lundi 5 mars 2012

ÉGALITÉ ET ÉDUCATION



Derek Parfit (1942-  )
Nul doute que, mise à part la liberté, l’égalité constitue la valeur centrale de nos sociétés démocratiques. Nous sommes tous en faveur de l’égalité de quelque chose : égalité des droits, des revenus, des chances, égalité devant la loi, la justice, égalité de respect, de dignité, de qualité de vie, etc. Toute une flopée de valeurs se retrouve ainsi sous le parapluie de l’égalité, de sorte que le concept d’égalité est l’un des plus difficiles à traiter dans les débats politiques actuels.

Pourquoi l’égalité? Pourquoi avons-nous tant foi en l’égalité? Pourquoi l’égalité est-elle si importante à nos yeux? Nous croyons qu’il faut rechercher l’égalité parce l’inégalité est mauvaise en soi; en contrepartie, cela signifie que l’égalité est bonne en soi. On a là ce que les philosophes[1] appellent une conception «déontologique» de l’égalité. «Déontologique» au sens où l’égalité est à rechercher pour elle-même, indépendamment de ses conséquences, de ses résultats bénéfiques par ailleurs. À titre d’exemple, voici ce qu’écrit Myriam Fahmy, directrice de l’État du Québec, Institut du Nouveau Monde, en introduction au dossier Le Québec est-il (toujours) une société égalitaire[2]: «Le principe sous-jacent à tous ces textes est que plus d’égalité est, en soi, un objectif incontournable pour le Québec.»[3]

Pourtant, nous croyons aussi que l’égalité renvoie ultimement aux valeurs de partage et de solidarité. Si l’égalité est bonne, c’est parce qu’elle améliore la société ou qu’elle rend les gens heureux. Nous croyons par exemple que l’égalité économique est de loin préférable aux inégalités vertigineuses entre riches et pauvres, de sorte que c’est en soi une très mauvaise chose que des gens sont plus défavorisés que d’autres. Comme l’écrit encore la directrice de l’Institut du Nouveau Monde : «En fait, les travaux [de chercheurs britanniques Wilkinson et Pickett] ont mis en évidence une étroite corrélation entre, d’un côté, les inégalités de richesse et, de l’autre, l’espérance de vie, le niveau d’alphabétisation, les taux d’incarcération, le taux de toxicomanie, la santé maternelle et une foule d’autres indicateurs sociaux.»[4]

Ici, ce qui importe, ce sont les conséquences néfastes et, déplorables, des inégalités; de sorte que l’égalité paraît de loin préférable à l’inégalité. Les philosophes qualifient de «téléologique» la conception de l’égalité voulant que les conséquences bénéfiques pour la société dans son ensemble soient préférables à celles engendrées par les inégalités.

Dans nos débats politiques, nous confondons souvent la conception déontologique avec la téléologique. Supposons que les membres de la société puissent être (1) également favorisés, ou (2) également défavorisés. Si nous sommes égalitariste, laquelle des deux situations allons-nous préférer? La conception déontologique de l’égalité ne nous permet pas de choisir entre (1) et (2), même si intuitivement nos préférons (1) à (2). Alors sur quoi fondons-nous notre préférence pour la première situation? Nous fondons notre préférence sur la base d’une conception téléologique de l’égalité – le ce en vue de quoi, le télos, comme dirait Aristote, visé par l’égalité. C’est parce que l’égalité vise en bout de piste le partage et la solidarité que le gens l’estiment tant.

Si nous nous sommes égalitaristes, il importe donc de préciser quel type d’égalité nous défendons. À ce propos, les étudiants boycottant actuellement leurs cours, défendent autant les versions déontologiques que téléologiques : ils revendiquent à la fois un droit à l’éducation [conception déontonlogique] afin de permettre l’accessibilité universelle aux études supérieures [conception téléologique]. C’est la raison pourquoi, le boycottage actuel, ne porte pas, à strictement parler, sur la seule hausse des frais de scolarité [téléologique], mais sur la question plus large de la justice sociale qui, aux yeux du moins des boycotteurs, commande l’égalité économique universelle [déontologique]. L’égalité déontologique réclame donc une vision plus large de la politique, à savoir quelque chose comme la sociale-démocratie, voire le socialisme.


[1] Voyez en particulier Derek Parfit, «Égalité ou priorité?», Revue française de science politique, vol. 46, no 2, 1996, 280-320.
[2] Myriam Fahmi, directrice, L’état du Québec 2011, Institut du Nouveau Monde, Boréal, 2011.
[3] Myriam Fahmi, «Le mythe d’un Québec égalitaire», in L’état du Québec 2011, p. 39. Je souligne.
[4]Ibid., p. 35.

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