Bien que je ne sois pas en faveur ni de la gratuité scolaire ni du gel, en raison du nivellement par le bas de la qualité de l'enseignement, voici une idée parmi d'autres pour abolir la hausse dans la veine suggérée cette semaine par les associations étudiantes. Il s'agirait de couper dans le système d'éducation, car là aussi il y du "gras" à couper. En particulier, chez les enseignants, les enseignants incompétents. Cela permettrait une hausse de la qualité de l'enseignement. Voilà le véritable enjeu en éducation. Et je porterai le carré rouge cette fois-ci. Évidemment, en faisant cette suggestion mes confrères voudront me lapider. Ce qui dévoile au grand jour le coporatisme des enseignants ainsi que leurs puissants syndicats.
Les philosophes scrutent l'actualité. La suite-blogue d'En quête de sens (publié aux Éditions Logiques en 2008)
dimanche 15 avril 2012
vendredi 13 avril 2012
CARTON ROUGE AUX ROUGES: DÉNI DE DÉMOCRATIE
Le mot tordu de Léo Bureau-Blouin, président de la FECQ, évoquant une situation dangeureuse, voire une guerre civile, si le gouvernement reste muet aux revendications étudiantes, en a estomaqué plus d'un. Retour sur des propos malheureux.
Les étudiants contestataires se drapent de l’habit de la démocratie, et hurlent d’indignation lorsque des institutions d’enseignement cherchent à obtenir des tribunaux des injonctions permettant aux étudiants de poursuivre leur session mise dangereusement en péril par le boycott. Ces étudiants rouges de colère, ainsi que leurs supporters que sont les syndicats des professeurs, considèrent que la juridisation du conflit noie le poisson puisque seule la «grève», selon eux, est habilitée à résoudre le conflit. Toutefois, la réalité légale les rattrape et les force à reconnaître que leur action n’est pas une «grève» au sens du Code du travail. Il s’agit bel et bien d’un boycott, du boycott de cours. Dans ces conditions, il est exclu que les autres étudiants non-contestataires soient être privés de leurs cours. Lors d’un boycott, par exemple d’un produit de consommation, il est exclu qu’on interdise à tous et à toutes la consommation dudit produit. Vouloir interdire l’accès des étudiants non-contestataires mérite donc un carton rouge pour déni de démocratie.
Les étudiants contestataires se drapent de l’habit de la démocratie, et hurlent d’indignation lorsque des institutions d’enseignement cherchent à obtenir des tribunaux des injonctions permettant aux étudiants de poursuivre leur session mise dangereusement en péril par le boycott. Ces étudiants rouges de colère, ainsi que leurs supporters que sont les syndicats des professeurs, considèrent que la juridisation du conflit noie le poisson puisque seule la «grève», selon eux, est habilitée à résoudre le conflit. Toutefois, la réalité légale les rattrape et les force à reconnaître que leur action n’est pas une «grève» au sens du Code du travail. Il s’agit bel et bien d’un boycott, du boycott de cours. Dans ces conditions, il est exclu que les autres étudiants non-contestataires soient être privés de leurs cours. Lors d’un boycott, par exemple d’un produit de consommation, il est exclu qu’on interdise à tous et à toutes la consommation dudit produit. Vouloir interdire l’accès des étudiants non-contestataires mérite donc un carton rouge pour déni de démocratie.
Cela étant admis, si l’on veut bien encore parler «droit de grève», celui-ci a des limites. Dans la réalité, lorsque la négociation mène systématiquement à l’impasse, une loi spéciale met fin au droit de grève et force le retour au travail. Dans le cas du présent boycott étudiant, les étudiants ont pu exercer leur droit au boycott et forcer le gouvernement à négocier. Les étudiants ont refusé l’offre du gouvernement, mais n’ont rien proposé comme contre-proposition. Toute offre qui ne constitue pas le gel des droits de scolarité est rejetée du revers de la main par les associations étudiantes. Dans ces conditions, le gouvernement n’a pas d’autre choix que de forcer le retour en classe et de mettre fin à la grève. Il s’agit là d’une procédure parfaitement démocratique parce que le gouvernement gouverne avec la légitimé qui l’a mis au pouvoir. Que cela nous plaise ou non, la démocratie ne consiste pas seulement l’exercice de la liberté d’expression mais à se soumettre aux volontés du gouvernement élu démocratiquement par la majorité des citoyens.
Aussi, dans le conflit actuel, en appeler à braver le gouvernement, étant donné son refus de geler les frais de scolarité, comme le font présentement mes confrères professeurs, est carrément irresponsable. Ce qui est visé va bien au-delà de la hausse des droits de scolarité, car c’est vouloir renverser le gouvernement autrement que la procédure démocratique convenue. L’appel des professeurs correspond en réalité à une forme de désobéissance civile visant, sinon à renverser, du moins à déstabiliser le gouvernement. Carton rouge donc pour le déni de démocratie des professeurs.
Il est facile alors tout en restant payé plein salaire de déchirer sa chemise sur la
place publique pour soutenir le boycott étudiant. On reconnaît là la gauche
caviar. Au fond, dans ce conflit, c’est la gauche minoritaire qui s’agite et
radicalise le conflit en raison principalement de sa guerre déclarée à la
droite libérale. Or, aux pays des aveugles, tous les bornes sont rois.
samedi 7 avril 2012
LE PHILOSOPHE SAPROPHYTE
Dans l’univers écologique, les chaînes de saprophytes ou de détritivores comportent des organismes qui se nourrissent de matières organiques en décomposition. La vie philosophique n’est pas exempte de ce type de parasitisme. En effet, des penseurs qui n’ont rien à dire se délectent de la pensée d’auteurs originaux. Ce sont des éboueurs qui débarrassent le monde de ce qu’ils considèrent être des ordures.
Malgré le déni du contraire, le philosophe saprophyte a bel et bien une philosophie implicite, celle consistant à débusquer les «erreurs» de ses confrères. Il excelle à ce jeu qui consiste à «Trouver l’erreur». C’est un positivisme au sens où à tout problème philosophique correspond une «solution»; qu’il existe par ailleurs des erreurs catégoriques en philosophie que le progrès de la science exhibera et solutionnera au fur et à mesure de son développement.
Bon nombre de philosophes analytiques se sont volontiers transformés en penseur saprophyte. Bertrand Russell en est l’exemple éloquent. Lord Russell rédigea quantité d’ouvrages, dont sa monumentale Histoire de la philosophie occidentale, dans lesquels il présente les grands philosophes en s’efforçant de les situer dans leur contexte historique spécifique. Or, Russell ne prise guère les philosophes médiévaux, dont Thomas d’Aquin. Voici ce qu’il écrit à propos du plus grand des théologiens catholiques :
On ne trouve chez Thomas d’Aquin peu de véritable esprit philosophique. Il n’agit pas, comme le Socrate de Platon, en suivant l’argument jusqu’à son terme quel qu’il soit. Il ne s’engage pas dans une recherche, dont le résultat est imprévisible. Avant de commencer à philosopher il sait déjà d’avance la vérité : elle est déclarée dans la foi catholique. S’il peut trouver des arguments, en apparence rationnels pour certaines parties de la foi, tant mieux; s’il ne le peut pas, il retombe sur la révélation. Trouver des arguments pour une conclusion fixée d’avance n’est pas de la philosophie mais une plaidoirie spéciale. Je ne puis donc admettre qu’il mérite d’être placé au même niveau que les meilleurs philosophes, tant en Grèce que dans les temps modernes.[1]
Le problème avec Thomas d’Aquin, selon Russell, ce n’est pas tant que les arguments du «Docteur angélique» justifiant sa foi catholique soient erronés, mais qu’il n’y ait pas de véritable argumentation. Russell erre puisque, comme chacun sait, Thomas d’Aquin fait appel le plus souvent à l’aristotélisme pour justifier la foi chrétienne. Or, puisque Russell ne prise guère la philosophie d’Aristote[2], il ne faut pas s’attendre à ce qu’il soit particulièrement tendre envers l’aristotélicien que fut Thomas d’Aquin, en plus d’être un théisme chrétien, ce que Russell a par ailleurs combattu. Entre ne pas être d’accord avec les arguments d’un penseur, et le fait qu’il n’aurait pas d’arguments, il y a une marge importante que franchit allégrement Lord Russell.
Quoi qu’il en soit, Russell donnera le ton à toute une génération du mouvement de la philosophie analytique où la tâche désormais de la philosophie ne consistera plus qu’à débattre des thèses et des arguments les supportant, les questions «substantielles», métaphysiques ou ontologiques étant désormais dépassées. C’est ce qui a donné naissance entre autres au mouvement de la pensée critique (critical thinking).[3]
Plusieurs s’élèveront contre cette conception ratatinée de la philosophie, dont Robert Nozick (1938-2002). Nozick en eut mare un jour de la pratique de la philosophie analytique qui ne consistait «qu’à ‘forcer’ le lecteur à admettre une conclusion au moyen d’un argument massue (knock-down argument).»[4] Nozick conçu autrement le travail philosophique qui, en bout de piste, ne consistait jusqu’à présent qu’à «contraindre les gens à la croyance». Il confia à son interlocutrice, Giovanna Borradori, qu’après son œuvre majeure, Anarchie, État et utopie, parue en 1974, il proposa une «philosophie libertarienne» se voulant anti-coercitive autant sur le plan politique que philosophique :
…je n’ai jamais souhaité contraindre les gens à la croyance, je désire les aider à mieux comprendre. Par conséquent, je fus dès lors d’avis qu’il valait mieux structurer l’entreprise philosophique autour de l’activité de compréhension plutôt que celle de l’argumentation, laquelle ne correspondait pas à ma motivation première pour la philosophie. Je suis d’avis qu’en formulant bon nombre de débats philosophiques sous l’habit de cette logique coercitive, il en résulte une distorsion.
(…)
Je pense que la pratique académique m’a incité à concevoir une pensée théorique plus libertarienne : lorsque des conférenciers étaient invités dans le cadre de conférence universitaire, le conférencier présentait une argumentation consistant essentiellement à convaincre l’auditoire. L’auditoire s’objectait ensuite en soulevant des objections. Pourquoi cette guerre? N’aurait-il pas une manière plus coopérative de procéder?[5]
À propos de la recherche de la compréhension, je cite dans ce qui suit la fin du chapitre 9 de mon ouvrage Plaidoyer pour une morale du bien (Liber, 2011).
[Selon Linda Zagzebski, éthicienne des vertus][6], on aurait tort de faire constituer la vérité uniquement dans une simple procédure intellectuelle. Ce qui pousse à la vérité, c’est une certaine émotion — une passion, comme on disait autrefois. Cette émotion-passion est ce que nous éprouvons lorsque nous reconnaissons quelqu’un d’admirable. Aristote, par exemple, est rien de moins qu’admirable. On pourrait dire la même chose de tous les grands philosophes ; mais on conviendra qu’à cet égard Aristote constitue un modèle en ce qu’il se consacra comme personne ne le fera par la suite à l’unique quête du savoir. Comme l’écrit Jonathan Barnes, «Aristote fut poussé tout au long de sa vie par un seul et unique désire directeur: celui de connaître»[7]. Ce qui signifie que dans une épistémologie de l’excellence il puisse exister une pluralité de modèles d’excellences épistémiques. À cet égard, on pourrait dire qu’il existe autant de modèles d’excellences épistémiques que de philosophes.
Quoi qu’il en soit, tout le Moyen Âge Aristote désignera comme Philosophus, «Le Philosophe». Il y a chez ce Grec un trait de caractère éminent — un peu comme nous louons aujourd’hui les personnes hautement brillantes et savantes en les appelant «Einstein». Ce puissant trait de caractère poussa courageusement Aristote à une quête passionnée de la vérité. Il fit preuve d’une ténacité exemplaire, ainsi que d’une rigueur intellectuelle tout aussi remarquable. Il passa, en effet, près de vingt à l’Académie de Platon. Petit à petit, il élabora une philosophie contraire à celle de son maître qu’il tenait sûrement en haute estime. Nul doute que l’amitié qu’il vouait à son maître l’autorisa à le critiquer.
Pour Aristote, la quête de la vérité fut celle du bien ou de l’excellence, constituant l’épanouissement intégral de l’être humain. Aussi, la quête de la vérité, n’est pas qu’une simple quête de la connaissance pour la connaissance; c’est surtout — du moins d’après Linda Zagzebski — la quête de la «compréhension» (understanding).[8] Depuis Descartes, la connaissance est le point de départ et d’arrivée de la démarche philosophique. La certitude est le maître mot de la philosophie moderne. L’ennemi à abattre, à cet égard, est l’hideux serpent du scepticisme.
À la fin de l’époque moderne, Nietzsche pourra dire: «Ce n’est pas le doute qui rend fou, mais la certitude.» Le philosophe au marteau se fera le critique acerbe du rôle proéminent dévolu à la raison dans la philosophie moderne. Nietzsche réhabilitera le rôle inoffensif et indispensable des émotions et de la passion en général en philosophie pavant la voie à la redécouverte des philosophes grecs. Nietzsche réhabilitera en particulier la vieille notion poussiéreuse de vertu, de sorte qu’il est aujourd’hui considéré comme le précurseur de l’éthique des vertus.
Chez les Grecs, l’amour de la vérité était tenu pour une vertu, une excellence humaine. Bien que Nietzsche l’ait décriée, l’amour de la vérité constitue un puissant incitatif parce que nous désirons comprendre les choses et que c’est là la condition sine qua non de l’épanouissement humain. Dans le langage aristotélicien, l’amour de la vérité n’est pas la fin — le telos — mais le moyen en vue de notre épanouissement consistant dans la compréhension du sens des choses — de la finalité de toutes choses — qui est le terme ultime de l’agir humain.
L’activité consiste à comprendre revêt donc une signification plus ample que connaître. Elle est liée à notre fin, le «bonheur» (=épanouissement). Comprendre et connaître diffèrent entre eux comme la compréhension d’une œuvre musicale diffère du simple fait de la connaître. Celui qui comprend une symphonie de Beethoven, en comprend le sens, c’est-à-dire le but ou la direction – bref, le telos.
Pour Aristote, il existe différents types de cause, dont la cause finale. L’épistémologie moderne a rejeté ce genre de causes du domaine de la connaissance, de la science en particulier. Ce qui fait que la certitude, à la différence de la compréhension, a dominé la quête de la connaissance chez les modernes et encore nos contemporains.
Pour redécouvrir Aristote, il faudrait traduire la fameuse phrase qui ouvre la Métaphysique par «L’homme désire, par nature, comprendre.» Comprendre est indissociable d’une vie bonne, réussie. Ainsi, d’après les considérations qui précèdent, l’éthique de l’excellence et l’épistémologie ne font qu’un.
[1] Bertrand Russell, Histoire de la philosophie occidentale, Paris, Les Belles Lettres, 2011, p. 536.
[2] Dans The Scientific Outlook, on lit : «Comme tous les grands innovateurs des temps modernes, [Darwin] dû lutter contre l’autorité d’Aristote. Aristote... représenta l’un des plus grands malheurs pour l’humanité. La logique qui s’enseigne encore aujourd’hui dans les universités est pleine d’absurdités, et Aristote en est le responsable.» Routledge, Londres, 1931, p. 27. Ma traduction.
[3] Voir Normand Baillargeon, «Bertrand Russell, le sceptique passionné» in Raison oblige. Essai de philosophie sociale et politique, PUL, 2009, 23-38.
[4] Giovanna Borradori, The American Philosopher, Conversation with Quine, Davidson, Putnam, Nozick. Danto, Rorty, Cavell, MacIntyre, and Kuhn, Chicago, The University of Chicago Press, 1994, p. 74.
[5] Ibid., p. 75.
[6] Voir entre autres de Linda Zagzebski, Virtues of the Mind. An Inquiry into the Nature of Virtue and the Ethical Foundations of Knowledge, Cambridge University Press, 1996; On Epistemology, Belmont, Wadsworth Philosophical Topics, 2008. Voir aussi M. DePaul et L. Zagzebski, éditeurs, Intellectual Virtue. Perspectives from Ethics and Epistemology, Oxford, Oxford University Press, 2003. Enfin, signalons John Greco, Acheving Knowledge. A virtue-Theoretic Account of Epistemic Normativity, Cambridge University Press, 2010.
[7] Jonathan Barnes, Aristotle, Oxford, Oxford University Press, Past Masters, 1982, p. 1. Ma traduction.
mardi 3 avril 2012
LES VACHES À LAIT
Le chroniqueur économique de La Presse, Michel Girard, nous apprend qu’en 2009, 55% de la population québécoise ne paie pas d’impôts et que 4.1% de la population paie 41% des impôts. Hallucinant! Lorsqu'on pense que les étudiants contestataires de la hausse des droits de scolarité en rajoutent en réclamant la gratuité scolaire, je pense qu'il s'agit d'un acharnement non seulement inique, mais inqualifiable. Les riches sont carrément traités comme des vaches à lait! «Payez, payez pour nous, ainsi soit-il!» semble être la prière des «rouges» ainsi que de leurs sympathisants. Quand j'entends les professeurs s'indigner de la «juste part» du ministre Bachand, je reste tout simplement consterné.
Au Québec, il semble que ce soit une tare que d'être riche. En fait, il existe bel bien deux classes de citoyens, les payeurs d’impôts et les autres. Si vous êtes riches, vous avez le devoir de vous dépouiller. La responsabilité est davantage collective qu’individuelle. La culture est égalitariste et nivele vers le bas. En somme, c’est la culture de la médiocrité. Vive le Québec libre de ses irresponsables!
samedi 31 mars 2012
LA GRENOUILLE QUI VOULAIT SE FAIRE BOEUF. Réponse à mes critiques
Le moins qu’on puisse dire c’est que mon Devoir de philo à propos de la manière dont verrait Derek Parfit l’actuelle contestation étudiante, n’a laissé personne indifférent. 46 commentaires, la plus part désobligeants; 4 maigres votes en faveur… Dans un contexte chauffé à blanc par la contestation étudiante, je ne me berçais pas d’illusions quant à la réception qu’on allait faire de mon exercice scolaire. Aussi, j’avais salué le courage d’Antoine Robitaille de me permettre de publier mon texte, sachant que je n’allais pas être le seul à être lapidé sur la place publique.
Il n’est pas aisé de départager la part «idéologique», de la part de vérité des commentaires m’imputant de «grossières erreurs». N’oublions pas également que nous sommes en terre du Québec, que nous sommes «tricotés-serrés», et que la dissidence est toujours mal vue et condamnée. Imaginez un prof de philo du Vieux Montréal, l’un des foyers légendaires de la «go-goche», qui refuse de se soumettre aux directives de son syndicat appuyant le boycott étudiant! C’est le monde à l’envers, quoi! Imaginez, en outre, que ce même prof ait l’outrecuidance de contester le mot d’ordre d’éminents universitaires, dont Georges Leroux et Guy Rocher, dans une Lettre ouverte aux professeurs d’université (paru dans Le Devoir en ligne) les invitant à contester la «juste part» du ministre Bachand. Le tableau est complet : notre prof de philo est tout simplement tombé sur la tête! Non, mais, qui va lui faire entendre raison à ce bougre d’idiot?!
Une réponse est venue de la terre bénie des dieux, la cité universitaire d'Oxford, là où Derek Parfit enseigne. Elle est venue de François Hudon, Fellow au Centre for the Study of Social Justice de la University of Oxford. Excellente critique. Posée et sereine. Comme il convient dans la pratique philosophique anglo-saxonne.
François Hudon reproche deux choses à mon Devoir de philo. 1) Il commet une erreur d’interprétation textuelle de Parfit «Égalité ou priorité?»; 2) L’objection du nivellement par le bas ne s’applique pas au cas de la hausse des droits de scolarité.
Voilà qui a le mérite d’être clair. Je vais surtout montrer ici que mon interprétation demeure valable, à savoir que la prioritarisme est aussi affecté par le nivellement par le bas. De plus, je montrerai que le prioritarisme est aussi confronté à l’objection du nivellement par le haut. Inutile de chercher cette thèse chez Parfit et de me reprocher que j'en dis plus que le maître n'enseigne.
Parfit écrit : «La position prioritariste coïncide souvent avec la croyance dans l’égalité». L’une des grandes originalités de l’essai de Parfit consiste à distinguer l’égalitarisme du prioritarisme. La distinction paraît claire; à d’autres moments, Parfit a des doutes. Considérons l’exemple du monde divisé qu’examine Parfit en conclusion de son texte:
(1) La moitié à 100, l’autre 200;
(2) La moitié à 140, l’autre 140.
Un égalitariste déontologique ne peut rien dire quant à ce qui est préférable entre les situations (1) et (2). Un égalitariste téléologique dirait que (2) serait préférable à (1), puisqu’il valorise l’égalité par-dessus tout. Que dirait un prioritariste? (2) serait préférable à (1). Pourquoi? Parce qu’en terme absolu, les plus défavorisés ont davantage, et non pas en raison de l’égalité numérique. «Il est exact que, écrit Parfit, en passant de (1) à (2), les personnes mieux lotis ont davantage à perdre que les personnes défavorisées n’ont à gagner.» Or, (2) représente bel et bien un nivellement par le bas par rapport à (1). Donc, le prioritarisme, contrairement à ce qu’affirme Parfit par ailleurs, est aussi confronté à l’objection du nivellement. En effet, Parfit écrivait plut tôt : «Les égalitaristes sont confrontés à cette objection [nivellement par le bas] parce qu’ils estiment que l’inégalité est en elle-même une mauvaise chose. Si nous acceptons la position prioritariste, nous évitons cette objection.» (p. 314) Mon exemple des consoles électriques voulaient seulement illustrer de manière signifiante l’exemple précédent de Parfit.
Gardien de la lettre du texte de Parfit, François Hudon me réprimande en me le citant: « Supposons que ceux qui sont mieux lotis subissent un quelconque coup du sort, si bien qu’ils se retrouvent aussi mal lotis que tout le monde. Étant donné que cet événement supprimerait l’inégalité, il faut qu’il soit en un sens le bienvenu, du point de vue télique, quand bien même il aggrave la situation de quelques-uns, sans améliorer celle de quiconque. Aux yeux d’un grand nombre d’auteurs, cette conséquence semble une absurdité totale. C’est ce que je nomme l’objection du nivellement par le bas. » (p. 307) En somme, aux yeux de Hudon – et, partant, de Parfit -, pour qu’il y ait nivellement par le bas, il faut que la situation des plus démunis ne s’en trouve ni diminuée ni améliorée. C’est ce que j’appellerais une conception stricte du nivellement par le bas. Prenons le cas de l'ancienneté syndicale. Tous les professeurs embauchés sont qualifiés, c'est-à-dire «compétents». Les excellents profs sont rabaissés et les mauvais profs ou profs médiocres sont remontés à la médiane de la compétence. Il y a ici nivellement par le bas. Si les étudiants contestaient la loi syndicale de l'ancienneté, je serais le premier à porter le carré rouge.
Examinons à présent le cas théorique qui suit de nivellement par le bas.
A B
X 30 20
Y 60 40
Deux sociétés X et Y, composées de deux classes A et B. Dans la société X, chacun de la classe A possède 30 unités; ceux de B en possèdent 20. La société X est inégalitaire de 10 unités. Chez Y, les classes A et B possèdent le double de leur classe correspondante en X. L’inégalité est toutefois de 20.
Un égalitariste préfèrera la société X parce qu’elle est moins inégalitaire. S’il vivait en Y, il souhaiterait bien que sa société se transforme en une société X. Pour cela, il doit vouloir niveler vers le bas en réduisant de moitié les possessions des classes A et B.
Un prioritariste criera évidemment à l’injustice. Même si l’inégalité en Y est du double, les moins bien nantis en B sont encore mieux que les plus nantis en A! Ce sont eux, les moins bien nantis, qu’il faut favoriser - quitte à ce que les inégalités s’accroissent. Le prioritariste voudra donc que la société X se transforme en une société Y. Pour ce faire, il lui faudra niveler non plus vers le bas, mais niveler vers le haut.
Si erreur il y a dans mon Devoir de philo, c’est de ne pas avoir compris que le prioritariste nivelle aussi vers le haut. Il exigera un effort supplémentaire considérable autant des bien nantis que des moins bien nantis. Toutefois, les inégalités s’accroîtront. Un prioritariste exigera des investissements massifs de l’État providentiel. Il forcera les contribuables à payer pour les autres. L’État-providence est la clé de voûte du prioritarisme en surimposant toujours davantage les plus nantis afin d’en arriver à leur société Y inégalitaire.
S’il y a une leçon que Parfit nous enseigne, c’est que le prioritarisme, qui passait trop souvent avant Parfit pour un égalitariste, n’est en fait qu’un inégalitarisme qui s’ignore dont l’unique objectif est de niveler vers le haut afin que l'État paie des biens et services qui nous coûtent les yeux de la tête. C’est la grenouille qui voulait se faire aussi grosse qu’un bœuf, aurait dit Lafontaine. Nous laisserons le mot de la fin au célèbre fabuliste: «Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages.»
dimanche 25 mars 2012
POURQUOI JE PORTE LE CARRÉ VERT
Lorsque les contestaires en sont à revendiquer le poids du nombre, avec la manifestation du 22 mars, c'est que le débat sur la hausse des frais de scolarité cesse d'être rationnel. On use alors de la force, voire de l'intimidation, pour faire plier l'autre (le gouvernement). Might is Right: la Force prime le Droit. Ce qui se met en place à partir de maintenant, c'est la stratégie de l'usure: «nous les aurons bien à l'usure!», scandent les asso étudiantes.
Toute la contestation étudiante oblitère les questions fondamentales de l'excellence de celui et de celle qui s'instruit, du mérite, de la qualité des cours, de la qualité des professeurs. L'ancienneté syndicale est une véritable plaie. À décrier à gauche la marchandisation du savoir, on oblitère les véritables problèmes qui gangrénisent l'éducation depuis si longtemps, dont l'incompétence de certains professeurs. Si c'était la raison pourquoi les étudiants contestent leurs cours, j'afficherais volontiers le carré rouge. Mais des défauts chroniques dont suffoque le système d'éducation québécois, il n'en est jamais question. En somme, la grangrène qui corrompt l'éducation, c'est le corporatisme; la protection absolue des petits intérêts de chacun.
mardi 20 mars 2012
LA PENSÉE MAGIQUE. Réplique à la Lettre ouverte aux professeurs d'université
S’il y a bien un corps étranger à l’institution du savoir qu’est l’université, c’est la pensée magique. Pourtant, trois réputés universitaires québécois font appel à la pensée magique dans une Lettre ouverte aux professeurs d’université paru dans le Devoir en ligne.
L’objection du triumvirat universitaire à l’argument gouvernemental veut qu’«une part ne peut être juste dans une société où l’on introduit des mesures qui renforcent les inégalités sociales au lieu de les diminuer.» Bref, la hausse des frais de scolarité serait, aux yeux de nos éminents universitaires, injuste parce que le contrat social québécois repose sur la solidarité sociale. Ici, on prend un fait – un consensus social -, en l’occurrence l’état de fait du fameux «modèle québécois», et l’on conclut: par conséquent, il faut s’y tenir. Or, depuis Hume, nous savons que l’on ne peut légitimement passer d’un «est» à un «doit». Cela s’appelle un sophisme, baptisé de «naturaliste».
Il y a plus. Ne tenons pas compte du sophisme précédent. Admettons que la solidarité sociale au Québec exige l’abolition de la hausse prévue, voire la gratuité scolaire. Serait-ce toujours juste? À l’évidence, les contribuables devront payer pour assurer la gratuité universelle, en particulier la classe moyenne, déjà lourdement imposée. Est-ce juste? Aucunement. Personne n’a le droit de contraindre qui que ce soit à payer pour les autres.
L’argument de nos universitaires, porte-parole des étudiants, est «pas dans nos poches, mais dans celles des autres». J’entends leur réplique disant : «L’argent existe, mais l’État, incapable de saine gestion, spoliant nos richesses naturelles, refile la facture de leur incurie aux pauvres étudiants.» Voilà la pensée magique. La pensée magique veut que le Québec soit riche à craquer, que l’argent existe quelque part, principalement dans les mains des magouilleurs et des profiteurs du système, que le méchant gouvernement n’ouvre ses coffres qu’aux multinationales, aux entreprises en collusion, etc. Les syndicats, de leur côté, sont propres et justes parce qu’ils ne trempent pas dans ces magouilles de bas étage, ayant fait vœu de pauvreté en souscrivant au contrat social de partage. Voilà le baratin habituel.
La pensée magique veut que la richesse pousse dans les arbres. C’est faux. La richesse provient du travail et de la responsabilité citoyenne. Acquérir le travail des autres par la force, voilà l’injustice. Aussi la lutte que mènent actuellement les étudiants contre la hausse en vue de la gratuité scolaire, lutte soutenue par l’aréopage universitaire, fait appel à la pensée magique et constitue une grave injustice commise à l’endroit des Québécois. Ceux qui invitent, tels les éminents universitaires, à contraindre d'autres à payer pour les étudiants, sont irresponsables.
Pire encore. Demandez aux économistes:les régimes universels faramineux dont les Québécois se sont dotés depuis cinquante ans et dont ils sont si fiers, ne profitent qu'au mieux lotis.
Pire encore. Demandez aux économistes:les régimes universels faramineux dont les Québécois se sont dotés depuis cinquante ans et dont ils sont si fiers, ne profitent qu'au mieux lotis.
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