samedi 8 août 2009

La crise financière. Karl Popper, fossoyeur du marxisme

Une histoire de spectres
Un sceptre hante actuellement le monde : la crise financière. Ce spectre en ressuscite un autre : celui du marxisme. La crise financière mondiale ébranle en effet le capitalisme, et la «go-gauche» voit dans cette crise l’opportunité inespérée de condamner à nouveau frais l’hideuse vipère que constitue à leurs yeux le système capitaliste. En somme, la crise actuelle confirmerait la doctrine marxiste. N’a-t-on pas vu pas en effet l’État américain sauver in extremis le système bancaire américain, nationalisant deux agences fédérales de financement de crédit hypothécaire, comparable à notre SCHL, Fannie Mae et Freddie Mac ? Du jamais vu. Quel retournement spectaculaire de situation ! Qui aurait pu oser penser que l’Oncle Sam, ce paradis du laissez-faire économique, en appellerait aux deniers de l’État pour assurer la survie du système financier essentiel à l’économie capitaliste ? En définitive, pense-t-on, Marx avait raison. N’écrivit-il pas avec Engel ce passage prophétique du Manifeste du Parti communiste (1848): «Par quel moyen la bourgeoisie surmonte-telle ses crises ? … En préparant des crises plus étendues et plus violentes encore… Elle produit avant tout ses propres fossoyeurs. Sa chute et la victoire du prolétariat sont également inévitables.» (je souligne) «Nous l’avions toujours su…», se réjouissent aujourd’hui les adeptes du marxisme.
Au cœur de la pensée marxiste de l’histoire se trouve donc une dimension clairement «prophétique». Pourtant, Marx n’a cessé de qualifier sa doctrine de l’histoire de «scientifique». L’auteur du Capital croyait en effet que les sociétés humaines sont gouvernées par des lois «d’une nécessité de fer» dont il prétend par ailleurs en être le découvreur. Marx se croyait le Newton ou le Darwin des sciences sociales. C’est cette prétention à la scientificité que le philosophe des sciences, Karl Popper (1902-1994), a contesté. Ce billet lui est consacré.

Misère de l’historicisme
Popper s’est attaqué à une certaine conception erronée de l’histoire, baptisée d’«historicisme», qui veut que l’avenir peut être prédit de manière inéluctable à partir de «lois» ou des «tendances générales» qui sous-tendraient les événements passés.
Pour fixer les idées sur ce qu’on doit entendre par conception «historiciste» de l’histoire, rappelons la déclaration de Stephen Harper, reprise ensuite par Jean Charest et Michaël Jean, à l’occasion du lancement des fêtes en France, en mai 2008, marquant le 400e anniversaire de la fondation de la ville de Québec : «La fondation de Québec est aussi la fondation de l'État canadien. La gouverneure générale [Michaëlle Jean] est la successeure aujourd'hui de Samuel de Champlain, le premier gouverneur du Canada.», avait alors déclaré Stephen Harper. Donc, selon l’historicisme inavoué de notre Premier ministre, puisque la Nouvelle-France deviendra le Canada en 1867, Champlain a non seulement fondé Québec, mais le Canada. Ce raisonnement est évidemment fallacieux parce que rien n’assurait que la fondation de Québec allait donner naissance par la suite au Canada. Il y a là un télescopage fallacieux d’événements. L’historicisme, au contraire, soutient mordicus que le premier événement – la fondation de Québec – devait nécessairement conduire au second – c’était inéluctable. En 1608, le Canada n’existait pas. On s’entend là-dessus. Comme dit Popper, «l’avenir est ouvert», c’est-à-dire indéterminé. Au contraire, pour le partisan de l’historicisme, l’avenir est «fermé» au sens où le futur est déjà déterminé d’une certaine manière. Ainsi, pour l’historiciste, déjà en 1608, le Canada existait de façon virtuelle pour ainsi dire. C’est un peu comme pense le partisan pro-vie : parce qu’un fœtus deviendra une personne, il l’est déjà au moment de la conception; par conséquent, on ne doit pas l’avorter car alors on tuerait une personne. Marx adhérait à l’historicisme parce qu’il croyait avoir découvert les «lois inexorables de la production capitaliste» devant conduire à la destruction du capitalisme afin de donner naissance au communisme.
À l’âgé de dix-sept ans, le jeune Popper devint membre du Parti communiste viennois. Un événement tragique allait le placer devant un déchirant dilemme moral qui remis en question sont adhésion au communisme. Des jeunes communistes comme lui furent tués lors d’une escarmouche avec la police. D’une part, les autorités marxistes exigeaient que la «lutte des classes» doive être intensifiée afin d’accélérer l’avènement du communisme; donc, bien que la révolution fasse quelques victimes, le capitalisme, lui, en a bien plus sur la conscience… D’autre part, des vies furent supprimées, et Popper ne parvenait pas à faire taire sa conscience morale. Ce douloureux dilemme l’amena à soumettre le marxisme à un sérieux examen critique «comme devait le faire quiconque avant d’accepter une croyance qui justifie ses moyens par une fin quelque peu éloignée.», raconte Popper dans La quête inachevée. Plus tard, Popper découvrit que le marxisme est une pensée dogmatique et pseudo-scientifique. Voyons comment il en vint à cette étonnante conclusion.

Le critère de démarcation
Un second événement majeur marqua Popper alors étudiant à l’Université de Vienne. En mai 1919, deux expéditions britanniques confirmèrent les prévisions d’Einstein concernant la courbure des rayons stellaires à proximité du Soleil et ce, à partir de la théorie générale de la relativité d’Einstein laquelle constitue un progrès décisif par rapport à celle de Newton touchant la gravité. Ce succès expérimental permit à Popper de répondre à la question qu’il se posait alors : quand doit-on conférer à une théorie un statut scientifique? ou : existe-t-il un critère permettant d’établir le statut scientifique d’une théorie? La réponse de Popper fut la suivante : le critère de scientificité d’une théorie réside dans la possibilité de l’invalider, de la réfuter ou encore de la «falsifier». C’est ce critère qui permet d’établir ce qui est proprement scientifique et ce qui n’en a que l’apparence. La possibilité de falsification constitue donc le critère de démarcation entre science et pseudo-science. C’est ce qui explique que la philosophie de la science de Popper a reçu le nom de «falsificationnisme». En somme, pour être déclarée scientifique, une hypothèse doit être falsifiable, c’est-à-dire qu’il doit exister des observations qui seraient susceptibles de contredire l’hypothèse si ces observations se révéleraient vraies. S’il n’y a pas d’observations susceptibles de la contredire, l’hypothèse est infalsifiable et elle n’est que pseudo-scientifique.
Voici un horoscope tiré d’un journal :
«Capricorne – Vous pouvez avoir de la chance dans les paris.»
L’horoscope est infalsifiable, car si je parie aujourd’hui, je peux gagner, énoncé qui reste vrai que je parie ou non, et si je parie, je puis gagner ou non.
Un grande chaîne de commerce [Canadian Tire] présente comme slogan publicitaire: «Pour les jours comme aujourd’hui». Le slogan ne veut rien dire et est infalsifiable.
Considérons un autre exemple : «Il pleuvra». Cet énoncé est assurément vrai car, bien qu’il soit possible qu’il ne pleuve pas pendant un siècle, il pleuvra bien un jour. Selon Popper, ce n’est pas la vérité qui intéresse la science, mais la falsifiabilité. Comment montrer que cet énoncé est susceptible d’être faux? Le contenu informatif de l’énoncé est si pauvre qu’il nous importe peu. Il en va de même de cet autre énoncé, tout aussi vide, «Il pleuvra ou il ne pleuvra pas» : impossible de le falsifier puisqu’il restera vrai qu’il pleuve ou non. Par contre, l’énoncé «Il pleuvra demain à Montréal en matinée; en tout, 20cm sont prévue» est falsifiable et, donc, il comporte un contenu proprement informatif : s’il ne pleut pas à Montréal demain matin, l’énoncé sera réputé faux; donc il est falsifiable. Considérons un dernier exemple un peu loufoque mais réel tiré de l’histoire des sciences.
En regardant la lune dans son télescope, Galilée remarqua qu’il y avait des montagnes et des cratères. Il considérait que cette observation constituait une réfutation de la croyance remontant à Aristote suivant laquelle la surface de la lune était lisse. Galilée venait ainsi de falsifier une thèse d’Aristote. Toutefois, un contemporain de Galilée, disciple d’Aristote, Ludovico delle Colombe, considérait que l’observation en question était erronée car il objectait, qu’en fait, il se trouvait à la surface de la lune une substance invisible qui remplissait les vallées, de sorte que la lune, même si on y voyait des montagnes ainsi que des cratères, était en réalité parfaitement lisse… Selon le critère de Popper, l’hypothèse de delle Colombe ne peut être retenue comme scientifique puisqu’elle est parfaitement infalsifiable.

Le marxisme infalsifiable
Muni de son critère de falsifiabilité des théories scientifiques, Popper s’est demandé si la théorie marxiste était véritablement scientifique, c’est-à-dire si elle est falsifiable. Sa réponse, qu’il expose de long en large dans Misère de l’historicisme (1944-45) et La société ouverte et ses ennemis (1945), fut un non catégorique. Dans un autre ouvrage, Conjectures et réfutations (1963), Popper écrit : «Nul marxiste ne pouvait ouvrir de journal sans trouver à chaque page des faits qui venaient confirmer sa manière d’interpréter l’histoire…»
Le marxisme prédit que le capitalisme connaît nécessairement des crises économiques de plus en plus graves. Il semblerait que la prédiction marxiste soit falsifiable puisque, dès lors, il suffit de montrer que le capitalisme n’a subi aucune crise. Ce qui est faux puisque nous en serions à la deuxième crise majeure en comptant celle de la Grande Dépression de 1929. Évidemment, toute la question reste de savoir ce qu’il faut entendre par «crise», car tous les experts s’entendent pour dire qu’il ne faut pas confondre la Grande Dépression avec la crise financière d’aujourd’hui qui, même si toutes deux affectent en priorité le monde de la finance, elles ne sont pas des crises de l’économie capitalisme en elle-même au sens où ce n’est pas l’économie réelle qui est affectée mais un de ses secteurs, certes important, celui de la finance. On ne saurait dire, par ailleurs, que la crise financière actuelle est plus grave que celle de 1929. En fait, cette dernière a permis de réformer le capitalisme par la création de «l’État providence», de sorte que la dangerosité de la crise actuelle se trouve contenue. Enfin, dans toutes les sociétés, comme dans toutes les familles, il y a des crises et déclarer qu’il y en aura, c’est énoncé une lapalissade. La prédiction marxiste concernant les crises est comparable à un oracle d’une naïveté désarmante : «Prolétaires de tous les pays, sachez qu’il pleuvra!» - «Oui, mais quand, où, quelle quantité de précipitation est-il prévue, etc.», aimerait-t-on répliquer.
Le partisan de l’explication marxiste répondra que toutes les crises du capitalisme ont pour cause l’avidité et la cupidité et que ce sont ces tares qui sont à l’origine de la bulle immobilière actuelle. Le capitalisme, continue-t-il, génère ces attitudes voraces qui mettent en danger le sort de toute la planète. Une fois passée au communisme, le capitalisme enterré, ces tares que la cupidité et l’avidité du gain cesseront d’accabler l’humanité, conclut-on en brandissant le point au ciel.
Voilà une autre prédiction. Est-elle falsifiable? Difficilement. Plus que partout ailleurs, lorsque Marx se prononce sur ce que sera la fameuse société communiste, on nage dans la plus pure prophétie. C’est le Royaume des cieux sur terre…
Comment réfuter la prédiction suivant laquelle, une fois le communisme instauré, les hommes et les femmes ne seront plus égoïstes, avides et cupides, comme ils le sont actuellement dans le système capitaliste? Si l’on pose qu’il n’y aura plus de conflits de classe et, donc, de recherche de l’intérêt personnel dans la société communiste, alors, évidemment, il coule de source que les hommes devront forcément être altruistes et généreux. Le marxisme paraît encore une fois infalsifiable.

Post hoc ergo propter hoc
Une vieille légende chinoise raconte que lors d’une éclipse de lune, un dragon s’empare de la lune pour la dévorer. C’est pourquoi les Chinois lançaient des feux d’artifices afin d’effrayer et d’éloigner la créature maléfique. Leurs efforts furent toujours couronnés de succès, puisque la lune réapparaissait toujours! Donc, conclurent-ils, les feux d’artifices causent le retour de la lune. Évidemment, pour falsifier leur hypothèse, les anciens Chinois auraient pu tenter de s’abstenir des feux d’artifice pendant l’éclipse de lune, mais quel risque à prendre! C’est pourquoi la légende est infalsifiable, comme le sont d’ailleurs toutes les légendes. De plus, cette légende chinoise illustre de manière éloquente un raisonnement sophistique que les philosophes du moyen-âge ont baptisé en latin de post hoc ergo propter hoc, qu’on peut rendre en français par «après la chose, donc à cause de la chose».
Le secrétaire général du Parti communiste britannique, Robert Griffiths, déclarait pour sa part en novembre 2008, que «Le capitalisme avait promis un monde de paix et de prospérité après la chute du communisme et ce n’est pas ce qu’on voit.» Conclusion : le communisme est source de paix et de prospérité, contrairement au capitalisme. C’est bien ce qui arrive quand on cesse de lancer des feux d’artifices : le dragon du capitalisme s’empare de la lune. Le problème, nous rappelle Popper, c’est que la déclaration du secrétaire du Parti communiste britannique, comme toutes les légendes, demeure infalsifiable.

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