Vous vous méprenez, cher collègue, sur la nature de la foi. En matière de foi, écrivez-vous, «on a plus affaire à des positions rationnelles. Le fondement de la religion ce n’est pas la raison, mais la foi.» L’athéisme a dès lors beau jeu de condamner la religion puisqu’elle conduirait à des tragédies démentielles comme celle survenue en Norvège. Votre défense de la religion tourne à vide. Vous posiez cependant la bonne question, celle de «la vraie nature de la croyance religieuse».
Il convient impérativement en tout premier lieu de distinguer la foi de la croyance religieuse. Si la foi implique des croyances de type religieux, la foi n’est pas au départ une croyance, contrairement au prêt-à-penser qui circule depuis le siècle des Lumières à ce sujet voulant démoniser la foi comme croyance irrationnelle. La foi - du moins la foi chrétienne - se définit traditionnellement depuis Thomas d’Aquin (1225-1274) comme une vertu – dite «théologale», avec la charité et l’espérance. Or, la foi n’est pas d’abord une croyance (irrationnelle, selon l’athée) mais, surtout, une attitude, une disposition – une vertu. En gros, la vertu de foi c’est un savoir- faire : c’est savoir faire confiance. Parlez-en aux amateurs du Canadiens de Montréal en série éliminatoire. Ces partisans, fous du Canadien, qui déraisonnent selon leurs adversaires, ont la ferme conviction, malgré l’évidence contraire, que leur club sera victorieux et remportera la Coupe Stanley. Ils débordent de confiance. Voilà la foi. La foi du croyant est exactement comme celle du partisan «dément» du Canadien : il sait faire confiance. Il sait garder confiance, malgré l’évidence contraire. L'incroyant agit comme étouffoir un peu comme les adversaires du Canadien en série éliminatoire qui ridiculisent ceux et celles qui placent leur espoir dans une cause perdue d'avance.
Savoir faire confiance est donc la vertu de la foi. S'il fallait ne plus faire confiance dans la vie de tous les jours, nos existences ne seraient qu'invivables et sans avenir. Or, comme toute vertu, la vertu de foi – du savoir faire confiance, donc - s’apprend et se développe. Il s’agit donc bel et bien d’un savoir, mais d’un savoir essentiellement pratique, c’est-à-dire qui résulte, comme toute vertu, de l’apprentissage faites dans des situations toutes aussi problématiques que complexes que celles que nous vivons à tous les jours. On a malheureusement le tort de penser que tous les types de savoir sont essentiellement de nature théorique ne faisant appel qu’à la raison. Contrairement à monsieur Valois qui déclare que «quand on a l’évidence rationnelle que quelque chose est vrai, on ne dit pas qu’on y croit, mais plutôt qu’on le sait», quand on sait quelque chose, évidemment, on croit que c’est vrai, mais surtout on acquiert cette croyance véridique sur la base d'autres vertus préalables, dont celle consistant à faire confiance. Ainsi la foi, comme vertu, constitue - on l'oublie trop souvent - la condition nécessaire dans le processus conduisant à la vérité, c’est-à-dire au savoir. Si je n’ai pas appris à discriminer mes perceptions ainsi que mes jugements, mais aussi à me faire confiance sur ce plan, j’aurai bien du mal à savoir quoi que ce soit. La vertu de foi est donc au cœur du processus de connaissance, malgré tout le préjugé contraire que véhiculent les Lumières séparant radicalement la foi de la raison et du savoir. Ainsi, même l'incroyant fait appel à la vertu de foi, car croire en ce qui est rationnel, c’est faire confiance à la raison. On se rappelera de l'ouvrage-choc de Francis Jeanson, La foi d'un incroyant, lequel défend la thèse que la foi n'est pas l'apanage automatique des chrétiens, mais de tous ceux et celles qui osent se libérer de la peur.
L’incroyant, pourrait-on dire, pèche cependant par la faiblesse de la vertu de foi. Le terroriste, qu’il soit d’obédience chrétienne ou musulmane, lui, pèche par excès. Dans les deux cas, ils ne savent pas faire confiance comme il convient. Le terroriste fondamentaliste carbure, lui, à la peur. Il a surtout peur de la vérité. Il a horreur de se tromper. C’est pourquoi il détient dogmatiquement la vérité. Il est prêt à tout pour la défendre, même à commettre des actes irréparables et inqualifiables. Le mot de Nietzsche lui va comme un gant: «Ce n’est pas le doute qui rend fou, c’est la certitude.» Or, la peur, c’est bien connu, est un manque patent de courage lequel est lui aussi tenu comme une vertu – dite «cardinale» cette fois-ci. Il va de soi que la vertu de courage est impliquée dans celle de la foi, car faire confiance, on en conviendra volontiers, implique du courage. Aussi, celui ou celle qui se décourage a perdu toute espérance. La vertu théologale de l'espérance subordonne donc la vertu cardinale du courage. Le terroriste fondamentaliste n’est donc pas quelqu’un de vertueux, il n’a pas la vertu de la foi, ni celle de l'espérance et, partant, n'ayant pas l'espérance, il n'a pas de courage. Il a le vice contraire: la peur qui l'enferme. En somme, le terroriste fondamentaliste n’est pas du tout un croyant au sens propre du terme, mais un simulacre de croyant, pourrait-on dire, même s’il affirme croire aux vérités de sa religion. Quand, donc, un terroriste qui, au nom de sa religion, commet des actes démentiels, ne le qualifions pas d’abord d’être irrationnel, voire de dément, mais plutôt de personne vicieuse qui mérite tout notre pitié par charité.
Vers la fin de son texte, Valois suggère «que les autorités religieuses de toutes les dénominations ont plus que jamais la grave responsabilité de discerner l'essentiel de l'accessoire, l'esprit de la lettre, dans l'enseignement qu'ils prétendent transmettre au nom d'un Dieu qui a créé tous les humains dans un égal élan d'amour.» Pour ma part, je pense que Jean-Paul II fut, à cet égard, un visionnaire lorsque, en octobre 1978, lors de son premier discours papal sur les marches de Saint-Pierre, il lança son fameux «N'ayez pas peur!» (Non abbiate paura!) Notre peur, en effet, est l'ennemi juré de la foi. Celle-ci constitue pourtant l'antidote à notre vice.
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