Être
libre, nous dit Ayn Rand, a un prix. Être libre, c’est assumer le coût de ses
choix. Exemple personnel. Bon nombre de librairies n’ont pas daigné vendre mon
ouvrage, Le devoir à l’éducation, paru
chez Accent Grave en novembre 2012. Certaines n’ont pas accepté d’exemplaires
du distributeur, alors que d’autres, qui ont accepté de vendre mon livre, l’ont
fait en le cachant, c’est-à-dire en ne le mettant pas en évidence sur les
présentoirs. On m’a dit que mon essai défendant le «carré vert» n’était pas vendeur.
Foutaise. Dans certaines librairies, la situation est pire encore : les
exemplaires sont toujours emballés dans leur boîte, traînant quelque part dans
l’arrière-fond du magasin…
Certes, les libraires ont la liberté
de vendre les livres qu’ils veulent bien vendre. Ceux, évidemment, qu’ils
considèrent, selon leur préférence, comme «dignes d’être lus». Il faut penser
que mon Devoir à l’éducation ne
comportait pas cette dignité aux yeux de bon nombre de libraires. Si Richard
Martineau était l’un d’eux, je vous prie de croire qu’il aurait drôlement
moussé la vente de mon livre, puisque dans l’une de ses chroniques, il a
encensé mon essai. (Journal de Montréal,
le 24 mars 2013).
Je n’évoque pas ces faits pour me
plaindre, mais pour souligner l'évidence brutale que discriminer a un coût, comme
le souligne Ayn Rand. Les libraires qui prennent la liberté (légitime) de ne pas
vendre mon livre, le font, au fond, malgré eux, c’est-à-dire qu’ils se privent
ni plus ni moins d’un revenu. Je ne les juge pas. Je dis seulement qu’ils se
privent de revenus. Et ils se privent en fonction de leurs «valeurs».
Ainsi va la nature humaine, diront
plusieurs : nous sommes libres d’exercer de la discrimination dans le
«marché libre». Je n’aime pas ta «face»; donc, je n’achèterai pas ton produit.
D’accord. Mais il se peut que tu paies plus cher ailleurs pour le même produit…
Tu
ne prises pas les carrés verts? Comme libraire, tu ne vends donc pas le livre,
point à ligne. Tu es libre, cela va de soi, de le faire. Personne ne t’oblige à
le vendre. Sauf, que tu te prives d’un revenu (aussi menu soit-il). Puis, imagine
qu’un jour cet ouvrage se vende comme des petits pains chauds. Tu seras alors
bien embarrassé! Tu réviseras peut-être ton opinion. Rappelons-nous à ce propos
qu’à une certaine époque, au Québec, bon nombre de libraires ne souhaitaient
pas vendre les pièces de Michel Tremblay. Le libre jeu de l’offre et de la
demande a fait fondre leur préjugé.
Le
Canada défend les droits de l’homme. Au départ, les libéraux de Jean Chrétien
furent réticents à commercer avec le géant économique qu’est devenu la Chine,
où les droits de la personne ne sont pas reconnus, voire brimés. L’offre et la
demande a amené tout de même le Canada à négocier des accords commerciaux avec
la Chine.
L’Europe,
à partir de 1453, date de la prise de Constantinople par les Turcs, payait à
prix d’or les épices venus de l’Inde. En bloquant désormais le chemin des épices
et de la soie, les Turcs prirent le contrôle de ces denrées recherchées par les
Européens que les marchands italiens achetaient auparavant à des marchands arabes
sans problème, sans surenchère de prix. La suite est bien connue. L’Europe
chercha par tous les moyens à contourner la fameuse «route des épices» passant
par le comptoir de Constantinople. Les Turcs encaissèrent d’énormes profits
tout en discriminant l’Europe. Mais les Turcs furent pénalisés dans la suite des
choses puisque les Européens trouvèrent finalement d’autres accès aux épices. Ils
découvrirent l’Amérique, entre autres. En outre, n’étant pas chrétiens, les
Turcs, des «Sarrazins», adeptes du Prophète, furent condamnés comme impies par
les chrétiens. Au départ, les questions d’appartenance religieuse ne jouèrent
pas entre les commerçants Européens et Arabes. Avec la prise de Constantinople,
s’éleva une immense muraille d’incompréhension entre chrétiens et musulmans.
Soulignons-le bien : au strict plan économique, avant l’arrivée des Turcs,
tout allait dans le meilleur des mondes au plan commercial. Lorsque les princes
ainsi que le rois chrétiens avec l’Église se dressèrent contre les sultans de l’empire
Ottaman, tout commença à déraper. C’est toujours ainsi lorsqu’un État se met à
discriminer.
Tu
détestes les femmes voilées? Il s’agirait, selon toi, d’un signe de barbarie
indigne des femmes? D’accord. Tu apprends que ton resto préféré vient d’engager
une serveuse portant le voile. D’accord. Tu décides de ne plus y remettre les pieds
quitte à payer plus cher. Assume dès lors les conséquences de ton préjugé!
Au
plan collectif, l’État québécois décide de ne plus tolérer les signes
ostentatoires religieux pour ses fonctionnaires dans l’exercice de leur
fonction, à l’hôpital, à la garderie, à l’école, etc. En particulier, le voile pour
les femmes. Ignoble et condamnable. D’accord. Sachons toutefois qu’il y a des
coûts élevés liés à ces préjugés. Dans le marché libre, ces signes soi-disant
ostentatoires ne posent pas de problèmes. Car ce que chacun cherche, c’est que
chacun satisfasse son intérêt. Ainsi, tu portes un voile comme serveuse. Pas de
problème. Dans la mesure où tu fais bien ton travail, et que ce vêtement ne
nuit pas à l’exécution de ton travail. Voilà ce que disent les entrepreneurs d’une
voie unanime.
Lorsqu’un
État décide, au nom de la soi-disante valeur de «laïcité» ou des «valeurs
québécoises», du «bien commun», du «bien-être collectif», ou que sais-je
encore, etc., il y a des coûts associés à une politique discriminatoire. Car,
qu’on le veuille ou non, il s’agit d’une politique «discriminatoire» : certains
citoyens-es, arborant des signes religieux ostentatoires, ne seront plus
considérés comme des citoyens à part entière au regard de l’État désormais « laïque
». En tout cas, ils ne pourront plus postuler les emplois gouvernementaux. Les
employés de l’État laïque devront mettre au vestiaire leurs signes religieux ostentatoires.
Sinon, ils devront se trouver un emploi ailleurs que dans la fonction publique.
Évidemment, ce seront les femmes musulmanes portant le voile qui écoperont en
première ligne. Dommages collatéraux, répliquent les partisans de la laïcité de
l’État. Dommages tout de même.
En
outre, il faudra bien créer une «Office de la Charte des valeurs» veillant à la
mise en place de la politique étatique ainsi que de sa bonne marche. Il faudra donc
taxer davantage les citoyens (déjà surtaxés) afin d’assurer la bonne marche de la
Charte. Comble de l’aberration, des citoyens faisant l’objet de la politique discriminatoire
devront contribuer financièrement à leur propre discrimination!
Comme
on le voit, en pratiquant sa politique discriminatoire de «laïcité», l’État
québécois ne réussira qu’à antagoniser les citoyens. On le constate déjà :
la Charte des «valeurs québécoises» divise effectivement les Québécois.
Cherchant le soi-disant «bien commun», l’État favorise ainsi, paradoxalement, la
division et le conflit entre Québécois.
À
mon avis, suivant les sages conseils d’Ayn Rand, il faut à tout prix éviter de
«nationaliser» ou d’«étatiser» les préjugés. Le problème de fond, c’est que la
Charte du PQ constitue un «coup d’État» au sens où le PQ entend nous enfoncer
dans la gorge un soi-disant «droit collectif», celui de la neutralité de l’État, qui serait
supérieur soi-disant aux droits et libertés individuels. Ayn Rand n’a pas de
mots assez forts pour condamner ce genre de coup d’État. Une grande part de son
œuvre constitue un réquisitoire en faveur des droits individuels contre l’existence
de pseudo «droits collectifs».
Je
termine par cette citation d’Ayn Rand tirée de Texbook of Americanism (1946) :
« Le principe de
base des États-Unis d’Amérique est l’Individualisme.
L’Amérique est
fondée sur le principe que l’Homme possède des droits inaliénables :
-
que
ces droits appartiennent à chaque homme
en tant qu’individu – et non pas aux «hommes» entendus comme formant un groupe
ou une collectivité;
-
que
ces droits sont la propriété inconditionnelle, personnelle et individuelle de
chaque homme – pas du public, de la société, de propriété collective d’un
groupe.
-
que
ces droits sont attribués à l’homme par le fait qu’il soit un homme – et non
pas par le fait que la société les lui octroie;
-
que
l’homme est détenteur de ces droits, non pas en vertu de la Collectivité, ni non plus au bénéfice de la Collectivité, mais contre la Collectivité – telle une barrière que la Collectivité ne
doit pas franchir;
-
que
ces droits visent à protéger l’homme des autres hommes;
-
que
c’est seulement sur ces droits que l’homme peut vivre dans une société libre,
juste, digne et décente.
La Constitution des États-Unis d’Amérique n’est pas
un document qui limite les droits des hommes – mais un document qui limite le
pouvoir qu’exerce la société sur les hommes.[1] »
[1]
Peter Schwartz, The Ayn Rand Column.
Written for the Los Angeles Times, New Milford, Connecticut, 1998, p. 83.
Ma traduction.
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