Voyage dans la Lune
On fêtait, le 20 juillet dernier, les 40 ans du premier homme qui posa le pied sur la Lune. Ce qu’on ne sait pas, c’est que Cyrano de Bergerac y déjà était allé, il y a environ 350 ans.
On fêtait, le 20 juillet dernier, les 40 ans du premier homme qui posa le pied sur la Lune. Ce qu’on ne sait pas, c’est que Cyrano de Bergerac y déjà était allé, il y a environ 350 ans.
Cyrano de Bergerac n’est pas seulement le personnage fictif de la pièce portant le même nom d’Edmond Rostand. Savinien de Cyrano de Bergerac fut un écrivain français, né en 1619 et mort en 1655, auteur d’un Voyage à la Lune.[1] Ce Cyrano était ce qu’on appelait à l’époque un «libertin». Un libertin, c’est le plus souvent un libre-penseur qui nourrit des opinions et des croyances différentes de celles prônées à l’époque par l’Église, la «Scolastique»[2] issue d’Aristote, et le pouvoir monarchique entre les mains du cardinal Mazarin.
Grâce à une machine de son invention, Cyrano, pourchasser par les représentants de l’ordre qui veulent le griller sur le bûcher pour ses délires hérétiques, voyage jusqu’en Nouvelle-France puis, sur la place Québec, s’élance sur sa machine spatiale jusqu’à la Lune où il lui arrive toutes sortes d’aventures plus extravagantes les unes que les autres. Le voyage se termine par une rencontre, (non plus sur la Lune mais sur le Soleil!), avec deux philosophes réputés de l’époque, un italien, Tommaso Campanella, emprisonné depuis 30 ans à Paris et mort en 1639, et René Descartes (1596-1650), le philosophe que tous connaissent qui, au moment où Cyrano rédige ses voyages fictifs, jouit d’une grande notoriété.
René Descartes et Galileo Galilei
Tout le monde connaît Descartes, du moins tous connaissent la phrase sans doute la plus fameuse de toute la philosophie: Je pense, donc je suis. Elle est tirée d’un ouvrage devenu par la suite un classique incontournable de la philosophie moderne : le Discours de la méthode. Pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences. Descartes publia cet ouvrage de façon anonyme en 1637. Pourquoi anonyme? Parce que la censure sévissait en France. L’Église catholique, en effet, suspectait tout écrit pouvant contrevenir à ses enseignements, car depuis ses démêlés avec le Protestantisme, l’Église ne souhaitait plus que naisse en son sein d’autres doctrines «hérétiques» [3].
Tout le monde connaît Descartes, du moins tous connaissent la phrase sans doute la plus fameuse de toute la philosophie: Je pense, donc je suis. Elle est tirée d’un ouvrage devenu par la suite un classique incontournable de la philosophie moderne : le Discours de la méthode. Pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences. Descartes publia cet ouvrage de façon anonyme en 1637. Pourquoi anonyme? Parce que la censure sévissait en France. L’Église catholique, en effet, suspectait tout écrit pouvant contrevenir à ses enseignements, car depuis ses démêlés avec le Protestantisme, l’Église ne souhaitait plus que naisse en son sein d’autres doctrines «hérétiques» [3].
Descartes avait raison de craindre la condamnation par l’Église de son Discours. En 1630, il entreprit la rédaction d’un volumineux ouvrage ayant pour titre Le Monde (pas le journal!). Or, en apprenant en 1633 la condamnation par le tribunal d’Inquisition - organisme judiciaire de l’Église - du célèbre mathématicien italien Galilée (1564-1642), Descartes retira de chez l’éditeur l'ouvrage alors sous presse.
Dans ce fameux Le Monde - que Descartes ne publiera pas de son vivant, tout comme Cyrano ne publiera pas le Voyage dans la Lune - Descartes y professe entre autres choses que la terre est en mouvement autour du soleil. Horreur et damnation! Galilée lui-même fut condamné par le tribunal d’Inquisition pour avoir enseigné la même thèse «hérétique» dans son ouvrage Dialogue sur les deux grands systèmes du monde (1632). Les Saintes Écritures n’affirment-elles pas en effet que Josué immobilisa, avec l’aide de Yahvé-Dieu, le soleil dans sa course (Josué 10 12-13)? Qui est-il ce Galilée pour contredire ainsi la parole de Dieu! Mais ce qui indigna l’Église, ce n’est pas tant que Galilée contredise sur ce point la Bible, qui est Parole de Dieu, mais que le personnage dénommé Simplicio (autrement dit, le simplet) qui, dans le Dialogue est le porte-parole de la philosophie naturelle d’Aristote, est tourné en ridicule. Celui qu’on désignait par l’expression «Le Philosophe» se trouvait tourné en dérision. Non seulement Galilée discrédite la Bible, il ridiculise en plus Aristote, le penseur des penseurs. Galilée risquait d’être déclaré anathème. Il adjura ses convictions hérétiques et fut condamné par le tribunal ecclésiastique à terminer ses jours... chez lui. La légende veut qu’au sortir du tribunal inquisitoire, Galilée ait laissé tomber «…et pourtant elle (la Terre) tourne.» L'Eglise catholique le réhabilitera en 1992.
La nouvelle science : Galilée et Descartes contre Aristote
Pendant que Galilée croupissait chez lui, tout l’Europe lisait avec avidité son Dialogue. Or, même en séquestrant Galilée chez lui, l’Église ne pouvait éviter le raz-de-marée de la nouvelle science qui envahissait l’Europe entière.
La nouvelle science : Galilée et Descartes contre Aristote
Pendant que Galilée croupissait chez lui, tout l’Europe lisait avec avidité son Dialogue. Or, même en séquestrant Galilée chez lui, l’Église ne pouvait éviter le raz-de-marée de la nouvelle science qui envahissait l’Europe entière.
Descartes – pour revenir à lui - ne souhaitait pas subir le même sort que son collègue italien. Il voyagea un peu partout en Europe. Surtout, il réfléchit à la façon d’établir les bases de la nouvelle science. En accord avec Galilée contre Aristote, Descartes ne croit pas que la physique doive découvrir la fin pour laquelle chaque chose est faite. Exemples. Suivant Aristote, les objets lourds, telle une pierre, sont faits pour tomber vers le sol, car c’est leur «lieu» propre. Aussi, toujours suivant Aristote, le feu monte car sa nature est la même que celle des cieux qui sont faits de feu et d’éther. On peut bien rigoler aujourd’hui de ces explications fantaisistes et naïves. Elles ont pourtant dominé l’Occident jusqu’à Newton.
Contre Aristote, Galilée exigeait qu’on procède à des expérimentations. Aristote, par exemple, soutenait qu’il est du sens commun qu’un corps plus lourd tombe plus rapidement qu’un corps plus léger. Galilée soumis alors la thèse d’Aristote au test de l’expérience. Il laissa tomber des objets de différents poids du haut d’une même hauteur. Stupéfait, il nota qu’ils arrivent tous au sol en même temps! Ce qui signifie que leur poids n’a rien à voir avec la vitesse de chute et ce, contrairement à ce qu’affirme Aristote. Inconcevable : Le Philosophe pouvait être dans l’erreur! Galilée prouva encore qu’Aristote se trompait au sujet de la surface des astres : ses surfaces devaient être parfaitement lisses puisque ces corps appartiennent à des régions plus parfaites, soutenait le Philosophe. Or, en braquant sa lunette d’approche sur la lune, Galilée observa qu'elle présentait une surface irrégulière faite de creux et d'aspérités. L’expérience réfutait encore une fois Aristote.
Descartes contre Galilée
Dans le merveilleux monde de la nouvelle science qui prend alors son essor, tous les hardis chercheurs ne sont du même avis sur tout. Galilée exige que les assertions scientifiques reposent sur l’expérimentation. Descartes n’en est pas du tout convaincu. Pour lui, seules les mathématiques sont fiables. Il reprend à son compte le fameux mot de Galilée lui-même qui, dans l’Essayeur (1623), écrivait: «La nature est un grand livre dont la langue est celle des mathématiques.» Pour réfuter Galilée, Descartes propose cette expérience de pensée. Supposons un morceau de cire d’abeille franchement cueilli. Ce morceau présente diverses sensations aux sens: un goût, une odeur, une couleur, une forme ainsi qu’un volume. Faisons maintenant fondre la cire. On constate que notre morceau de cire perd toutes ces qualités sensibles; mais, on en conviendra, c’est toujours la même masse de cire. Descartes conclut que les sensations n’appartiennent pas à la matière et qu’elles sont relatives à nous. La matière n’est donc qu’une étendue mesurable, c’est-à-dire mathématisable. Elle possède un poids, un volume ou forme quelconque, c’est-à-dire des propriétés mathématiques. Quant à ses autres propriétés, la couleur, la température, la saveur, etc., elles ne lui appartiennent pas.
Descartes contre Galilée
Dans le merveilleux monde de la nouvelle science qui prend alors son essor, tous les hardis chercheurs ne sont du même avis sur tout. Galilée exige que les assertions scientifiques reposent sur l’expérimentation. Descartes n’en est pas du tout convaincu. Pour lui, seules les mathématiques sont fiables. Il reprend à son compte le fameux mot de Galilée lui-même qui, dans l’Essayeur (1623), écrivait: «La nature est un grand livre dont la langue est celle des mathématiques.» Pour réfuter Galilée, Descartes propose cette expérience de pensée. Supposons un morceau de cire d’abeille franchement cueilli. Ce morceau présente diverses sensations aux sens: un goût, une odeur, une couleur, une forme ainsi qu’un volume. Faisons maintenant fondre la cire. On constate que notre morceau de cire perd toutes ces qualités sensibles; mais, on en conviendra, c’est toujours la même masse de cire. Descartes conclut que les sensations n’appartiennent pas à la matière et qu’elles sont relatives à nous. La matière n’est donc qu’une étendue mesurable, c’est-à-dire mathématisable. Elle possède un poids, un volume ou forme quelconque, c’est-à-dire des propriétés mathématiques. Quant à ses autres propriétés, la couleur, la température, la saveur, etc., elles ne lui appartiennent pas.
Matière ou esprit?
La physique, donc, pour Descartes, étudie seulement les propriétés mathématiques de la matière, pas ses propriétés sensibles ou psychologiques relatives à notre constitution sensorielle.
Pour Descartes, on ne peut pas étudier mathématiquement la conscience humaine comme la physique ou la chimie peuvent le faire pour la matière. Ainsi, Descartes est conduit à distinguer la matière, d’une part, de l’esprit, de l’autre, qui sont ainsi conçus comme deux ordres de choses radicalement distincts. C’est ce qu’on appelle le «dualisme» cartésien. Le fameux Je pense, donc je suis de Descartes, sert de prémisse sur laquelle repose le dualisme. En effet, selon Descartes, c’est parce que je pense que j’existe, et non pas parce que j’ai un corps produisant diverses sensations ou pensées. Les sens peuvent me tromper; mais il ne peut se faire que je me trompe puisque, même si cela était vrai, je penserais tout de même.. C’est là, la conclusion de la seconde méditation de ses Méditations métaphysiques (1641).
Sur toutes ces questions Galilée n’a, pour sa part, rien à dire. On ne sait pas trop comment chez lui l’expérimentation et les mathématiques sont interreliées. Il ne fait que critiquer Aristote, en lui opposant à la fois le rôle déterminant de l’expérimentation et des mathématiques. Descartes, lui, présente un tableau d’ensemble de l’architecture de la science. Descartes était d’avis que toutes les disciplines scientifiques formaient un tout : elles s’intègrent à un grand arbre de la connaissance, dont les branches, issues du tronc solide de la physique, se ramifient en toutes sortes de sciences particulières qui, toutes, obéissent à un même ensemble de principes fondamentaux. «Ainsi toute la philosophie est comme un arbre, dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique, et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences, qui se réduisent à trois principales, à savoir la médecine, la mécanique et la morale…», écrit-il dans la préface aux Principes de la philosophie (1644).
Aujourd’hui, la neurologie semble donner tort à Descartes, car dans son étude du cerveau humain elle postule que les activités cérébrales donnent naissance à la conscience. En d’autres termes, sans cerveau pas de conscience. Il semble donc que la neurologie souscrive, non pas au dualisme, mais au monisme matérialiste. Dans l’état actuel de la science, il semble que le matérialisme ait le vent dans les voiles.
Reste que pour la physique actuelle, l’univers n’est qu’une étendue mathématisable. Pascal s’effrayait devant l’infinité de l’univers. Les astronautes s’ébahissent devant la beauté de notre planète bleue vue de l’espace. Ces impressions ne sont pas la science, nous dit Descartes. La raison est mathématique, insensible, froide et instrumentale. La matière, dira Einstein, n’est que E = mc2, rien de plus. Bien que la physique de Descartes soit aujourd’hui obsolète, l’idée que la physique ne soit que mathématique est toujours prégnante.
Le seul point où Descartes se trouve en désaccord avec la science contemporaine – et il est considérable, il faut en convenir - c’est qu'il est dualiste alors que la science est matérialiste. Quand je dis matérialiste, j'entends par-là que la seule chose qui existe partout est la matière. L’idée qu’il existe quelque chose comme des «esprits» en plus dans l’univers, sur la Terre en particulier, est une illusion. Pour le matérialisme, l’esprit, en effet, ne serait qu’un terme obsolète désignant des réactions électro-chimiques dans le cerveau, tout comme le tonnerre et la foudre ne sont que d’immense décharge électrique.
Pour Descartes, la Lune n’est qu’une toute petite partie de la matière qui peuple l’univers. À ce titre, elle ne présente aucune différence essentielle avec notre bonne vieille planète, la Terre. Celui ou celle, donc, qui a marché sur la Terre, aura marché sur la Lune. La seule véritable différence, aux yeux de Descartes, entre la Lune et nous, c’est que nous, terriens, nous savons «clairement et distinctement» qu’il n’y a aucune différence entre deux morceaux de matière – terrestre ou lunaire -, parce que nous, nous savons qu’il existe une différence radicale entre la matière et l’esprit.
Reste que pour la physique actuelle, l’univers n’est qu’une étendue mathématisable. Pascal s’effrayait devant l’infinité de l’univers. Les astronautes s’ébahissent devant la beauté de notre planète bleue vue de l’espace. Ces impressions ne sont pas la science, nous dit Descartes. La raison est mathématique, insensible, froide et instrumentale. La matière, dira Einstein, n’est que E = mc2, rien de plus. Bien que la physique de Descartes soit aujourd’hui obsolète, l’idée que la physique ne soit que mathématique est toujours prégnante.
Le seul point où Descartes se trouve en désaccord avec la science contemporaine – et il est considérable, il faut en convenir - c’est qu'il est dualiste alors que la science est matérialiste. Quand je dis matérialiste, j'entends par-là que la seule chose qui existe partout est la matière. L’idée qu’il existe quelque chose comme des «esprits» en plus dans l’univers, sur la Terre en particulier, est une illusion. Pour le matérialisme, l’esprit, en effet, ne serait qu’un terme obsolète désignant des réactions électro-chimiques dans le cerveau, tout comme le tonnerre et la foudre ne sont que d’immense décharge électrique.
Pour Descartes, la Lune n’est qu’une toute petite partie de la matière qui peuple l’univers. À ce titre, elle ne présente aucune différence essentielle avec notre bonne vieille planète, la Terre. Celui ou celle, donc, qui a marché sur la Terre, aura marché sur la Lune. La seule véritable différence, aux yeux de Descartes, entre la Lune et nous, c’est que nous, terriens, nous savons «clairement et distinctement» qu’il n’y a aucune différence entre deux morceaux de matière – terrestre ou lunaire -, parce que nous, nous savons qu’il existe une différence radicale entre la matière et l’esprit.
[1] Le titre exact est Les états et empires de la lune et du soleil, ouvrage paru après la mort de l’auteur en 1657.
[2] L’ensemble des connaissances, à la fois philosophiques et théologiques, fut appelé « scolastique » (du latin scola, école).
[3] Le mot «hérétique» vient du grec hairesis, choix. Celui qui choisit, l’hairetikos, sa doctrine ou sa croyance, ne le peut puisque la vérité religieuse est une et universelle (catholikos).
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