Imaginez un troupeau de moutons où les bergers les mènent pour brouter dans de verts pâturages. Ceux-ci sont un bien commun. Toutefois, d’autres bergers apprenant l’existence de ces riches pâturages, mènent leurs troupeaux dans ces mêmes lieux. À court terme, la quantité de nourriture disponible disparaîtra. Conclusion: un bien commun est rapidement dilapidé et épuisé. Tout le monde a donc avantage à le conserver et à le faire fructifier. Comment faire pour assurer la durabilité des biens communs? En le remettant à un tiers qui l’administrera en notre nom? C’est ce que font nos gouvernements et, à l’évidence, force est de constater qu’il s’agit toujours d’un bien commun que nous dilapidons à qui mieux mieux – à commencer, le plus souvent, par les gouvernements eux-mêmes!
Ce type de phénomènes, constitutif de la nature humaine et des sociétés humaines, fut mis en évidence la première fois par le biologiste américain Garett Hardin (1915-2003) dans un essai percutant, datant de 1968, publié dans la prestigieuse revue Science, «La Tragédie des Biens communs». Ainsi, le phénomène troublant des changements climatiques serait la résultante d’une tragédie globale des biens communs planétaires.
Il sauta aux yeux d’Hardin que lorsqu’un bien m’appartient, j’en prends soin comme à la prunelle de mes yeux. Lorsque le berger s’avise de devenir propriétaire des espaces alimentaires nécessaires pour la survie et la reproduction de son troupeau, il s’assure du même coup de la durabilité de son bien. La quantité d’herbe disponible est juste suffisante pour subvenir aux besoins de tous les moutons, mais pas plus. Responsable, le berger ne s’avise pas d’augmenter la taille de ses moutons car l’ajout de moutons diminuerait la quantité de nourriture disponible. Pourtant, le berger sait qu’un nombre plus important de moutons signifie davantage de rentrée d’argent. Quoi qu’il en soit, le berger veille à la durabilité ainsi qu’à la qualité de son cheptel. Hardin tirait alors comme principe que la durabilité et la qualité d’un bien sont assurées lorsqu’on en est propriétaire. C’est sur ce principe moral de responsabilité que se trouve fondé, aux yeux d’Hardin, la propriété privée. Ainsi, lorsque que l’on n’est pas propriétaire d’un bien commun, on se fiche bien de sa durabilité et de sa qualité. C’est cette attitude de responsabilisation qu’il est si difficile à inculquer aux hommes et aux femmes d’aujourd’hui confrontés à la crise écologique planétaire.
L’éducation est un bien commun. Le gouvernement l’administre en notre nom. À strictement parler, ce bien ne lui appartient pas. Comme personne légale, l’État n’en est que l’administrateur, le gestionnaire. Or, même si l’éducation appartient à la collectivité, elle demeure un bien commun. À cet égard, l’éducation serait elle aussi confrontée à «la tragédie des biens communs».
Des étudiants-es boycottent actuellement leurs cours contre la hausse annoncée des frais de scolarité aux études supérieures. Cette levée de boucliers cache mal l’enjeu véritable des étudiants-es qui est la gratuité scolaire à tous les paliers de l’éducation. Ils revendiquent un «droit à l’éducation».
Il faut refuser ce soi-disant «droit à l’éducation» car la situation deviendra désastreuse pour ce bien commun qu’est l’éducation. En effet, si Hardin a raison, si la «Tragédie des biens communs» est véritablement un phénomène lent, mais irréversible, il faut alors que les étudiants-es aux niveaux supérieurs se responsabilisent et paient pour leur éducation. Par ailleurs, il faut également éviter que l’éducation soit, comme elle l’est malheureusement actuellement, une sorte d’entreprise commerciale. Un législateur sagace, veillant donc à responsabiliser les futurs citoyens, doit éviter de naviguer entre Charibde et Scylla.
C’est pourquoi je termine en me rangeant inconditionnellement derrière le Mouvement des étudiants socialement responsables du Québec.
[1] Garett Hardin, «The Tragedy of Commons», Science, 162, 1243-1248. En traduction française voir : http://lanredec.free.fr/polis/art_tragedy_of_the_commons_tr.html.
Responsable? Le berger ne suit que son intérêt égoïste, il ne manifeste aucune moralité. La moralité, c'est plutôt d'avoir un comportement responsable avec les biens communs.
RépondreSupprimerEnsuite, la prémisse très contestable "l'éducation est un bien commun" n'est même pas appuyée.
De plus, par hypocrisie ou manque de contact avec la réalité, on prétend que l'enjeu de la gratuité serait "mal caché"; pourtant, il est revendiqué haut et fort par plusieurs!
La comparaison maintenant, encore plus boiteuse que tout le reste de ce texte que je coulerais s'il m'était remis par un de mes étudiants: de quelle façon gaspillera-t-on le bien commun, si tous sont éduqués? L'éducation n'est pas consommée comme l'est le pâturage dans l'exemple. Que quinze ou trente personnes se trouvent dans la classe, à écouter, ne fait pas qu'on aura consommé l'éducation deux fois plus vite.
Bref, s'il existe des raisons pour faire cette comparaison, il faudrait les donner. Manifestement, elles ne sont pas là.
En passant, "d'avantage de rentrer d'argent" s'écrit "davantage de rentrée d'argent".