vendredi 29 juillet 2011

COMME LES AMARICAINS

Que tous mes détracteurs méditent à fond cette chronique de Christian Rioux:

Je salue ce texte remarquable de mon journaliste préféré du Devoir. M. Rioux élabore admirablement mieux la thèse de la Grattonisation que je ne l'ai pu le faire dans ma petite lettre qui a fait tant jaser et qui a suscité une légion de critiques. J'invite évidemment M. Laguë à répondre à M. Rioux.

La «Grattonisation» n'est pas une lubie de «nationaleux chialeux», et je salue bien haut Falardeau et Poulin d'avoir mis en évidence ce mythe vivant d'Elvis Gratton qui révèle notre identité profonde. Sommeille toujours en tout Québécois un Elvis Gratton.

Ce n'est pas une simple question d'acculturation apolitique. Les 100 000 et plus sont, en effet, «allés entendre le prêt-à-consommer de la gigantesque machine du show biz anglo-saxon», comme l'écrit si justement Rioux. Il y a des choix qui, qu'on le veuille ou non, qu'on le réalise ou non, sont de nature politique au sens premier de l'exercice d'un certain pouvoir. L'«ouverture sur le monde», quelle connerie! L'ouverture plutôt sur la bourse gorgée à bloc de l'industrie musicale amaricaine.

mardi 26 juillet 2011

BEHRING BREIVIK ET L'AFFAIRE GUY TURCOTTE : L'ANALYSE D'ARISTOTE

La raison ne consiste pas à savoir ce qui est bien et mal et à prendre la décision en faveur du bien. C’est ce que croyaient pourtant Socrate et Platon. On peut en effet savoir ce qui est bien et ne pas le faire. Je sais pertinemment que la cigarette cause le cancer, mais je fume quand même. Au contraire, savoir ce qui est bien, pour Aristote, c’est avoir pris de bonnes habitudes – ce qu’il désignait comme «vertus». Je fume; j’ai alors pris une mauvaise habitude dont il me sera difficile de me départir. J’ai peur des étrangers, de leur différence, de l’Islam mystérieux par exemple à mes yeux d’Occidentaux. Je prends alors de mauvaises habitudes. Je n’ai pas par ailleurs appris à proportionner les moyens à mes fins. Pour tuer une mouche, par exemple, j’use d’un fusil. Et la peur, que je ne contrôle plus, me pousse à commettre l’irréparable. Il me semble que l’auteur des attentats en Norvège manifeste une très sérieuse carence en bonnes habitudes (en vertus). On ne fait jamais le mal pour le mal. On n’a tout simplement pas appris des bonnes habitudes; nos mauvaises habitudes suivent  dès lors une pente fatale. L’éducation aux vertus est, en ce sens, capitale. Aristote n’a de cesse de le répéter.


En acceptant la thèse de la défense plaidant l’aliénation mentale dans le procès du Dr Guy Turcotte, le jury accepta implicitement la thèse de Platon. C’est parce que Guy Turcotte avait «perdu la raison», donc qu’il n’était plus apte à juger de ses actes, qu’il ne fut pas tenu criminellement responsable de la mort de ses deux enfants. S’il avait eu toute sa raison, comme on se plaît à le dire, Guy Turcotte n’aurait jamais posé les gestes irréparables qu’il a commis. En effet, l’infanticide est condamnable car il est toujours déraisonnable de tuer ses propres enfants.

Même Médée, dans la pièce éponyme d’Euripide, malgré l’adultère de son époux, Jason, n’a aucune légitimé morale à tuer ses enfants. D’après l’analyse de Platon, la haine et la vengeance, deux passions violentes, usurpèrent chez Médée la souveraineté de sa raison. C’est d’ailleurs pourquoi on dit si typiquement non seulement de Médée, mais de Guy Turcotte, de Breivik ou encore de Marc Lépine, qu’ils «perdirent la raison». Si les passions n’avaient pas renversé dans chacun de ces cas la raison - comme lors d’un coup d’État où le pouvoir légitime est renversé par des forces illégitimes -, ces personnes n’auraient jamais commis leurs crimes inqualifiables. L’analyse platonicienne admet donc un dualisme de la raison, d’une part, et des passions, de l’autre. L’être humain n’est, selon Platon, qu’un champ de bataille où la raison livre une guerre sans merci aux passions ainsi qu'aux désirs lesquels, par définition, sont irrationnels puisque contraires à la raison.

Nous, nous acceptons la thèse dualiste remontant à Platon. Nous admettons implicitement, par ailleurs, la thèse «matérialiste» suivant laquelle la raison a son siège dans le cerveau, de sorte qu’un trouble dans la raison correspond à un disfonctionnement cérébral. Guy Turcotte est excusable du fait qu’il «n’avait pas toute sa tête», c’est-à-dire que son cerveau ne fonctionnait pas comme il faut. Ce qui signifie que, pour nous, le bien et le mal trouvent respectivement leur assise dans le fonctionnement normal et le disfonctionnement du cerveau humain.

Bien évidemment, une toute autre conception du psychisme humain est possible, voire plausible et même plus crédible que celle proposée par Platon. C’est celle d’Aristote. Ne concevons plus, soutient Aristote, l’esprit humain comme étant divisé entre deux parties, la raison, d’une part, et les passions, de l’autre, tel que le suggère  le dualisme de Platon. Concevons plutôt l’esprit comme un réseau de passions où l’on trouve à la fois des vertus et des vices – c’est-à-dire, en gros, de bonnes et de mauvaises habitudes. L’une de ces vertus, qu’Aristote appelle phronèsis, que l’on traduit habituellement par «sagacité» ou encore «prudence», constitue la vertu intellectuelle la plus importante aux yeux d’Aristote, car elle joue, pour ainsi dire, le rôle de la raison chez Platon, mais sans s’opposer aux passions, les vertus étant pour ainsi dire des passions bien dressées. De sorte que lorsque nous posons un mauvais jugement, jamais aux yeux d’Aristote, nous ne «perdons la raison». Nous manifestons simplement un manque de jugement ou un défaut de jugement; en somme : une carence en la capacité de bien juger. Une telle carence s’appelle un «vice». Et, comme toute vertu chez Aristote, la vertu de sagacité ou de prudence s’apprend et se développe.

Ainsi, d’après Aristote, tous les Médée, les Breivik, les Guy Turcotte ou les Marc Lépine de ce monde, ne sont pas tant «fous» que vicieux. Ce sont des êtres, en somme, qui n’ont pas adopté de bonnes habitudes ou qui ont nourri de mauvaises habitudes qui, dès lors, ne font que suivre une pente fatale.

Du point de vue d'Aristote, donc, Guy Turcotte doit être tenu criminellement responsable de la mort de ses enfants parce qu'il n'a pas fait montre des vertus nécessaires au bon jugement dans les circonstances dramatiques et douloureuses de la rupture avec sa femme.

Ainsi, la morale des vertus, d’inspiration aristotélicienne que je défends, juge sur la base de l’excellence de l’homme, pas sur celle des règles morales en elles-mêmes. Certes, l’infanticide est toujours condamnable. Toutefois, ce n’est pas cette règle morale elle-même qui condamne Guy Turcotte, mais uniquement la faiblesse de son caractère qui le conduisit à commettre l’infanticide.


Supposons que l’ex-médecin n’ait pas tué ses enfants. Supposons qu’il se soit dit, malgré sa terrible peine et son indicible désespoir: «il est toujours mal de tuer, en particulier ses propres enfants; c’est donc mon devoir de ne pas intenter à leur vie». Ici, c’est la règle qui est source de la moralité; la qualité de l’individu importe peu. La règle exige, commande impérativement un devoir. En évitant l’infanticide, la moralité reste sauve et indemne. Supposons que Guy Turcotte fut sur le point de tuer ses enfants quand tout à coup - tel l’ange qui arrêta la main d’Abraham - son bras armé paralysa, victime d’un AVC. Il se réveilla le lendemain sans avoir commis l’infanticide, la mère des enfants les ayant conduits en lieu sûr. Certes, Guy Turcotte n’aurait pas tué ses enfants; il aurait simplement raté son coup. La règle morale est sauve. Nous dirions alors que n’eut été de sa paralysie, il les aurait tout de même tués car il en avait la ferme l’intention, et cela le condamne, même s’il échoua. Un tel être, en effet, est vil même si la morale reste intacte.

lundi 25 juillet 2011

LETTRE À BERNARD DRAINVILLE

Cher monsieur Drainville



J’ai commis la semaine dernière une lettre parue dans LE DEVOIR, intitulée «100 000 Elvis Gratton», à propos du mégaconcert à Québec du groupe américain Metallica. Cette lettre fit tant jaser que la première chaîne de Radio-Canada m’invitait le lundi, 24 juillet, à en débattre publiquement, d’autant qu’un de leur journaliste, Philippe Laguë, m’avait donné la réplique dans le même journal (Libre opinion, du jeudi 21 juillet).

En gros, dans ma lettre - qui est davantage, je le concède, un coup de gueule qu’une analyse posée - je soutenais la thèse «falardiste» suivant laquelle, en se pâmant pour les grosses pointures de la musique anglophone de la planète, les Québécois se «Grattonisent», c’est-à-dire qu’en adulant un groupe américain comme ils l’ont fait (une semaine après avoir adulé U2 à Montréal), ils se trouvent alors à dénigrer leur propre culture musicale.

Cette mauvaise habitude d’aduler l’autre, the Biggest, the Most, etc., comme le montre éloquemment les pitreries d’Elvis Gratton, provient de notre mentalité de colonisé dont il faut toujours se méfier. Certes, l’affirmation nationale qu’a connu le Québec dans les années ’70 et ’80, nous donne espoir que cette mentalité est en voie de régression. Mais, un Elvis Gratton sommeille en nous, de sorte qu’il faut rester vigilant. D’où mon coup de gueule.

Bon nombre de mes critiques – et ils furent légion -, m’assurent qu’ils peuvent fort bien flipper sur Metallica tout en étant de bons souverainistes. Je me permets d’en douter. Philippe Laguë, par exemple, assure que la raison pour laquelle il préfère la musique rock anglophone à ce qui ce fait chez nous en français, c’est que ce que nous faisons n’est rien d’équivalent en français qui puisse arriver à la cheville de ce que font les anglophones; de plus, la musique rock francophone d’ici est moribonde. Évidemment, son code de déontologie lui interdit de faire état de son allégeance politique, mais il jure que ses préférences musicales n’ont aucune velléité politique. On peut le croire souverainiste et bon rocker anglophone. Je conclus qu’on peut fort bien se targuer d’être souverainiste tout en étant un bon Bob Gratton.

Il faut en effet être aveugle pour ne pas remarquer chez le journaliste un mépris pour la musique rock québécoise. D’ailleurs, il ajoute que «malheureusement, […] c’est un genre qui se conjugue plus souvent en anglais qu’en français». Voilà un beau préjugé, et merci monsieur Laguë pour l’encouragement que vous donnez ainsi aux jeunes musiciens francophones d’ici de tâter du rock…

Au 16e et 17e siècle, en Europe, la musique dominante était la musique italienne. Si on avait demandé à un Français de l’époque ce qu’il pense de la musique française, il aurait sûrement dénigré sa propre musique nationale : la musique étant un art qui ne se conjugue qu’en italien pas en français. Décidemment, comme disait l’autre, plus ça change plus c’est pareil. Quoi qu’il en soit, il fallut l’intervention du Roi Soleil lui-même pour débarrasser les Français de ce préjugé tenace en faveur de la musique italienne. Par une ironie dont seule l’histoire a le secret, ce fut un italien, Giovanni Baptista Lulli, qui créa le genre musical français par excellence, la tragédie lyrique.

Je conclus que l’indépendance n’est pas la panacée qui fera accéder les Québécois au Royaume des cieux. Même souverain, le Québec comptera toujours des Bob Gratton. Alors que faire?

La mauvaise habitude de Bob Gratton, on le sait, c’est le dénigrement de soi. Pour utiliser un mot qui n’est plus à la mode, ce type de mauvaise habitude s’appelle un vice. Le contraire d’un vice s’appelle une vertu. Le contraire du dénigrement de soi c’est l’amour de soi. L’amour de soi est une vertu, c'est-à-dire une bonne habitude. Elle seule permet l’amour de l’autre, comme l’enseigne par exemple le précepte évangélique : aime ton prochain comme toi-même. Si tu ne t’aimes pas, tu n’aimeras pas l’autre. C'est une lapalissade. Donc, pour s’ouvrir de la bonne façon à l’autre, à sa différence, etc.. il faut d’abord apprendre à s’aimer. Or, l’amour de soi s’oppose tout autant à l’amour excessif de soi, c’est-à-dire au narcissisme, qui est le vice oppposé. Si Aristote a raison, la vertu est un juste milieu entre deux mauvaises habitudes. En ce qui concerne l’amour de soi, cette vertu est la bonne habitude à acquérir se situant au milieu exact entre le dénigrement de soi, d’une part, et le narcissisme, de l’autre.

Voilà maintenant où je veux en venir, monsieur Drainville. Il me semble que la fameuse condition gagnante au prochain référendum est celle-ci : apprendre à s’aimer. Il est impératif que les Québécois s’aiment. Ils ont commencé à le faire dans les années ’70 et ’80, mais aujourd’hui leur bonne habitude s’étiole. En d’autres termes, dans une veine politique nettement aristotélicienne qui enseigne que le rôle d’un État enseigne aux citoyens le bonheur par l’enseignement de la vertu, il est impérieux que l’État québécois mette en place tout ce qui favorise l’amour du peuple québécois pour lui-même. C’est impératif. La souveraineté coulera alors de source.