C'est très simple, Elvis Gratton. Faire rire pour faire penser.
Pierre Falardeau
Les dieux du rock-métal étaient sur la scène du Festival d’été de Québec, ville francophone, capitale nationale. Sur les plaines d'Abraham, haut lieu historique, 100 000 fidèles s’extasièrent devant le pur produit de la culture américaine. Le week-end dernier plus de 160 000 fans s’agenouillaient devant U2 à Montréal. Au même moment, se produisait à Québec Elton John, foule record encore une fois. Pour célébrer la fête du Canada nous recevions les adorables chouchous de la couronne britannique, la duchesse et le prince de Cambridge. Le couple princier a même fait une courte incursion en terrain hostile dans la Vieille-capitale; le duc de Cambridge s'est même permis une brève allocution tout en français. Quelques deux cent manifestants seulement appuyèrent Le Réseau de résistance du Québécois contestant la venue du couple princier. Par ailleurs, les festivités entourant la fête nationale, tant à Québec qu’à Montréal, ont battu des records en termes de non-fréquentation.
Tout ceci m’incite à me poser la question suivante : Pierre Falardeau et Julien Poulin, les auteurs d’Elvis Gratton, avaient-ils au fond raison de dénoncer l’américanisation du peuple québécois ? Je le pense volontiers. Bien sûr, tout bon Québécois rit à gorge déployée devant les imbécilités inénarrables de Bob Gratton en se moquant de ce «gros crisse de cave». Dans une scène digne d’anthologie, lorsqu’on demande à Bob Gratton de décliner son identité, il répond avec sa verve légendaire: «Moé, chus un Canadien québécois. Un Français, Canadien-français. Un Amaricain du Nord français. Un francophône, Québécois canadien. Un Québécois d’expression française, française», et ainsi de suite. Qu'on s'appelle ou non Elvis Gratton, on patine sur la bottine lorsque vient le temps de dire qui on est.
Samedi soir, sur les Plaines d'Abraham, il y avait plus de 100 000 Elvis Gratton. Le débat ne portait pas sur la question identitaire de savoir si les fans de Metallica sont des «Amaricains du Nord français» etc., mais celui de savoir qui sont les véritables amateurs du groupe-culte de San Francisco. Bon nombre, en effet, se sont plaints de n’avoir pu assister au spectacle puisque le site était rempli à pleine capacité. Frustrés, ces fidèles accusèrent toutes les «matantes» et les «mononcles» qui assistèrent au spectacle d'avoir volé la place. Pourtant, à l’âge qu’ont les membres du groupe, en sortant les matantes et les mononcles du site, il aurait également fallu interdire au groupe lui-même de s’exécuter! Dans une éventuelle reprise d'Elvis Gratton, il faut faire figurer cette anecdote aussi savoureuse que pittoresque qui en dit long sur notre aliénation nationale.
S’il fallait mettre à jour Elvis Gratton, il faudrait aujourd’hui concevoir un fan typique de Metallica. Baptisons-le : «James Gratton» - pour James Hetfield, le chanteur et guitariste du groupe californien. On peut bien traiter Elvis Gratton de gros crisse de cave, mais, alors, les James Gratton de ce monde ne voient pas la poutre dans leur propre œil. De quoi faire en sorte que Falardeau se retourne dans sa tombe. En tout cas, mieux que tous les sondages, des événements comme ceux-là laissent profondément perplexes sur la volonté des Québécois de sortir de leur aliénation nationale. On risque de se faire rétorquer hargneusement par un James Gratton: Think big, sti!
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