Dans une société libérale comme la nôtre, tout le monde
est en faveur de l’ouverture aux autres, de la différence, de la tolérance, du
dialogue pour un vivre-ensemble harmonieux et paisible, et autres flonflons du
même genre. Qui veut la fermeture, le refus de l’autre et de la
différence ? Personne. Dans le meilleur des mondes, tous sont pour la
vertu. En ce sens, disent les concepteurs du programme, nous devons tous
souscrire au programme scolaire d’Éthique et de culture religieuse (ECR) implanté
dans nos écoles depuis septembre 2008, mais qui n’a de cesse de susciter la
controverse. La récente décision de la Cour suprême d’exempter une institution
privée d’enseignement catholique (le collège Loyola) du cours ECR, a remis le
débat sur la table. Antoine Robitaille parle d’une « reconfessionalisation »,
et Mathieu-Bock Côté réaffirme son mantra voulant qu’ECR soit le véhicule de l’infâme
multiculturalisme.
À
mon avis, ce n’est pas tant le pluralisme prôné, par son principal concepteur,
Georges Leroux, voire le multiculturalisme qu’il induit et que condamne Mathieu-Bock
Côté, qui pose problème dans ECR. C’est sa base épistémologique. Rappelons que ECR origine du Rapport Proulx sur la
place de la religion à l’école. Ledit Rapport posait que l’école doit respecter
les droits de la personne, notamment l’égalité fondamentale des citoyens et
citoyennes devant la liberté de conscience et de religion. La conclusion du dit
Rapport coule, semble-t-il, de source : l’État doit s’abstenir de prendre
position en faveur ou en défaveur de l’une ou l’autre des religions ; il ne
doit pas favoriser l’enseignement d’une quelconque confession religieuse. En d’autres
termes, un cours d’enseignement religieux doit simplement transmettre des
connaissances de nature culturelle sur les diverses grandes religions. Le
Rapport Proulx nous représente
l’enseignement religieux catholique comme un enseignement doctrinaire. L’élève
y assimilait, semble-t-il, les croyances catholiques. Le professeur enseignait
de son côté les « vérités de la foi » du catholicisme. Un libéral, même croyant
comme Jean-Pierre Proulx, avait alors toutes les raisons de condamner ce type d’endoctrinement.
Donc, ECR est ainsi fignolé pour n’enseigner que des connaissances, pas des croyances. ECR présuppose donc qu’il
existe une nette distinction entre les deux, connaissance, du part, et croyance,
d’autre part. Depuis Platon, la connaissance est définie comne une croyance vraie justifiée. En matière de
religion, la connaissance comme «vérités révélées », du moins en christianisme,
posent de redoutables problèmes si l’on adopte la définition platonicienne de
la connaissance, reprise par Descartes, qui, soit dit en passant, fut érigé en
dogme absolu au siècle des Lumières. En effet, devant le succès fulgurant des
sciences expérimentales, la connaissance comme croyance vraie justifiée se
précisa davantage: aucune croyance autre que ce qui est matériel et naturel n’est
admissible et légitime. Ce qui est « vrai », donc connaissable, ne peut être
surnaturel ou immatériel. Les « vérités de la foi » se trouvèrent dès lors
disqualifiées au titre de « connaissances ». Elles devinrent de simples croyances, telle celle de la croyance
en une théière qui orbiterait autour de la terre (l’exemple est de Bertrand
Russell). Les catholiques reçurent l’étiquette de « croyant », tout comme les
adeptes de l’islam, du judaïsme, qui croient donc à des vérités surnaturelles
et immatérielles. Pourtant, les catholiques ne se désignèrent jamais comme des «
croyants », mais plutôt comme des témoins
ou des fidèles de Jésus. Plus radical
encore, un mathématicien et philosophe britannique du troisième quart du XIXe
siècle, William Clifford, forgea l’expression « éthique de la croyance » (ethics of belief), en vue de mettre au
pilori la religion chrétienne : « Il
est mauvais toujours, partout pour quiconque, de croire quelque chose, sur la
base d’une évidence insuffisante ». Lorsque les partisans du Canadien, par exemple,
croyaient par les années passées que leur club allait gagner la coupe Stanley, non
seulement ils se gouraient, selon Clifford, mais ils étaient moralement coupables
d’entretenir ce type de croyance non-fondée. Voilà, en gros, l’épistémologie
évidentialiste qui a cours aujourd’hui et qui se trouve être au cœur du
programme ECR. ECR ne veut inculquer aucune croyance de nature immatérielle et
surnaturelle aux jeunes parce qu’il est éthiquement mauvais ou préjudiciable de
le faire, du moins selon l’épistémologie évidentialiste préconisée.
À mon sens, les catholiques québécois ont parfaitement
raison de décrier ce sapin qu’ont leur a passé. ECR ne comprend rien à la
religion chrétienne et, à fortiori, aux religions. Comment peut-on prétendre connaître quoi que ce soit lorsqu’au
départ on pose un principe éthique de la croyance qui condamne la foi
chrétienne à n’être qu’une simple croyance comparable à la théière de Russell ?
ECR est un attrape-nigaud épistémologique. Une autre épistémologie est possible et
parfaitement légitime pour la foi chrétienne, c’est l’épistémologie des vertus (voir Roger Pouivet, Épistémologie des croyances religieuses).
Rappelons, pour clore, cette vérité chrétienne fondamentale : la foi est
une vertu théologale. Pas une simple
croyance délirante, n’en déplaise à Russell et consorts.
Vous écrivez à propos du rapport Proulx: « [il] nous représente l’enseignement religieux catholique comme un enseignement doctrinaire. L’élève y assimilait, semble-t-il, les croyances catholiques. Le professeur enseignait de son côté les « vérités de la foi » du catholicisme ». Un libéral, même croyant comme Jean-Pierre Proulx, avait alors toutes les raisons de condamner ce type d’endoctrinement » .
RépondreSupprimerLe carnet déforme les propos du rapport en lui faisant dire au surplus qu’il a présenté l’enseignement religieux catholique comme un enseignement « doctrinaire »!
Il n'en est rien. La présentation qu’il a faite de l’enseignement religieux catholique reprend sans plus et au texte les orientations qu’a formulées le Comité catholique lui-même en 1991 et 1994) et qu’on pourra lire aux pages 30 et 31 du rapport.
Au primaire, le programme d’enseignement religieux, écrivait le Comité catholique, « s’il ne vise pas directement à susciter la foi des enfants, il en rend l’éclosion et le développement possibles au cœur de la culture, des valeurs et du contexte qui sont les leurs ».
Pour ce qui est du programme du secondaire, il concluait: « Sa raison d’être n’est pas d’amener les jeunes à croire ou à s’intégrer à l’Église, mais de recourir aux ressources humaines et spirituelles de l’expérience chrétienne pour éclairer et soutenir la croissance humaine des jeunes dans les passages et les défis qui sont les leurs aux différentes étapes de leur développement. Cet enseignement est confessionnel en ce qu’il véhicule essentiellement la vision chrétienne de la personne, du monde et de la vie, comme pouvant éclairer la recherche d’humanisation qui est celle du jeune » (Comité catholique, 1991, p. 25).
Voilà très exactement la présentation que le rapport Proulx a fait de l’enseignement religieux catholique. Le Groupe de travail que je présidais ne l'a en rien condamné. Il a estimé, après délibération, qu'un enseignement culturel des religions était plus approprié. C'est du reste, en ce moment, l'opinion de 62% des Québécois qui ne veulent pas que ce cours soit aboli (Voir le récent sondage SOM- Cogeco Nouvelles).
Mais, à cet égard, il vous est tout à fait loisible de penser autrement.
dimanche 22 mars 2015 21:59:00 UTC−4