une lettre m'avisant que mon livre Apprendre à Philosopher . Guide méthodologique (ERPI 2011) recevait une distinction au Concours du Ministre de l'Éducation 2013. La réception de la distinction aura lieu le 24 mai prochain au Parlement de Québec. Merci à mon département ainsi qu'à l'éditeur ERPI.
Les philosophes scrutent l'actualité. La suite-blogue d'En quête de sens (publié aux Éditions Logiques en 2008)
samedi 20 avril 2013
mardi 16 avril 2013
SEMAINE DE LA CITOYENNETÉ = SEMAINE DU CARRÉ ROUGE
Une grande messe «carré rouge» a lieu cette semaine au cégep du Vieux Montréal sous le couvert de la «Semaine de la citoyenneté». L'événement est financé en bonne partie par le collège (donc, par des deniers publics). Tous les grands prêtres carré rouge y seront, dont GND en conférence d’ouverture hier, lundi matin, le 15. Pourquoi les organisateurs n'ont-ils pas demandé à Arielle Grenier, qui a lancé le mouvement des carrés verts ? L’aéropage comprend également Guy Rocher, Michel Seymour et Christian Nadeau. On accepte la dissidence puisqu’on m’a invité à un débat contradictoire sur le devoir de réserve des professeurs; je devais débattre avec nul autre que Julien Villeneuve de Maisonneuve alias Anarchopanda, mais l'aimable collègue s'est désisté. En guise de protestation contre cet événement partisan, j'ai décidé de le boycotter.
Il faut dénoncer cette liturgie du carré rouge. J'en appelle au boycott de l'événement.
Il faut dénoncer cette liturgie du carré rouge. J'en appelle au boycott de l'événement.
lundi 1 avril 2013
YOU GOTTA TO MOVE DE FRED McDOWELL PAR J'EN-AI-ASSEZ!
You got to move
You got to move
You got to move, child
You got to move
But when the Lord
Gets ready
You got to move
You may be high
You may be low
You may be rich, child
You may be po'
But when the Lord gets ready
You've got to move
You see that woman
That walk the street
You see the policeman
Out on his beat
But when the Lord gets ready
You got to move
You got to move
You got to move
You've got to move, child
You've got to
But when the Lord gets ready
You got to move.HOBO BLUES DE JOHN LEE HOOKER PAR J'EN-AI-ASSEZ!
When I first
thought to hobo
I took a freight train to be my friend. Oh Lord
You know I hobo
Hobo a long,
long way from home.
Oh Lord
Yes, I did.
Long time ago.
I left home
in the morning
My mother
followed me down,
to the
freight train yard.
Oh Lord
She
said : «My son is gone
Take care of
my child.
Travelling far
away
Working hard
all day».
Oh Lord
Next time I
start to hobo
My babe will
be by my side
My life will
not be so long,
My day won’t
be so blue
Oh Lord
I hobo no
more
The freight
train is no more my home
I hobo no
more
Oh Lord
dimanche 17 mars 2013
QUELLE DÉMOCRATIE ÉTUDIANTE ?
(Texte de mon intervention dans le cadre du Café-Philo sur le thème «Quelle démocratie étudiante?». Jeudi le 21 mars, café l'Exode, cégep du Vieux Montréal, 11h 45 à 13h 30.)
«Pour critiquer les gens, il faut les connaître, et pour les connaître, il faut les aimer.» - Coluche
Le «printemps érable» de l'an dernier révéla des failles béantes et flagrantes dans les procédures démocratiques des associations étudiantes : votes à main levée; assemblée «paquetée»; faible taux de participation d’à peine 10% des effectifs; refus du vote électronique etc. En novembre 2012, l’AGECVM récidivait. Les quelques 7000 étudiants du cégep du Vieux Montréal furent en grève durant trois jours, les 20, 21 et 22 novembre derniers. La décision de lever les cours fut entérinée par un vote en assemblée générale, lors de laquelle un peu plus de 1000 membres de l'association étudiante se sont prononcés: 708 pour, 333 contre et 19 abstentions. Les élèves revendiquent le retrait des charges criminelles et pénales liées au conflit étudiant dans le cadre de cette grève. Quelques 700 étudiants en assemblée ont donc imposé une suspension de cours pendant trois jours aux 7000 étudiants du cégep! Voilà la fameuse «démocratie» au Vieux Montréal!
Le «printemps érable» de l'an dernier révéla des failles béantes et flagrantes dans les procédures démocratiques des associations étudiantes : votes à main levée; assemblée «paquetée»; faible taux de participation d’à peine 10% des effectifs; refus du vote électronique etc. En novembre 2012, l’AGECVM récidivait. Les quelques 7000 étudiants du cégep du Vieux Montréal furent en grève durant trois jours, les 20, 21 et 22 novembre derniers. La décision de lever les cours fut entérinée par un vote en assemblée générale, lors de laquelle un peu plus de 1000 membres de l'association étudiante se sont prononcés: 708 pour, 333 contre et 19 abstentions. Les élèves revendiquent le retrait des charges criminelles et pénales liées au conflit étudiant dans le cadre de cette grève. Quelques 700 étudiants en assemblée ont donc imposé une suspension de cours pendant trois jours aux 7000 étudiants du cégep! Voilà la fameuse «démocratie» au Vieux Montréal!
La
Conférence des recteurs et principaux d'universités (CREPUQ) demanda au
ministre de l'Enseignement supérieur, Pierre Duchesne, d'encadrer la démocratie
étudiante. Candidat à la direction du Parti libéral du Québec, Raymond Bachand
réclame lui aussi des changements. Il préconise d'instituer le vote secret
électronique. Le député estime que cette façon de faire éviterait
l'intimidation et contribuerait à hausser la participation.
On
ne peut que souhaiter que ces interpellations soient entendues par les autorités
politiques et qu’un ménage dans les écuries d’Augias des associations
étudiantes soit enfin effectué rapidement. Faut-il attendre une commission d’enquête
publique qui se pencherait sur les associations étudiantes au Québec?
L’un
des vices que l’on reproche à la démocratie est donc manifeste à l’AGECVM :
la tyrannie de la minorité. Ce vice est celui de toute démocratie, pas
seulement de celle au Vieux Montréal. Rappelons, à cet égard, qu’au dernière
élection provinciale, près de 67% des gens ont voté contre le Parti Québécois. Évidemment,
pour ce qui concerne le faible taux de participation au CVM, il faut porter le
blâme en premier lieu à la vaste majorité des étudiants-es qui ne participent
pas aux assemblées. Mais demandons-nous : pourquoi ce faible taux de
participation des étudiants? Cette triste réalité devrait interpeler l’exécutif
de l’AGECVM. Mais non, aucune remise en question des pratiques démocratiques
n’est à l’horizon. Demandez cependant aux étudiants-es du Vieux Montréal et ils
répondront en chœur que ces assemblées sont «pipées» d’avance; qu’ils sont dirigés
par un clique de militants bien déterminés à parvenir à leurs fins ainsi qu’à
entériner leurs propres décisions. La vaste majorité des étudiants-es se voient alors imposer
d’office une direction dont les visées dépassent de loin la simple défense des
intérêts des étudiants. En un mot, la vaste majorité des étudiants-es en ont ras-le-bol de leur
association. Il faut être de mauvaise foi pour ne pas le réaliser.
Je ne suis pas le premier à observer ce qu'on appelle le fameux «paradoxe de la démocratie». Un étudiant participe à la vie démocratique en prenant part aux assemblées de son association. Il croit aux décisions prises démocratiquement. Supposons qu'il soit en faveur de la hausse des droits de scolarité. Le vote pris en assemblée va, lui, à l'encontre de sa préférence. Bon démocrate, notre étudiant accepte la décision majoritaire. Reste que, à strictement parler, ses désirs sont contradictoires. Car, s'il accepte personnellement ou individuellement la hausse, il ne l'accepte plus au plan, disons, collectif de la volonté générale, puisqu'il se range désormais du côté de la majorité! C'est du moins ainsi qu'on doit s'expliquer le calcul que faisaient les fédérations étudiantes qui comptabilisaient TOUS les étudiants-es d'un cégep, même si ce ne sont pas TOUS les étudiants qui avaient voté contre la hausse, et qu'une minorité d'entre eux avait voté, et que de cette minorité, une majorité avait enlevé les voix.
Par ailleurs, l’AGECVM se conçoit comme un «syndicat étudiant».[1] Ce qui va bien au-delà des prérogatives de la loi 32, loi sur l’accréditation et le financement des associations d’élèves ou d’étudiants-es. La charte fondatrice du syndicalisme étudiant serait celle adoptée en 1946, la Charte de Grenoble, par l’Union nationale des étudiants de France, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Or, l’AGECVM est au Québec en 2013. Passons. Le but visé, évidemment, par la dite Charte de Grenoble est de faire de l’étudiant-e un «travailleur intellectuel» de telle manière qu’il-elle ait droit à une allocation lui permettant d’étudier «dans l’indépendance matérielle, tant personnelle que sociale». On voit là les prémices de la gratuité scolaire que les Fédérations étudiantes défendaient à défaut du gel des droits de scolarité.
Je ne suis pas le premier à observer ce qu'on appelle le fameux «paradoxe de la démocratie». Un étudiant participe à la vie démocratique en prenant part aux assemblées de son association. Il croit aux décisions prises démocratiquement. Supposons qu'il soit en faveur de la hausse des droits de scolarité. Le vote pris en assemblée va, lui, à l'encontre de sa préférence. Bon démocrate, notre étudiant accepte la décision majoritaire. Reste que, à strictement parler, ses désirs sont contradictoires. Car, s'il accepte personnellement ou individuellement la hausse, il ne l'accepte plus au plan, disons, collectif de la volonté générale, puisqu'il se range désormais du côté de la majorité! C'est du moins ainsi qu'on doit s'expliquer le calcul que faisaient les fédérations étudiantes qui comptabilisaient TOUS les étudiants-es d'un cégep, même si ce ne sont pas TOUS les étudiants qui avaient voté contre la hausse, et qu'une minorité d'entre eux avait voté, et que de cette minorité, une majorité avait enlevé les voix.
Par ailleurs, l’AGECVM se conçoit comme un «syndicat étudiant».[1] Ce qui va bien au-delà des prérogatives de la loi 32, loi sur l’accréditation et le financement des associations d’élèves ou d’étudiants-es. La charte fondatrice du syndicalisme étudiant serait celle adoptée en 1946, la Charte de Grenoble, par l’Union nationale des étudiants de France, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Or, l’AGECVM est au Québec en 2013. Passons. Le but visé, évidemment, par la dite Charte de Grenoble est de faire de l’étudiant-e un «travailleur intellectuel» de telle manière qu’il-elle ait droit à une allocation lui permettant d’étudier «dans l’indépendance matérielle, tant personnelle que sociale». On voit là les prémices de la gratuité scolaire que les Fédérations étudiantes défendaient à défaut du gel des droits de scolarité.
On
ne s’étonnera guère que le législateur québécois n’est pas tenu compte de la
soi-disante Charte de Grenoble en élaborant la loi 32 puisque le concept
d’étudiant-e définit comme «travailleur
intellectuel» est grotesque. En effet, il faut convenir que l’étudiant est
tout sauf un «travailleur» producteur de biens et services recevant pour se
faire une rémunération. Si l’on devait tenir l’étudiant-e comme travailleur, il
faudrait alors prélever sur son «salaire» des impôts et des taxes, comme pour
tous les travailleurs. Le concept «travailleur intellectuel» est tout
simplement aberrant. Par ailleurs, en faisant de l’étudiant-e un «travailleur»,
ce titre légitimerait le fameux «droit de grève» étudiant qui n’existe pas
actuellement au niveau légal dans le Code du travail puisque les étudiants ne
sont pas considérés comme des «travailleurs» recevant d’un employeur une rémunération.
On le voit l’admission de l’étudiant-«travailleur» a de lourdes conséquences,
et ce n’est pas pour rien que l’AGECVM veut faire des étudiants-es des
«travailleurs-es».
Puisque
les étudiants-es ne dépendent plus de leurs parents, une fois à l’université, ils
devraient dépendre, selon l’AGECVM, en tant que travailleurs-es, de l’État
devant désormais assurer leur «indépendance tant personnelle que sociale». Or,
on ne devient pas automne en vivant aux frais soit de ses parents soit des
contribuables. On le devient en travaillant, en gagnant sa vie. Une vérité de
La Palice. Maria Montessori (1870-1952), la grande pédagogue italienne,
soutenait qu’un jeune qui n’a jamais travaillé, qui n’aurait jamais gagné sa
vie, serait difficilement digne d’accéder à un poste quelconque une fois ses
études terminées.[2] Il
ne faut pas surtout pas dissocier, rappelle la pédagogue, les exigences de la
vie réelle avec celles de la vie étudiante.
En
tant qu’étudiant, le jeune homme et la jeune femme puisent chez ses
prédécesseurs les idées, les théories, les techniques, etc., qui vont leur
permettre plus tard d’exercer un métier, et de devenir, à leur tour,
véritablement des travailleurs, des «producteurs» d’idées, de théories, de
techniques, etc. Entre-temps, l’étudiant-e est à l’université pour assimiler
les innovations de ses ancêtres. Pour y avoir droit, il doit payer les frais de
sa formation. C’est la moindre des choses. Sinon, l’étudiant-e se comporte en
une sorte de pillard s’accaparant illégitimement pour son propre bénéfice des
savoirs produits par les hommes et les femmes des générations précédentes qui,
très souvent, ont lutté péniblement, à la sueur de leur front, pour faire
progresser l’état des connaissances.
Il
y aurait bien d’autres points à soulever dans la constitution de l’AGECVM mais
ce qui précède suffit à montrer que l’AGECVM s’égare et égare ses membres sur
les buts et visés raisonnables et réalistes auxquels on doit s’attendre d’une
association étudiante.
J’aimerais
toutefois terminer cette intervention par ce dernier point de la plus haute
importance en démocratie. Je me réfère au philosophe britannique du 19e
siècle, John Stuart Mill, dans son livre qu’on ne lit plus – c’est dommage
parce que ce livre est un traité de philosophie démocratique -, On Liberty – De la liberté, publié, soit-dit en passant, en 1859, la même année
que la publication de l’Origine des
espèces de Charles Darwin. En tout cas, je propose à la direction de l’AGECVM
la lecture cet essai fondamental sur la démocratie.
Qu’y
lit-on de si important? Dans le deuxième chapitre, intitulé De la liberté de pensée et de discussion,
Mill énonce deux principes fondamentaux dans la discussion démocratique.
1)
On ne doit jamais museler une opinion contraire à celle
de la majorité;
2)
Il est légitime de critiquer l’opinion de son
adversaire uniquement lorsqu’on comprend à fond cette opinion opposée à la nôtre;
autrement dit, lorsqu’on ne connaît que sa propre opinion, on ne la connaît
pas, de sorte qu’on n’a pas le droit de critiquer celle de l’autre.
Ainsi, la
démocratie, le débat démocratique est extrêmement exigeant. Certaines vont
jusqu’à dire que les deux principes de Mill rendent impossible la discussion en
démocratie. Je ne suis pas de cet avis. Je crois que ces deux devoirs
fondamentaux de la démocratie sont incontournables.
Or, je crois que, comme je le
mentionnais précédemment, pour éviter la tyrannie de la minorité à l’AGECVM, il
est de la plus haute importance de mettre en application impérativement les
deux principes de Mill. La démocratie est exigeante. Mais, comme le disait Spinoza, ce qui est précieux est aussi difficile que rare.
[1]
Voir l’Agenda CVM 12/13, publié par l’AGECVM, p. 56. Cet agenda publié grâce
aux cotisations des étudiants-es du Vieux Montréal fait la promotion et la
défense des idées ainsi que des valeurs de l’association étudiante. L’AGECVM ne
peut pas mieux exercer sa propagande auprès des étudiants-es en leur lavant de
la sorte leur cerveau.
[2]
Maria Montessori, De l’enfant à
l’adolescent, Desclée de Brouwer, 2004, p. 169.
dimanche 10 mars 2013
L'ÉDUCATION COMPRACHICO
L’éducation ne
consiste pas à rechercher des méthodes nouvelles en vue d’une aride transfusion
des connaissances; elle doit se proposer d’aider au développement de l’homme.
C’est, par conséquent, la vie humaine, la vie dans ses valeurs, qu’il nous faut
considérer.
Maria Montessori (1870-1952)
LES COMPRACHICOS
DE L’ESPRIT
Qui
connaît aujourd’hui les comprachicos?
Dans son roman, L’homme qui rit,
Victor Hugo nous en parle.
Comprachicos… est un
mot espagnol composé qui signifie «les achètes-petits». Les comprachicos
faisaient le commerce des enfants. Ils en achetaient et ils en vendaient… Et
que faisaient-ils de ces enfants? Des monstres. Pourquoi des monstres? Pour
rire.
Bref,
les comprachicos déformaient, rabougrissaient, avilissaient les enfants afin d’en faire des
êtres difformes, des monstres comme dit Hugo. Cette pratique ne se passait pas
qu’en Espagne. Elle était répandue partout en Europe, voire en Chine. Hugo
écrit :
En Chine, de tout temps,
on a vu la recherche d’art et d’industrie que voici : c’est le moulage de
l’homme vivant. On prend un enfant de deux ou trois ans, on le met dans un vase
de porcelaine plus ou moins bizarre, sans couvercle et sans fond, pour que la
tête et les pieds passent. Le jour on tient ce vase debout, la nuit on le
couche pour que l’enfant puisse dormir. L’enfant grossit ainsi sans grandir,
emplissant de sa chair comprimée et de ses os tordus les bossages du vase.
Cette croissance en bouteille dure plusieurs années. À un moment donné, elle
est irrémédiable. Quand on juge que cela a pris et que le monstre est fait, on
casse le vase, l’enfant en sort, et l’on a un homme ayant la forme d’un pot.
C’est commode; on peut d’avance se commander son nain de la forme qu’on veut.
Ayn Rand, dans un texte remarquable, «The
Comprachicos», reprend la technique de déformation des comprachicos pour
décrier l’éducation d’aujourd’hui.[1]
D’après l’auteure d’Atlas Shrugged, l’éducation actuelle forment
des «monstres». Non pas des êtres difformes et hideux au plan physique; certainement,
en tous les cas, au plan mental. Selon Rand, en effet, l’éducation actuelle est
une forme déguisée et particulièrement odieuse de technique de ratatinage de
l’esprit humain. L’accusation d’avilissement portée contre le système d’éducation
moderne ( dont celui qui prévaut au Québec) est fort sérieuse. Qu’en est-il au
juste? Est-elle justifiée? C’est ce que j’aimerais examiner avec vous.
L’ÉDUCATION SERA «SOCIALE» OU ELLE NE SERA PAS
L’éducation
sera «sociale» ou elle ne sera pas! Voilà l’orientation de l’éducation actuelle.
Pour qualifier le type d’éducation que nos jeunes reçoivent, de la maternelle à
l’université, un seul mot suffit : sociale.
Qu’est-ce à dire?
Au
Québec, nous vivons à l’heure du «sociale».
La plus grande des vertus proclamées étant la justice sociale. Pas la justice distributive, qui vise à
récompenser les mérites de chacun-e, mais la justice de la société dans son
ensemble. Je connais des sociétés populeuses, jeunes, vieilles, anciennes, organisées,
désorganisées, démocratiques, dictatoriales, pauvres, riches, etc. Je ne
connais pas cependant de société juste.
Je connais des personnes justes, d’autres injustes. Mais pas de société
«juste». Pour paraphraser Joseph de Maistre (1753-1821), je dirai : «J’ai
vu des Français, des Italiens, des Russes, etc. Quant à la société, je déclare
ne pas l’avoir rencontré de ma vie.» En fait, une «société», est une
abstraction qui n’existe pas comme ses membres particuliers existent. Ce n’est
donc pas une entité morale, responsable, qui puisse être qualifiée de «juste»
ou d’«injuste». Or, aujourd’hui, la justice, surtout au Québec, en terre
social-démocrate, est devenue sociale.
La justice porte sur la collectivité dans son ensemble et non pas sur des
personnes particulières, sur leurs actions et conduites digne d’éloge. La société
québécoise n’a pas d’intention, ni de responsabilité. Bon nombre de Québécois,
sociaux-démocrates, croient le contraire.
Aussi,
lorsqu’on parle d’«éducation sociale», les experts en l’éducation ne parlent
pas tant d’éduquer des personnes, de futurs hommes et femmes, mais l’ensemble
des membres de la société. Dans la même
veine, on éduque, non pas tant pour former des hommes et des femmes, mais on
éduque au nom du soi-disant «bien-commun», de «la richesse collective». Au
Québec, les sociaux-démocrates détiennent le pouvoir politique. En fait, ils
détiennent également le pouvoir sur les idées, sur la culture, dont la pièce
maîtresse, l’éducation.
C’est
donc dans ce cadre général, celui de la justice
sociale, qu’il faut situer l’éducation d’aujourd’hui au Québec. Une éducation sociale, dis-je. Car le but de
l’éducation vise à d’adapter socialement la personne, de la socialiser, en lui
transmettant des savoirs et une culture comme héritage de la «tribu».
L’éducation actuelle, progressiste-comprachico, ne vise plus un projet
humaniste, mais un projet social : intégrer la jeune personne à la
société. La valeur première n’est plus la personne elle-même, mais la société.
Mieux, le fameux «bien-commun». L’État veut le soi-disant «bien-commun». Soyez
rassuré, il va se l’accaparer! L’État, au Québec, à la mainmise sur
l’éducation. Une éducation-comprachico,
c’est-à-dire à la déformation, à l’avilissement de l’être humain. Voyons plus
précisément comment.
L’ÉDUCATION
SOCIALE-COMPRACHICO
Commençons
par le commencement, c’est-à-dire par la garderie. L’approche «progressiste» a
le vent dans les voiles. L’approche progressiste remonte au grand philosophe
américain de l’éducation, John Dewey (1859-1950). Que dit Dewey? Il
écrit : «…l’éducation est une fonction sociale qui assure le développement
des êtres non parvenus à maturité en les faisant participer à la vie du groupe
auquel ils appartiennent.»[2]
Or, le groupe principal auquel les enfants appartiennent est celui d’une
démocratie; Donc, il convient, selon Dewey, d’apprendre aux enfants à vivre en
démocratie. Jusque-là tout le monde applaudit. Qui voudrait condamner la
démocratie? Du point de vue de l’éducation progressiste actuelle, il faut être,
avant toute chose, un bon citoyen, et ça commence à la garderie. Vous savez,
sans doute, que le mouvement en éducation morale, «l’éducation à la citoyenneté»[3]
vise cet objectif social: faire de nos jeunes de bons citoyens; de bons
démocrates conscients de la «justice sociale». Et tout cela passe sous le
couvert de la plus haute neutralité. Foutaise! Le fameux «pluralisme social» se
trouve résorbé dans cette pseudo neutralité de l’éducation sociale.
Or,
puisqu’il convient d’apprendre, toujours selon Dewey, en faisant («Learning by
Doing»), le jeune enfant est encore trop jeune pour apprendre quoi que ce soit.
Il faut donc le faire jouer. L’apprentissage de base dans l’éducation
progressiste consistera donc à la socialiser le jeune par le jeu.
Ainsi, le vase dans lequel nos
éducateurs-comprachicos plonge nos
enfants, c’est celui du conformisme social à la démocratie visant à faire des
jeunes des copies conformes attendues du ministère de l’Éducation – de l’État.
Car, c’est lui, l’État, le commandant en chef des comprachicos qui, au nom de la démocratie, justifie la
défiguration et l’avilissement de nos jeunes.
Un
petit paraît-il solitaire et renfrogné? C’est ni correct ni légitime. L’éducateur-comprachico le contraint alors à
intégrer ou réintégrer le groupe. Toute conduite dérogeant à la vie du groupe
est condamnée et blâmée. Même si le jeune n’est pas en mesure d’apprendre, il
doit, en tout cas, apprendre à partager et à coopérer. À la maternelle et à l’école
primaire, les comportements «égoïstes», individualistes, ne sont en aucune
manière tolérer. Pourquoi? Parce que
c’est ainsi! - Aucune explication, aucune justification n’est donnée, parce
que l’enfant est, soi-disant, incapable de comprendre quoi que soit. Tout au plus, on donne comme excuse: «Tout le monde le fait, fais-le à ton tour!» Comme
l’écrit Ayn Rand : «… la chose la plus importante dans ce monde étrange
c’est n’est pas de savoir, mais de s’intégrer au groupe. Pourquoi? Aucune
réponse n’est offerte.»[4]
On
le voit: l’école progressiste-comprachico
ne mise pas sur le développement de la personne elle-même, mais sur sa capacité
à s’adapter à la vie en société. On tient en somme en sainte horreur
l’individualisme et on porte aux nues la vie sociale. Voilà ce que vise l’éducation-comprachico. Pauline Marois n’a-t-elle
pas déclarée au récent Sommet sur l’enseignement supérieur que l’éducation
était une «richesse collective pour toute la société québécoise»? L’éducation
fait en effet partie de bien-commun, comme on l’a dit, à l’instar des forêts,
des mines, des routes, etc. En ce sens, l’éducation est du ressort du
gouvernement à qui nous lui remettons ces biens. Le gouvernement a donc une soi-disante
responsabilité collective entre les mains. L’État doit considérer l’éducation
comme étant d’abord et avant tout un bien public. Les programmes éducatifs sont
donc conçus dans ce cadre collectiviste ou social, c’est-à-dire comprachico. Car, au fond, malgré le
discours doucereux à l’égard des étudiants, ce qui est valorisé ce n’est pas
tant de formé des hommes et des femmes, mais de gérer un bien public afin qu’il
rapporte à la société. Voilà en quoi réside l’éducation-sociale-comprachico.
LE
SOCIOCONSTRUCTIVISME
Vous
en doutez? Alors, dites-moi, en quoi consiste l’approche «socioconstructiviste»
qui a triomphé et qui a servi de réforme dans nos écoles primaires et
secondaires au Québec depuis 2001? Dans les programmes du primaire et du
secondaire, l’élève, guidé par l’enseignant (puisque celui-ci a perdu de son
rôle traditionnel de «professant», c’est-à-dire dictant des contenus) «construit»
avec les autres «ses propres savoirs» (sorte d’oxymore puisque un savoir n’est
pas personnel). Qu’est-ce que le socioconstructivisme
au juste? C’est un peu complexe, mais relativement simple au fond. Voici ce
qu’on peut lire dans le Manifeste pour
une école compétente :
Le socioconstructivisme
est une théorie de la connaissance, une façon de concevoir la façon dont l’être
humain apprend. Il aide à définir une théorie de l’apprentissage (et non pas
une approche pédagogique) qui suppose deux choses. D’abord, tout être humain
construit ses connaissances, ses habiletés, ses attitudes. Ensuite, la
construction ne se fait pas en vase clos. Elle est sociale. Elle se fait en
interaction avec les autres ou avec leurs productions.[5]
Deux
remarques sur chacun des points du socioconstructivisme évoqués dans la
citation qui précède.
1)
Qui dit connaissance, il va de soi, dit aussi vérité. Or, il n’est jamais
question de vérité objective chez le
socioconstructivisme. En bref, le socioconstructivisme propose une sorte de
philosophie «idéaliste» de la connaissance. Par «idéalisme», j’entends la
conception de la vérité selon laquelle un jugement ou une assertion est vrai
dans la mesure où je suis en mesure de faire valoir la procédure qui me conduit
au jugement en question. Voyez-vous, ici, la vérité est conçue comme étant
relative à une procédure, à un moyen, à une stratégie, etc. C’est ce qui
importe, c’est la procédure élaborée,
pas la vérité. Celle-ci est secondaire. Le fait de savoir si la procédure
conduit bel et bien à la vérité demeure secondaire. En résumé, le
socioconstructivisme n’a que faire de la vérité, et donc, de la connaissance.
Ce qui importe aux yeux du socioconstructivisme, ce sont les habiletés, les
procédures, les attitudes acquises, plutôt que les résultats obtenus,
c’est-à-dire les connaissances elles-mêmes.
2)
Le second point du socioconstructivisme concerne la construction de ses «propres
connaissances». Cela se fait par l’interaction sociale. La construction des
connaissances s’élabore avec les autres; en dialogue avec les autres. Ce n’est
pas la réalité qui rend vrai les solutions des jeunes, mais la conversation ou
la discussion, l’autre en somme. En somme, la vérité n’existe pas en dehors de
l’interaction sociale. Comme on le voit, dans le socioconstructivisme, la
réalité, c’est la société où nous interagissons. La «vérité», n’est que l’accord
ou l’entente sociale, le contrat social, obtenu en bout de piste. (N’est-ce pas
là le modus vivendi du PQ? Sommet,
colloque, recherche du consensus, etc.?)
L'OBJECTIVISME
EST UN ÉGOÏSME
Ayn
Rand a baptisé sa philosophie d’«Objectivisme» en bonne partie pour souligner
le fait, qu’on le veuille ou non, qu’une réalité objective existe en dehors de
nos consciences. La condition humaine fait que nous ne pouvons pas, si l’on
souhaite survivre, oblitérer l’exigence de penser.
Sans penser, en effet, nous ne pourrions pas survivre et nous épanouir sur
cette planète. Nous nous devons donc de penser. Or, cet outil essentiel à notre
survie qu’est la pensée, n’est pas une activité sociale ou collective. C’est,
il faut en convenir, une affaire exclusivement individuelle. Autrui ne pense pas pour moi. Moi non plus, car je ne
puis penser pour autrui. Les philosophes disent alors que, logiquement, la
pensée est par définition personnelle. Ma pensée est la mienne, et ce que je
parviens à découvrir avec elle, à inventer, à concevoir, etc., m’appartient en
propre. Lorsque j’apprends la grammaire ou les mathématiques, je ne les
apprends pas grâce aux autres, mais uniquement en vertu de ma propre intelligence.
Je ne puis penser et apprendre pour autrui. Il doit penser pour lui-même. Ainsi
vont les choses en ce bas-monde.
L’Objectivisme
implique donc une forme d’«égoïsme» qui n’est pas bien méchant et est de bon
aloi. En fait, Rand conçoit l’égoïsme comme un fait métaphysique indépassable. C’est ainsi que sont les choses;
que sont les êtres humains. Évidemment, les partisans de la social-démocratie
et de la gauche en général déchirent leur chemise lorsqu’ils entendent le mot
«égoïsme» car c’est là, pour eux, la racine principale de leur haine contre le
hideux «capitalisme». Selon eux, le capitalisme n’est pas altruiste; donc, il
est mauvais. Au contraire, pour Rand, l’altruisme est le vice par excellence.
Pourquoi? Parce que, selon elle, l’être humain pense d’abord et avant tout pour lui-même et à lui-même, non pas
parce qu’il en aurait décidé ainsi, mais simplement parce que c’est ainsi qu’est
l’être humain. «Égoïste» par nature, pourrions-nous dire. (Nous touchons ici le
point qui engendre la haine viscérale des gauchistes contre Ayn Rand. Ce n’est
pas le sujet de cette conférence; donc, esquivons ce point et revenons à
l’éducation.)
ÉDUQUER,
C’EST EDUCARE
Étymologiquement,
le mot français éducation vient du latin «educare»
qui signifie littéralement mener à bien.
Or, lorsqu’on mène à bien un projet ou une tâche, on est conduit au bien. À
quel bien, donc, conduit la tâche
d’éduquer? La socialisation nous dit
l’éducation progressiste actuelle; d’où procède le bien-commun. On a vu
précédemment les errances, les dérives, voire les dangers, de l’éducation-comprachico. Celle-ci corrompt la pensée
des jeunes. Elle en fait des monstres au plan mental. Comment donc? En ne
développant pas la pensée de chacun-e. Ce que vise l’éducation-comprachico, c’est le moulage de la pensée
à la pensée commune, au bien-commun.
Quoi?!
L’éducation au Québec serait un échec monumental? - Sincèrement désolé, mais c'est ainsi! L’assertion
est si sérieuse et grave qu’il convient de bien l’étayer.
Reprenons
ce que nous disions précédemment à propos du fait que penser est une activité
foncièrement individuelle. D’abord, penser, est capital pour la survie de
chacun ainsi que son épanouissement. Or, l’école progressiste-comprachico ne permet pas de penser par
soi-même, si ce n’est ce qu’il convient de penser afin de s’intégrer au groupe,
à la gang, ou encore à la société.
D’après
Rand, il n’y aurait que deux modes d’apprentissage : ou bien la mémorisation ou bien la compréhension.[6] L’école
progressiste opte pour le premier mode. Jamais elle ne favorise le
développement de la compréhension.
Dans
la psycho-épistémologie randienne, la mémorisation
ne fait appel qu’à la faculté de perception sensible. Ce processus
d’observations et de perceptions sensibles n’est que le premier stade, certes
important, menant à la connaissance, mais il ne demeure que le premier des deux
stades menant à la connaissance. Les processus sensibles doivent être ensuite
relayés à une faculté plus puissante, l’abstraction,
faculté de l’intelligence ou de la raison humaine. C’est là que la raison
élabore des concepts, c’est-à-dire où l’on conçoit le divers de l’expérience
sensible. C’est le travail de la compréhension proprement dit. Rand
écrit :
La seconde méthode
d’apprentissage n’est possible que pour l’homme. Comprendre veut dire centrer
son attention sur le contenu d’un sujet donné (par opposition à la forme sensorielle
– visuelle ou auditive), afin d’isoler ses éléments essentiels pour établir
leurs relations à ce qui était connu préalablement, et les intégrer dans des
catégories appropriées touchant d’autres sujets. Le processus d’intégration est
la partie essentielle de la compréhension.[7]
Le bon enseignant vise systématiquement
à développer et à faire appel chez ses étudiants-es au processus d’intégration
que l’on appelle communément «abstraction». L’enseignant vise à développer la
compréhension, et non pas seulement la mémorisation, à l’aide de la pensée
abstraite ou conceptuelle.
En tant que professeur de philosophie au
collégial, je reste toujours sidéré de constater que bon nombre d’étudiants
restent mal à l’aise face avec l’abstraction. D’ailleurs, ne dit-on pas que la
philosophie est une discipline bien «abstraite»? C’est-à-dire : vague,
incertaine, difficile à comprendre, etc. Du moins, c’est ainsi que les gens perçoivent généralement la philosophie.
Je dis «perçoivent» car ces impressions proviennent du premier niveau de la
démarche cognitive qui, on l’a vu, fait appel uniquement à la perception
sensible. Ainsi, ce que la plupart des étudiants-es disent de la philosophie,
c’est uniquement un jugement de type perceptuel, pas encore conceptuel. On pourrait dire la même
chose du hockey au plan perceptuel : ce n’est que de la violence.
Évidemment, il y a de la rudesse au hockey, voire de la violence. Mais réduire
ce sport à la violence, c’est rater l’essentiel de ce sport qui est de nature
compétitive. Même chose pour la philosophie. Bien sûr, la réflexion de type
philosophique donne souvent l’impression qu’elle est vague, imprécise,
incertaine et difficile à comprendre. Mais il faut aller au-delà de ce stade proprement
perceptuel ou sensible pour parvenir au concept voulant que la philosophie réponde à des questions de sens. Pourquoi le monde existe? Non pas quelle
est la cause qui a engendré le monde,
ce qui intéressent principalement les astrophysiciens. En philosophie, nous
nous interrogeons sur le sens ou la raison d’être de l’existence du monde.
De même pour l’éducation : quel sens lui donner? C’est-à-dire : quelle
finalité? Voilà pourquoi notre sujet est de nature philosophique. L’éducation
vise-t-elle à mouler la pensée des jeunes au diktat social? Ou bien, plutôt :
l’éducation doit permettre à chaque jeune de développer la pensée, c’est-à-dire
la pensée conceptuelle source de compréhension et de connaissance?
L’objection veut que les enfants ne soient
pas prêts à la pensée abstraite. Ce fut l’avis de John Dewey. Mais ce fut pas
l’avis de la grande pédagogue italienne Maria Montessori (1870-1952). D’après
Montessori, entre 7 et 12 ans, le jeune développe sa raison. Contrairement à
l’éducation progressiste-comprachico, «l’éducation à la vie de l’enfant», que
préconise Montessori, il ne s’agit jamais de socialiser l’enfant; au contraire,
il s’agit de l’accompagner dans le développement de son individualité. Comment
faire? Par le jeu avec les autres enfants, comme le propose l’école
progressiste? Non, bien au contraire. - Par ce que Montessori a baptisé : «l’éducation
au cosmos». L’enfant cherche, toujours selon Montessori, à connaître le monde qui
l’entoure tel qu’il est dans toutes ses manifestations. Il y a dans la
pédagogie Montessori un parti-pris net pour ce que les philosophes appellent le
«réalisme» : le monde extérieur existe à notre conscience et il convient
d’en prendre acte.
D’après Montessori, il convient de
sortir l’enfant de la classe. Malgré ce que prêcher l’école progressiste-comprachico,
la réalité ne se limite pas au groupe, à la gang. «Montrons-lui», écrit
Montessori, «les choses dans leur réalité».[8]
Même, une fois à l’université, l’étudiant doit travailler, gagner sa vie. «Un
homme qui n’aurait, écrit encore Montessori, jamais travaillé, qui n’aurait
jamais cherché à gagner sa vie… serait difficilement digne d’accéder à une
direction.»[9]
On nous rabat les oreilles en disant que
l’éducation supérieure, au collège et à l’université, consiste à transmettre
des savoirs et la culture. Ce n’est vrai qu’en partie, puisque le but de
l’éducation, de toute éducation, c’est l’homme. Montessori écrit : «Ce qui
nous importe, c’est ‘le but de l’homme’. Et ce but ne peut se réduire à
emmagasiner des connaissances pour l’exercice d’une profession.»[10]
«Étudier, ce n’est pas vivre; et vivre, c’est précisément ce qui est le plus
nécessaire pour pouvoir étudier.»[11]
L’école progressiste-comprachico enferme
le jeune dans le groupe car, pour elle, il n’y a pas d’autre réalité que la réalité
sociale. Ce qui prédomine, c’est la pluralité des points de vue, des croyances.
Bienvenue de la merveilleux monde de la doxa,
aurait dit Platon! La méthode de l’école progressiste-comprachico c’est, bien
sûr, le dialogue. Ayn Rand rejette comme fort dommageable pour le goût de
l’étude la méthode pédagogique basée sur la discussion.
Suivant cette méthode, l’enseignant
s’abstient de donner sa leçon et préside à une mêlée générale ou encore à une
«séance de tempête d’idées» où les élèves expriment leurs «points de vue» sur
le sujet à l’étude, dont ils ne connaissent rien, ce pourquoi ils sont venus à
l’école précisément pour en apprendre. Ces séances engendrent dans l’esprit des
élèves un ennui mortel. Ayn Rand écrit :
C’est pire qu’une
simple perte de temps. Ils apprennent, à tout le moins, des choses importantes
bien que cela ne concerne pas le sujet étudié proprement dit. Ils y reçoivent
une leçon de métaphysique et d’épistémologie. Implicitement, on leur enseigne
qu’il n’existe aucune réalité objective et ferme que l’esprit humain doit
apprendre à percevoir correctement; que la réalité n’est qu’un flux
insaisissable de sorte que le groupe peut en dire ce qu’il veut; que la vérité
ou la fausseté est déterminée par le vote à la majorité. En outre, la
connaissance n’est ni nécessaire ni pertinente car le point de vue de
l’enseignant n’a pas plus de valeur que le plus paresseux et le plus ignare des
élèves. Par conséquent, la raison, la pensée, l’intelligence et l’éducation
n’ont aucune espèce de valeur. L’élève qui assimile ce genre de conclusion,
pensez-vous sérieusement qu’il ait encore l’intérêt à poursuivre ses études et qu’il
veuille développer son esprit? La réponse est exhibée aujourd’hui sur le campus
des collèges.[12]
Les
vertus de l’Objectivisme randien
D’après Ayn Rand, il y aurait au
moins trois vertus qui méritent d’être développées à l’école. Ce sont les
vertus de raison, de productivité et de fierté.
D’abord, pourquoi parler de «vertu»,
alors que ce terme est aujourd’hui désuet?
C’est bien dommage. Car la vertu est
un trait de caractère qui forge la personnalité des gens. Ce que doit
transmettre l’école, ce n’est pas d’abord une culture et des savoirs, mais des
façons d’être d’hommes et de femmes afin d’en faire d’excellentes personnes.
Je suis d’avis que l’école actuelle
doit impérativement développer la fierté
des jeunes, en leur montrant qu’ils doivent se faire confiance, qu’ils sont les
seuls maîtres de leur destin. En d’autres termes, il faut leur enseigner que le
groupe et la conformité au groupe n’est pas le but premier de l’éducation.
Pour cela, les jeunes doivent
impérativement développer leur capacité à penser rationnellement. Penser
rationnellement, c’est penser sans contradiction, de manière cohérence.
Exemple. Quelqu’un déclare : «La morale n’existe plus; faites l’amour avec
qui vous plaît.» C’est contradictoire car d’une part, on dit que la morale
n’existe plus et d’autre part qu’elle existe parce que devrions adopter l’amour
libre.
Penser rationnellement ne se fait pas en
groupe mais individuellement. Les jeunes doivent apprendre à faire confiance en
leur propre pensée. Les enseignants doivent les guider et les orienter dans cet
exercice scolaire foncièrement solitaire.
Penser, penser par soi-même, c’est
en vérité produire. Là, j’entends les
critiques virulentes de Ayn Rand qui voient dans cette idée de production, une
«sale idée capitaliste». Les opposants au capitalisme ainsi qu’au
néolibéralisme ne veulent rien entendre à ce sujet. Pourtant, Marx n’écrit-il
pas dans l’Idéologie allemande que
les hommes sont les producteurs de leurs moyens d’existence, contrairement aux
animaux? Sur ce point fondamental, il n’y a pas de désaccord entre Marx et
Rand. Là où il y a désaccord entre les deux, c’est que, pour Rand, l’homme doit
penser pour produire. De la
conscience humaine de sa propre survie dépend la production de ses moyens
d’existence. Pour Marx, la conscience, la pensée, paraît toujours en retard sur
la production des moyens d’existence. D’où, d’ailleurs, le matérialisme de
Marx. La matière est première par rapport à la conscience, laquelle n’est qu’un
succédané de la vie matérielle. Au contraire, chez Rand, la pensée, qui présuppose au préalable
l’existence du monde et du corps, permet de concevoir, de créer, d’imaginer, d’inventer,
etc., de nouveaux moyens de production. Nous touchons là le nerf de la guerre
entre l’objectivisme et le socialiste, voire le communisme.
La production ne tombe donc pas du
ciel; elle fait appel à la pensée. Une vérité de La Palice. Penser est exigeant.
Penser demande un effort; une volonté de fer; une détermination sans faille.
Les grandes inventions – songeons à Internet - ne sont pas arrivés toutes seules,
sans effort, sans souffrance, sans sueur d’individus qui ont, comme on dit,
«buchés». Songeons à Bill Gates. Les milliards qu’il récolte aujourd’hui sont
le fruit d’années de travail et peine sans nom. Évidemment, pour les partisans
de Marx, il ne s’agit là que d’épiphénomènes sans grande importance pour
l’histoire, l’individu n’étant rien, la société tout. Ce qui compte, en effet,
c’est l’invention elle-même sur laquelle la tribu estampille aussi tôt son
droit de propriété. Bel exemple illustrant ce que Rand appelle le «cannibalisme
moral».
CONCLUSION
Si
l’éducation est bel et bien une éducation au développement intégral d’hommes et
de femmes, afin qu’ils-elles réalisent leur plein épanouissement en tant qu’ils
sont les êtres qu’ils sont, à savoir des êtres pensants, producteurs et fiers,
il faut opérer impérativement un sérieux coup-de-barre en cessant de concevoir
la finalité de l’éducation comme un soi-disant bien-commun, un bien que
capitalise et gère l’État. Il faut un retour à l’éducation «humaniste» où l’on
facilite le développement des potentialités humaines de chacun-e. Le soi-disant
«droit à l’éducation», c’est en réalité l’aide et le support à la dignité de
chacun-e, et cette dignité réside dans l’acquisition de vertus.
[1] Voir Ayn Rand, Return of the Primitive. The Anti-Industrial Revolution, éditée
par Peter Schwartz, New York, Meridian, 1999, chapitre 2, «The Comprachicos».
Il s’agit de la réédition d’un ouvrage paru en 1971 et publié sous le titre The New Left. The Anti-Industrial Revolution.
[2]
John Dewey, Démocratie et éducation, Paris,
Armand Colin, 2011, Chapitre VII, «La conception démocratique de l’éducation»,
p. 163.
[3]
Consultez par exemple Enseigner et
éduquer à la citoyenneté, sous la direction de André Duhamel et France Jutras,
Les Presses de l’Université Laval, 2005. André Duhamel écrit en introduction
que l’école est le microcosme de la société politique: «… l’école crée un
espace fictif à l’image de la société politique elle-même et elle forme ce
faisant un puissant outil pour encourager l’égalité des chances. C’est parce
que l’école est obligatoire pour tous et vise à déjà ces objectifs de justice
sociale qu’elle paraît l’institution privilégiée pour prendre le relais des
autres mécanismes défaillants.» (p. 4)
[4] Ayn Rand, The Comprachicos, p. 59.
[5] En
collaboration, Manifeste pour une école
compétente, Montréal, Presses de l’Université du Québec à Montréal, 2011,
p. 36.
[7] Ibid.
[8]
Maria Montessori, De l’enfant à
l’adolescent, Paris, Desclée de Brouwer, 2004, p. 44.
[9] Ibid., p. 169.
[10] Ibid., p. 168.
[11] Ibid., p. 162.
[12] Ayn Rand, «The Comprachicos»,
p. 70-71.
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