(Texte de mon intervention dans le cadre du Café-Philo sur le thème «Quelle démocratie étudiante?». Jeudi le 21 mars, café l'Exode, cégep du Vieux Montréal, 11h 45 à 13h 30.)
«Pour critiquer les gens, il faut les connaître, et pour les connaître, il faut les aimer.» - Coluche
Le «printemps érable» de l'an dernier révéla des failles béantes et flagrantes dans les procédures démocratiques des associations étudiantes : votes à main levée; assemblée «paquetée»; faible taux de participation d’à peine 10% des effectifs; refus du vote électronique etc. En novembre 2012, l’AGECVM récidivait. Les quelques 7000 étudiants du cégep du Vieux Montréal furent en grève durant trois jours, les 20, 21 et 22 novembre derniers. La décision de lever les cours fut entérinée par un vote en assemblée générale, lors de laquelle un peu plus de 1000 membres de l'association étudiante se sont prononcés: 708 pour, 333 contre et 19 abstentions. Les élèves revendiquent le retrait des charges criminelles et pénales liées au conflit étudiant dans le cadre de cette grève. Quelques 700 étudiants en assemblée ont donc imposé une suspension de cours pendant trois jours aux 7000 étudiants du cégep! Voilà la fameuse «démocratie» au Vieux Montréal!
Le «printemps érable» de l'an dernier révéla des failles béantes et flagrantes dans les procédures démocratiques des associations étudiantes : votes à main levée; assemblée «paquetée»; faible taux de participation d’à peine 10% des effectifs; refus du vote électronique etc. En novembre 2012, l’AGECVM récidivait. Les quelques 7000 étudiants du cégep du Vieux Montréal furent en grève durant trois jours, les 20, 21 et 22 novembre derniers. La décision de lever les cours fut entérinée par un vote en assemblée générale, lors de laquelle un peu plus de 1000 membres de l'association étudiante se sont prononcés: 708 pour, 333 contre et 19 abstentions. Les élèves revendiquent le retrait des charges criminelles et pénales liées au conflit étudiant dans le cadre de cette grève. Quelques 700 étudiants en assemblée ont donc imposé une suspension de cours pendant trois jours aux 7000 étudiants du cégep! Voilà la fameuse «démocratie» au Vieux Montréal!
La
Conférence des recteurs et principaux d'universités (CREPUQ) demanda au
ministre de l'Enseignement supérieur, Pierre Duchesne, d'encadrer la démocratie
étudiante. Candidat à la direction du Parti libéral du Québec, Raymond Bachand
réclame lui aussi des changements. Il préconise d'instituer le vote secret
électronique. Le député estime que cette façon de faire éviterait
l'intimidation et contribuerait à hausser la participation.
On
ne peut que souhaiter que ces interpellations soient entendues par les autorités
politiques et qu’un ménage dans les écuries d’Augias des associations
étudiantes soit enfin effectué rapidement. Faut-il attendre une commission d’enquête
publique qui se pencherait sur les associations étudiantes au Québec?
L’un
des vices que l’on reproche à la démocratie est donc manifeste à l’AGECVM :
la tyrannie de la minorité. Ce vice est celui de toute démocratie, pas
seulement de celle au Vieux Montréal. Rappelons, à cet égard, qu’au dernière
élection provinciale, près de 67% des gens ont voté contre le Parti Québécois. Évidemment,
pour ce qui concerne le faible taux de participation au CVM, il faut porter le
blâme en premier lieu à la vaste majorité des étudiants-es qui ne participent
pas aux assemblées. Mais demandons-nous : pourquoi ce faible taux de
participation des étudiants? Cette triste réalité devrait interpeler l’exécutif
de l’AGECVM. Mais non, aucune remise en question des pratiques démocratiques
n’est à l’horizon. Demandez cependant aux étudiants-es du Vieux Montréal et ils
répondront en chœur que ces assemblées sont «pipées» d’avance; qu’ils sont dirigés
par un clique de militants bien déterminés à parvenir à leurs fins ainsi qu’à
entériner leurs propres décisions. La vaste majorité des étudiants-es se voient alors imposer
d’office une direction dont les visées dépassent de loin la simple défense des
intérêts des étudiants. En un mot, la vaste majorité des étudiants-es en ont ras-le-bol de leur
association. Il faut être de mauvaise foi pour ne pas le réaliser.
Je ne suis pas le premier à observer ce qu'on appelle le fameux «paradoxe de la démocratie». Un étudiant participe à la vie démocratique en prenant part aux assemblées de son association. Il croit aux décisions prises démocratiquement. Supposons qu'il soit en faveur de la hausse des droits de scolarité. Le vote pris en assemblée va, lui, à l'encontre de sa préférence. Bon démocrate, notre étudiant accepte la décision majoritaire. Reste que, à strictement parler, ses désirs sont contradictoires. Car, s'il accepte personnellement ou individuellement la hausse, il ne l'accepte plus au plan, disons, collectif de la volonté générale, puisqu'il se range désormais du côté de la majorité! C'est du moins ainsi qu'on doit s'expliquer le calcul que faisaient les fédérations étudiantes qui comptabilisaient TOUS les étudiants-es d'un cégep, même si ce ne sont pas TOUS les étudiants qui avaient voté contre la hausse, et qu'une minorité d'entre eux avait voté, et que de cette minorité, une majorité avait enlevé les voix.
Par ailleurs, l’AGECVM se conçoit comme un «syndicat étudiant».[1] Ce qui va bien au-delà des prérogatives de la loi 32, loi sur l’accréditation et le financement des associations d’élèves ou d’étudiants-es. La charte fondatrice du syndicalisme étudiant serait celle adoptée en 1946, la Charte de Grenoble, par l’Union nationale des étudiants de France, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Or, l’AGECVM est au Québec en 2013. Passons. Le but visé, évidemment, par la dite Charte de Grenoble est de faire de l’étudiant-e un «travailleur intellectuel» de telle manière qu’il-elle ait droit à une allocation lui permettant d’étudier «dans l’indépendance matérielle, tant personnelle que sociale». On voit là les prémices de la gratuité scolaire que les Fédérations étudiantes défendaient à défaut du gel des droits de scolarité.
Je ne suis pas le premier à observer ce qu'on appelle le fameux «paradoxe de la démocratie». Un étudiant participe à la vie démocratique en prenant part aux assemblées de son association. Il croit aux décisions prises démocratiquement. Supposons qu'il soit en faveur de la hausse des droits de scolarité. Le vote pris en assemblée va, lui, à l'encontre de sa préférence. Bon démocrate, notre étudiant accepte la décision majoritaire. Reste que, à strictement parler, ses désirs sont contradictoires. Car, s'il accepte personnellement ou individuellement la hausse, il ne l'accepte plus au plan, disons, collectif de la volonté générale, puisqu'il se range désormais du côté de la majorité! C'est du moins ainsi qu'on doit s'expliquer le calcul que faisaient les fédérations étudiantes qui comptabilisaient TOUS les étudiants-es d'un cégep, même si ce ne sont pas TOUS les étudiants qui avaient voté contre la hausse, et qu'une minorité d'entre eux avait voté, et que de cette minorité, une majorité avait enlevé les voix.
Par ailleurs, l’AGECVM se conçoit comme un «syndicat étudiant».[1] Ce qui va bien au-delà des prérogatives de la loi 32, loi sur l’accréditation et le financement des associations d’élèves ou d’étudiants-es. La charte fondatrice du syndicalisme étudiant serait celle adoptée en 1946, la Charte de Grenoble, par l’Union nationale des étudiants de France, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Or, l’AGECVM est au Québec en 2013. Passons. Le but visé, évidemment, par la dite Charte de Grenoble est de faire de l’étudiant-e un «travailleur intellectuel» de telle manière qu’il-elle ait droit à une allocation lui permettant d’étudier «dans l’indépendance matérielle, tant personnelle que sociale». On voit là les prémices de la gratuité scolaire que les Fédérations étudiantes défendaient à défaut du gel des droits de scolarité.
On
ne s’étonnera guère que le législateur québécois n’est pas tenu compte de la
soi-disante Charte de Grenoble en élaborant la loi 32 puisque le concept
d’étudiant-e définit comme «travailleur
intellectuel» est grotesque. En effet, il faut convenir que l’étudiant est
tout sauf un «travailleur» producteur de biens et services recevant pour se
faire une rémunération. Si l’on devait tenir l’étudiant-e comme travailleur, il
faudrait alors prélever sur son «salaire» des impôts et des taxes, comme pour
tous les travailleurs. Le concept «travailleur intellectuel» est tout
simplement aberrant. Par ailleurs, en faisant de l’étudiant-e un «travailleur»,
ce titre légitimerait le fameux «droit de grève» étudiant qui n’existe pas
actuellement au niveau légal dans le Code du travail puisque les étudiants ne
sont pas considérés comme des «travailleurs» recevant d’un employeur une rémunération.
On le voit l’admission de l’étudiant-«travailleur» a de lourdes conséquences,
et ce n’est pas pour rien que l’AGECVM veut faire des étudiants-es des
«travailleurs-es».
Puisque
les étudiants-es ne dépendent plus de leurs parents, une fois à l’université, ils
devraient dépendre, selon l’AGECVM, en tant que travailleurs-es, de l’État
devant désormais assurer leur «indépendance tant personnelle que sociale». Or,
on ne devient pas automne en vivant aux frais soit de ses parents soit des
contribuables. On le devient en travaillant, en gagnant sa vie. Une vérité de
La Palice. Maria Montessori (1870-1952), la grande pédagogue italienne,
soutenait qu’un jeune qui n’a jamais travaillé, qui n’aurait jamais gagné sa
vie, serait difficilement digne d’accéder à un poste quelconque une fois ses
études terminées.[2] Il
ne faut pas surtout pas dissocier, rappelle la pédagogue, les exigences de la
vie réelle avec celles de la vie étudiante.
En
tant qu’étudiant, le jeune homme et la jeune femme puisent chez ses
prédécesseurs les idées, les théories, les techniques, etc., qui vont leur
permettre plus tard d’exercer un métier, et de devenir, à leur tour,
véritablement des travailleurs, des «producteurs» d’idées, de théories, de
techniques, etc. Entre-temps, l’étudiant-e est à l’université pour assimiler
les innovations de ses ancêtres. Pour y avoir droit, il doit payer les frais de
sa formation. C’est la moindre des choses. Sinon, l’étudiant-e se comporte en
une sorte de pillard s’accaparant illégitimement pour son propre bénéfice des
savoirs produits par les hommes et les femmes des générations précédentes qui,
très souvent, ont lutté péniblement, à la sueur de leur front, pour faire
progresser l’état des connaissances.
Il
y aurait bien d’autres points à soulever dans la constitution de l’AGECVM mais
ce qui précède suffit à montrer que l’AGECVM s’égare et égare ses membres sur
les buts et visés raisonnables et réalistes auxquels on doit s’attendre d’une
association étudiante.
J’aimerais
toutefois terminer cette intervention par ce dernier point de la plus haute
importance en démocratie. Je me réfère au philosophe britannique du 19e
siècle, John Stuart Mill, dans son livre qu’on ne lit plus – c’est dommage
parce que ce livre est un traité de philosophie démocratique -, On Liberty – De la liberté, publié, soit-dit en passant, en 1859, la même année
que la publication de l’Origine des
espèces de Charles Darwin. En tout cas, je propose à la direction de l’AGECVM
la lecture cet essai fondamental sur la démocratie.
Qu’y
lit-on de si important? Dans le deuxième chapitre, intitulé De la liberté de pensée et de discussion,
Mill énonce deux principes fondamentaux dans la discussion démocratique.
1)
On ne doit jamais museler une opinion contraire à celle
de la majorité;
2)
Il est légitime de critiquer l’opinion de son
adversaire uniquement lorsqu’on comprend à fond cette opinion opposée à la nôtre;
autrement dit, lorsqu’on ne connaît que sa propre opinion, on ne la connaît
pas, de sorte qu’on n’a pas le droit de critiquer celle de l’autre.
Ainsi, la
démocratie, le débat démocratique est extrêmement exigeant. Certaines vont
jusqu’à dire que les deux principes de Mill rendent impossible la discussion en
démocratie. Je ne suis pas de cet avis. Je crois que ces deux devoirs
fondamentaux de la démocratie sont incontournables.
Or, je crois que, comme je le
mentionnais précédemment, pour éviter la tyrannie de la minorité à l’AGECVM, il
est de la plus haute importance de mettre en application impérativement les
deux principes de Mill. La démocratie est exigeante. Mais, comme le disait Spinoza, ce qui est précieux est aussi difficile que rare.
[1]
Voir l’Agenda CVM 12/13, publié par l’AGECVM, p. 56. Cet agenda publié grâce
aux cotisations des étudiants-es du Vieux Montréal fait la promotion et la
défense des idées ainsi que des valeurs de l’association étudiante. L’AGECVM ne
peut pas mieux exercer sa propagande auprès des étudiants-es en leur lavant de
la sorte leur cerveau.
[2]
Maria Montessori, De l’enfant à
l’adolescent, Desclée de Brouwer, 2004, p. 169.
Une réflexion intéressante sur un sujet très important! Si je comprends bien, le mode de fonctionnement de l'assemblée nationale n'est pas démocratique?
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