Chères, chers collègues
Je
refuse d’entrer dans l’hystérie collective à laquelle on nous convie. Une
affiche placardée sur les murs du cégep nous interpelait : « LUTTER ou SUBIR. Il faut choisir. »
Comme je suis réfractaire à tout sophisme, dont celui du faux-dilemme, je
donnais cet exemple à mes étudiants-es pour illustrer le fait que le choix
proposé n’est pas exclusif, qu’on pouvait – qu’il fallait – plutôt réfléchir. Or, c’est justement ce qui fait défaut
dans la « propagande » concernant la vilaine « AUSTÉRITÉ ». S’il y a bien une
chose que, nous, professeurs de philosophie, nous enseignons toutes et tous, c’est
bien l’esprit critique. Or, la propagande mentionnée invite au contraire à
abdiquer l’esprit critique. Ce qui est proprement consternant.
Au lieu de déchirer nos chemises sur
la place publique, nous devrions plutôt inviter les étudiants à réfléchir de
manière critique. Devons-nous être en faveur de l’AUSTÉRITÉ ? Poser la
question, c’est y répondre. Les mots, vous le savez, possèdent une charge sémantique
et, ensuite, émotive. Or, « austérité » appartient à deux familles sémantiques.
La première est celle qu’on veut nous entrer dans la gorge. C’est celle de la «
dureté », de la « sévérité », de la « rigidité », de la « punition », etc.
Bref, l’« austérité » impliquerait une « violence », celle de l’État et de ses
mandarins crapuleux. C’est cette famille sémantique que l’on veut nous imposer.
Évidemment, lorsqu’on en vient à attribuer de la violence à l’État, la « défense
» devant légitime devant les attaques.
Pourtant,
« austérité » peut vouloir dire « rigueur », « sobriété », « mesure », «
retenue », « modération ». C’est cette famille sémantique qu’adopte le gouvernement.
Le budget Leitao pour 2014-2015 prévoit des « compressions » (des « coupes », dans
le langage rhétorique de l’autre famille sémantique) globales de 2,7 milliards
sur des dépenses de 74 milliards, ce qui équivaut à 3,6% de compressions
budgétaires. Parler d’« austérité », voire de « saccage », de « démolition »,
de « massacre à tronçonneuse », de « démantèlement », de « vandalisme », de «
dévastation », c’est évidemment faire dans l’hyperbole. C’est de la pure
rhétorique.
John
Stuart Mill, dans le second chapitre de De la liberté, (« De la liberté de
pensée et de discussion »), écrit ceci :
...Celui qui connaît seulement son propre argument dans
une affaire en connaît peu de chose. Il est possible que son raisonnement soit
bon et que personne ne soit arrivé à le réfuter. Mais s'il est, lui aussi,
incapable de réfuter le raisonnement de la partie adverse, et s'il n'en a même
pas connaissance, il n'a aucune raison de préférer une opinion à une autre. La
position rationnelle à adopter dans son cas serait la suspension du jugement,
et faute de savoir s'en contenter, soit il se laisse conduire par l'autorité,
soit il adopte, comme la majorité des gens, le parti pour lequel il éprouve le
penchant le plus fort.[1]
Nous
aurions intérêt, en tant qu’éducateurs, à mettre à l’œuvre la recommandation de
Mill. En prenant position en faveur de l’« austérité », seconde famille
sémantique, en pensant détenir la vérité absolue sur le sujet, nous «
démolissons » la visée de notre enseignement. Peut-être que le gouvernement à
tort; peut-être a-t-il raison. Dans tous les cas, la sagesse de Mill nous
invite à rechercher qui dit vrai. C’est là la tâche de tout éducateur digne de
ce nom.
Jean
Laberge
Enseignant
au collégial
[1]
John Stuart Mill, De la liberté (On
Liberty, 1859). Traduction française de Fabrice Pataut, Presses Pocket, 1990,
p. 79.
Un bon texte M. Laberge. Avant d'être de gauche ou de droite, il faut être logiquement rigoureux. Hélas, les militants ne laisse pas la rigueur les détourner de leur Vérité.
RépondreSupprimerJe dois me réjouir que François Doyon apprécie mon texte! Lui qui a toujours été sans pitié avec moi!
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