Le club de football des Spartiates du Vieux Montréal a pour devise «Esse Quam Videri», («L'Être plutôt que le Paraître»). C'est une question d'identité. Comme un nom de famille. Une origine. Les joueurs des Spartiates ne laissent pas leur identité au vestiaire une fois sur le terrain face à leur adversaire. Moi non plus, je ne laisse pas à la maison ma croix ou de ma barbe pour me dépersonnaliser dans la foule ou à mon travail comme enseignant en philosophie au cégep. Comme quoi, au grand dam de la tradition rationaliste qu'évoque mon collègue René Bolduc, l'Apparence est aussi d'une certaine manière Être.
Dans «l'espace public» abstrait, où nous devrions nous dépouiller de toutes nos singularités, nous devenons toutes et tous ternes et gris. Vive l'État drabe! Le monde sont drabes. (Pardonner ce régionalisme de mauvais aloi; j'aurais dû écrire: «beige»).
En fait, mon confrère, aurait dû évoquer la figure de celui que les penseurs progressistes considèrent comme le plus grand des philosophes de la politique au XXe siècle, j'ai nommé John Rawls (1921-2002). On ne peut songer plus pur exemple de philosophe pro-laïcisme que Rawls. Sa désormais fameuse «position originelle sous le voile d'ignorance» est en effet au fondement même du laïcisme. Car, que serions-nous d'après Rawls? Quel est notre «être» véritable selon le maître de Harvard? Des êtres qui se définissent par leur choix. Exit l'identité des gens au-delà de leur liberté de choix. Ce qu'ils sont, ce qu'ils aiment, leurs projets de vie, leurs origines, leurs histoires, leurs traditions, leurs croyances, etc., ne sont rien à côté de leur capacité à choisir. C'est à ce prix qu'il est possible de vivre, selon Rawls, dans une société juste: en mutilant ce que nous aimons. Pourtant, son compatriote Harry G. Frankfurt (1929- ) (dans Les raisons de l'amour, Circé 2006), soutient précisément le contraire: nous ne sommes que ce que nous aimons. Voilà ce que nous serions: des êtres amoureux.
C'est pourquoi, une tristesse infinie m'envahit lorsque je songe à cet espace-social-rawlsien-laïque que l'on qualifie de «juste» et que veut défendre bec et ongles le parti de Pauline Marois. O barbarie!
John Rawls est tributaire de la
métaphysique moderne de René Descartes (1596-1650) et d’Emmanuel Kant
(1724-1804). «Je pense, donc je suis»
soutenait Descartes. Penser, en somme, c’est être. Kant, en morale, ne dira pas
autre chose : ce qui compte, c’est l’intention
de bien agir, pas l’action laquelle peut s’avérer, dans les faits, différentes,
voire contraires à mon intention bonne de départ.
La métaphysique moderne fait donc
résider l’être dans la pensée. D’où l’adage : l’être plutôt que l’apparence.
Mais cette métaphysique avait une rivale qu’elle a combattue pour en triompher :
la veille métaphysique d’Aristote (384-322 avant notre ère) qu’a christianisé
par la suite saint Thomas d’Aquin (1225-1275). Que disent ces vieux penseurs,
aujourd’hui obsolètes? Bien entendu, que l’être ne s’épuise pas dans la pensée
et qu’avant la pensée, il y a l’être. En matière de moralité, ce vieux réalisme,
que l’idéalisme moderne renversera, pose que l’être humain ne se réalise
pleinement et parfaitement que dans l’agir. J’ai beau savoir tout ce qu’il
faut, encore faut-il le mettre en pratique. De sorte que je ne suis pleinement
une personne que si j’ai un corps, une histoire, une culture, une identité, etc.,
dans laquelle je m’inscris. Les existentialistes nieront ces réalités qui nous
déterminent. John Rawls n’est que le dernier d’une longue liste qui nie le
réalisme métaphysique.
La question identitaire
qui frappe le monde occidental, en particulier le Québec, bien fragile à cet
égard, s’inscrit donc à l’intérieur d’une métaphysique des personnes. Pour le
réalisme ancien, les gens ne sont pas qu’un simple esprit sur deux pattes, mais
un esprit intimement relié à un corps, de sorte que la distinction dualiste d’un
esprit distinct du corps est une pure aberration. De sorte que, ce que je suis
ne s’identifie pas seulement ce que je pense, mais ce qui est inscrit dans mon
corps.
Certes, l'habit ne fait pas le moine. Mais un moine sans habit n'en est plus un.
Vous avez raison sur un point. Il ne faut pas séparer l'esprit du corps. C'est la raison pour laquelle je défends une laïcité stricte. L'État ne peut pas se dire en lui-même neutre, mais laisser la liberté de non-neutralité à son corps représentant, comme s'il existait deux pôles; un État neutre abstrait d'un côté et ses représentants incarnés de l'autre.
RépondreSupprimerIl faut que l'État, pour être neutre, exprime extérieurement ce qu'il est en lui-même. Autrement, nous nous retrouvons dans le même cas qu'un moine sans habit.