mardi 29 mars 2011

PENSER LE FAILLIBILISME

Go to the bloody hard way!
Ludwig Wittgenstein
 
Voici quelques réflexions personnelles, que je livre tout haut, à propos d'une position épistémologique que certains de mes collègues, dont Pierre Blackburn, soutiennent. En tout cas, elle suscite une profonde perplexité chez moi puisque cette position épistémologique est fort intringuante, hautement critiquable et en même temps tout de même plausible, en apparence du moins! Par ailleurs, ce qu'il y a d'étonnant chez moi, c'est que, en tant que FIABILISTE en épistémologie, (et non pas en tant que réaliste, ou objectivisme, comme certains seraient conduits à le croire), le fiabilisme soutient ou implique le FAILLIBISME. Il me faut donc prendre la pleine mesure du faillibilisme.

À mon sens, le faillibilisme constitue une position médiane entre, d'une part, le scepticisme et, d'autre part, le réalisme ou l'objectivisme, le premier soutenant que nous n'avons pas de connaissance au sens strict du terme, l'autre, oui, au contraire. Le faillibilisme n'aime parler de «connaissance», ou s'il utilise ce terme, c'est avec grande circonspection puisque, selon lui, aucune de nos «connaissances» n'est à l'abri d'une révision quant à sa prétention à sa vérité. (D'où l'expression de «croyance rationnellement justifiée» chez Blackburn.) Traditionnellement, depuis Platon, on parle de «croyance vraie justifiée» comme définition de la connaissance, mais le terme «vérité» est si litigieux et embarrassant pour un faillibilisme qu'il aime mieux l'éviter. Par ailleurs, contrairement à la démarche classique en épistémologie, le faillibilisme ne cherche pas du tout à définir dans l’abstrait ce qu’est la connaissance. Il part du fait que nous aurions des «connaissances» et que nous tentons, par la suite, de tester ou d’éprouver leur «vérité». En fait, je me corrige, le faillibilisme part de «croyances» et qui dit croyance, dit croyance vraie ou qui prétend à la vérité (personne ne soutient ou n’entretient de croyances fausses) : croire que p, c’est croire que p est vraie (Moore)).

Le problème principal que soulève le faillibilisme c’est précisément qu’il tente de sauver la chèvre et le chou, ciblant une position médiane entre le scepticisme, d'une part, et le réalisme (ou l’objectivisme), d'autre part. Depuis Aristote, le juste milieu paraît toujours le lieu du raisonnable. Toutefois, le faillibilisme génère constamment en lui une tension interne, pour ne pas dire une contradiction. C’est là, selon moi, la source de ma grande perplexité à l'endroit du faillibilisme. Voici en quoi consiste de façon générale la tension interne quj mine le faillibilisme. D’une part, le faillibiliste tient pour vraies ses croyances ; il n’a pas le choix puisque, par définition, croire, c’est croire que ce que l’on croit est vrai. D’autre part, en tant que faillibiliste, c’est-à-dire en tant que cognitiviste modeste, il admet que ses croyances peuvent fort bien s’avérer fausses! Qui sait si ces croyances ne sont pas aujourd'hui même fausses!? Par exemple, nos ancêtres croyaient que la terre était plate, mais ils se trompaient: ils croyaient erronément que la terre étaient plates. D'ordinaire, on ne saurait croire erronément, car personne ne croit ce qui est faux.

Le faillibiliste combine à la fois ce que l’on appelle dans le jargon épistémologique une perspective internaliste en même temps qu’une perspective externaliste. Règle générale, on est soit l’un soit l’autre; pas le faillibilisme. Ainsi, selon une perspective à la première personne, dite «internaliste», lle faillibilistes tient ses croyances comme étant vraies ; alors que de la perspective à la troisième personne, «externaliste», considérée du point de vue en somme du point de vue de l'observateur, ses croyances peuvent s'avérer fausses. D'où la tension mentionnée, pour ne pas dire la contradiction, qui pèse sur le faillibilisme.

Pour sortir de cette apparente contradiction - certains parleront de «drame» -, il convient, je pense, de concevoir le faillibilisme comme un «faillibilisme de la règle». Ainsi, la vérité du faillibilisme ne serait pas tant la vérité de ses propres croyances mais pour ainsi dire de son «ouverture» à la corrigibilité de ses croyances. En somme, le faillibilisme doit être conçu selon la perspective externaliste à la troisième personne de l'observateur.

Mais on devine le problème. Si le faillibilisme de la règle consiste à croire à la vérité qu’on doive être ouvert à la corrigibilité de ses croyances, il ne peut admettre que le faillibilisme de la règle puisse s’avérer faux. En d’autres termes, le faillibilisme de la règle serait incohérent avec lui-même!

Pour l’instant, j’avoue ne pas trop savoir comment sortir le faillibilisme de cette impasse. Mais chose certaine, contrairement à ce que semble croire mes collègues, nos étudiants méritent que leur maître creuse les tenants et les aboutissants épistémologiques du faillibilisme

Dans un prochain billet, je montrerai que le fiablisme que je défends est préalable au faillibilisme et ne présente pas le problème auquel le second est confronté.

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